Il voulait aller en Irak ; le pape François l’a fait ! Malgré le Covid et le risque d’attentat. Fin janvier, une énième attaque terroriste faisait encore 32 morts à Bagdad… Ce voyage put avoir lieu grâce au confinement quasi-total de la population et à un dispositif sécuritaire hors norme.
Jamais aucun de ses prédécesseurs ne s’était rendu sur la terre natale d’Abraham, père des trois monothéismes. Jean-Paul II souhaitait faire le voyage en 2000 mais en fut empêché par feu Saddam Hussein. En trois jours, le pape aura parcouru 1445 kilomètres, en avion, en hélicoptère, en voiture blindée. Avec à la clé de belles images. Prenons-en quelques-unes :
La plus symbolique : samedi à Najaf, ville sainte chiite du sud, François rencontrait le grand ayatollah Ali Sistani, de cinq ans son aîné. Il n’avait jamais parlé à un pape. L’entretien confidentiel s’éternisa (50 minutes). « Cela me fit du bien à l’âme », s’écria François dans l’avion le ramenant à Rome. L’imam lui dit œuvrer pour que les chrétiens vécussent en « sécurité » et avec « tous leurs droits constitutionnels ». Néanmoins, il ne parapha point le document sur la « fraternité humaine » signé en 2019 à Abu Dhabi par Ahmed Al-Tayeb, le grand imam sunnite d’Al-Azhar (Égypte). Sistani incarne une vision plus nationale qu’Ali Khamenei, le Guide suprême iranien, ce qui explique le poids donné à cette rencontre. D’autant que le chiisme est majoritaire en Irak (60%) et influent en Syrie et au Liban. Mais ces deux pays ne furent jamais cités, François ne voulant pas donner à ce sommet une teinte géopolitique. Sistani est aussi perçu comme plus modéré que son homologue de Téhéran. Néanmoins, sa fatwa de 2006 appelant à tuer les homosexuels « de la pire manière qui soit » laisse perplexe. Il reste celui qui en 2014 appela à prendre les armes contre le groupe sunnite État islamique (EI). Cette rencontre « récompense » symboliquement l’action du Hachd al-Chaabi. Sans cette puissante coalition paramilitaire, les forces irakiennes auraient-elles vaincu l’EI fin 2017 ? Du coup, François et lui sont présentés en Iran comme « les porte-drapeaux de la paix mondiale ». Comme quoi, en recevant un pape, on capte un peu de son image.
La plus émouvante : hier matin, le pape toucha la foule, à Mossoul, ancienne « capitale du califat » où se trouve la tombe du prophète Jonas. La ville est encore privée d’eau et d’électricité. François apparut sur une estrade construite au milieu des ruines, faute d’église toujours debout. On le vit marcher difficilement à cause de sa sciatique. Il fit un tour en voiturette sous les youyous et les vivats. Le pape estima que le départ des chrétiens est « un dommage incalculable ». De fait, en 20 ans, leur nombre passa de 6% à 1% de la population (400 000 contre 1,5 million en 2003, avant l’invasion américaine). Le pape, si décrié par les conservateurs US, ne revint pas sur l’ingérence de Bush et consorts. Or, bon nombre de cadres de l’EI sont d’anciens militaires de l’armée irakienne démantelée par Washington. L’occupation d’un tiers du pays par l’EI (2014-2017) fut le dernier épisode d’une série de conflits qui poussèrent les chrétiens à l’exil. L’émotion était aussi palpable à Qaraqosh (Bakhida), ville chrétienne martyre à mi-chemin entre Mossoul et Erbil. Le pape appela la foule à « reconstruire » et à « ne pas se décourager ». « Vous n’êtes pas seuls ! », lui lança-t-il. La ville est aux trois-quarts rénovés. La moitié de la population chrétienne y est revenue, soit 25 000 âmes.
La plus spectaculaire : hier après-midi à Erbil, capitale du Kurdistan irakien : le pape arriva triomphalement en papamobile sur la pelouse du stade Franso Hariri – du nom de cet homme politique chrétien assassiné il y a 20 ans. Il y célébra la plus grande messe de son voyage. Le 15 février, des salves de roquettes visaient encore l’aéroport et des quartiers résidentiels ! François fit une promesse à la Kennedy : « L’Irak restera toujours avec moi. »
La plus spirituelle : samedi à Ur, la ville d’Abraham, une grande rencontre interreligieuse illustra la devise de ce voyage « Vous êtes tous frères », en écho à son encyclique Fratelli Tutti. À partir d’une contemplation poétique du ciel et des étoiles, le pape s’en prit aux « nuages de la haine » et aux « trahisons de la religion ». Il parla de ces milliers de femmes et d’enfants yézidis vendus comme esclaves. La veille, dans son discours aux autorités irakiennes, François avait déjà dénoncé les « barbaries insensées » de l’EI.
Ce voyage fera-t-il revenir les chrétiens ? C’est peu probable. D’ailleurs, le pape des migrants se garda bien de les inviter à rentrer chez eux. Si certains le font, beaucoup veulent toujours quitter le pays mais on ne leur donne pas de visa. À Ur, le pape demanda que l’argent ne servît point à « alimenter le confort de quelques-uns ». La corruption endémique, souvent au profit de l’Iran, et l’absence d’État fort protecteur des minorités demeurent des points noirs. Aussi noir que le drapeau de Daech et de ses cellules dormantes.
Louis Daufresne
Source : Vatican News
Cet article est republié à partir de La Sélection du Jour.