
L'angoisse serra la gorge de Jamaima Haruna dès qu'elle entendit qu'un nouveau massacre venait d'être commis non loin de chez elle, dans l'État de Plateau, dans le centre du Nigeria.
Début avril, une cinquantaine de personnes ont été tuées dans des affrontements intercommunautaires dans la localité de Bokkos, une région en proie depuis plus de deux décennies à des violences récurrentes entre éleveurs musulmans et agriculteurs majoritairement chrétiens.
Jamaima, une chrétienne de 39 ans, vendait des pommes de terre au marché de Jos, la capitale de l'État. Mais son mari musulman se trouvait non loin de la zone où les meurtres ont été signalés. "J'étais terrifiée. La situation était tendue et je me suis inquiétée en pensant à lui. Je l'ai appelé trois fois sur son téléphone, mais les appels ne passaient pas", a-t-elle raconté à l'AFP, précisant que son mari était finalement sain et sauf.
Jamaima et son mari sont l'un des nombreux couples mixtes vivant dans cet État du Plateau situé sur la ligne de démarcation entre le nord du pays majoritairement musulman et le sud principalement chrétien.
Autrefois, les deux communautés vivaient en harmonie. Mais depuis que les premières violences ont éclaté au début des années 2000, chaque groupe s'est retranché derrière un communautarisme croissant. A Noël 2023, des violences ont fait plus de 200 morts dans la même région de Bokkos et exacerbé les tensions. Mais les couples mixtes résistent.
Les circonstances des récentes violences de Bokkos demeurent floues. Des survivants ont déclaré à l'AFP que des hommes armés non identifiés avaient pris d'assaut les villages. Un responsable local a déclaré que les assaillants parlaient le "dialecte peul". Une association locale représentant les éleveurs peuls musulmans a qualifié ces remarques d'irresponsables.
Puis la situation s'est brusquement aggravée : cette semaine, une autre attaque menée par des hommes armés non-identifiés a fait au moins 52 morts, cette fois dans les villages de Zike et de Kimakpa.
Des hommes politiques, dont le gouverneur de Plateau, ont déclaré que les massacres faisaient partie d'un "génocide" "parrainé par des terroristes", une rhétorique qui, selon les critiques, masque les véritables causes du conflit : les différends fonciers et l'incapacité des autorités et de la police à mettre de l'ordre dans les campagnes. "Tout se résume à l'échec de la gouvernance", a déclaré Isa Sanusi, directeur national d'Amnesty International au Nigeria, soulignant que "l'impunité a pris le dessus."
Crise multifactorielle
La capitale, Jos, a connu des émeutes sectaires meurtrières en 2001 et 2008 qui ont fait plus d'un millier de morts, selon les groupes de défense des droits de l'homme. Les efforts de paix déployés dans la ville depuis lors ont permis de ramener le calme, même si les zones rurales restent agitées.
L'accaparement des terres, les tensions politiques et économiques entre les "autochtones" locaux et ceux considérés comme des étrangers, ainsi que l'afflux de prédicateurs musulmans et chrétiens extrémistes ont accentué les divisions au cours des dernières décennies.
Les terres utilisées par les agriculteurs et les éleveurs sont soumises aux pressions du changement climatique et de l'expansion humaine, ce qui provoque une concurrence accrue pour l'accès aux ressources. Enfant, Solomon Dalung, un chrétien de 60 ans, ancien ministre des Sports, allait à la mosquée lorsqu'il séjournait chez ses cousins, qui vivaient dans une ville sans église.
"Chaque fois qu'il y a une crise, la religion et l'ethnicité sont utilisées comme un carburant" pour mettre le feu aux poudres, a-t-il déploré.
"Sous les projecteurs"
Les tensions dans le Plateau peuvent être particulièrement dangereuses pour les familles mixtes, car elles "les mettent sous les feux des projecteurs", a déclaré Sanusi.
Usman Ahmad, un homme de 71 ans marié à une chrétienne depuis quarante ans, se trouvait également au marché de Jos lorsqu'il a entendu parler des massacres de Bokkos. Il est rassuré par le fait que sa communauté immédiate "soit plus éclairée" sur les familles mixtes, mais après les attaques, il s'est "précipité chez lui pour voir ce que nous pouvons faire pour appeler au calme".
"Souvent, nous nous asseyons pour réfléchir (à) pourquoi cette crise refuse de se terminer. Est-ce à cause de la religion, du tribalisme ou de la richesse ?", a déclaré Jamaima Haruna à l'AFP depuis son stand au marché.
"Ne pouvons-nous pas trouver des moyens de respecter nos différences ?"
La Rédaction (avec AFP)