360 000 euros. C’est la dépense effectuée lors d’une vente aux enchères, mercredi 30 novembre au soir, pour obtenir le pistolet avec lequel le poète Verlaine tira sur son amant, Rimbaud. La petite histoire dit que, condamné à être emprisonné, Paul Verlaine retrouva la foi dans sa cellule, afin de retomber dans une vie peu catholique.
S‘il y a un débat sur l’arme, l’histoire présente davantage de certitude, et elle aura diverses conséquences, dont celui de faciliter le choix du nom de John Rambo pour le fameux personnage tout en muscle, ancien des forces spéciales américaines. Rambo, le nom d’une pomme, sonnait comme Rimbaud, encourageant le créateur du personnage à le prendre, d’autant que le titre du recueil du poète blessé, Une saison en enfer, paraissait correspondre au vécu du vétéran du Vietnam. Toujours une histoire de poudre. Mais l’histoire a aussi une conséquence spirituelle avec la conversion de Verlaine.
C’est durant l’été 1873, le 10 juillet, que Paul Verlaine pointe le révolver en direction de son ami Arthur Rimbaud. Les poètes maudits sont amants depuis deux ans, et Verlaine veut achever la relation tumultueuse. Il est en même temps engagé à contrecœur dans une procédure de divorce demandée par son épouse, Mathilde, qu’il a violée après s’être enivré à l’absinthe, la fée verte de cet alcoolique qui lui dédia un poème, En robe grise et verte avec des ruches. Ivre, comme à l’accoutumée, Verlaine, qui espère renouer avec Mathilde à laquelle il a promis de se suicider si elle ne lui revient pas, tire à deux reprises sur son amant, lequel a quitté Londres pour le rejoindre à Bruxelles, et le blesse au poignet gauche. En revenant de l’hôpital, toujours plus enfoncé dans la confusion des sentiments, Verlaine tente de tuer Rimbaud. Ce dernier a la présence d’esprit de crier, ce qui attire un policier. C’est la saison en geôle qui commence pour Verlaine, homme capable d’agresser sa femme et jeter leur nourrisson contre le mur. Un homme violent, comme son amant, en perdition.
L’entrée dans ses saisons au paradis tourmenté
Durant ses deux ans de prison à Mons, Verlaine se tourne vers la foi de son enfance en 1974. Il a appris que Mathilde a demandé et obtenu la séparation de corps. Il ne lui reste que peu, et lui parle alors l’exemple du religieux mendiant Benoît Labre, refusé par les institutions religieuses ou renvoyé pour son bien quand il est accepté, en raison de son obsession de la repentance qui risque de le plonger dans la folie. C’est le jour de l’Assomption que Paul trouve son chemin de Damas. Le rebelle parle même de sa conversion comme d’une « immense sensation de fraîcheur » l’inondant d’une « joie oubliée depuis l’enfance ». Dans sa geôle, le poète ne cessera de composer, et entre ses écrits, il y a ceux qui expriment du regret devant la destruction de sa vie, dont Le ciel est par-dessus le toit. Dans ces vers s’exprime le sentiment du gâchis et d’avoir manqué la volonté divine :
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Le poète écrit également le texte Ô mon Dieu, vous m’avez blessé d’amour, qui parle de son bonheur spirituel et de sa crainte de Dieu, et qui s’achève par ces mots : « Mais ce que j’ai, mon Dieu, je vous le donne. »
Une fois libéré, Verlaine renoue rapidement avec Rimbaud et ses anciens démons, et renie sa foi durant deux jours, avant de retrouver une ferveur religieuse, davantage faite d’un mélange de mysticisme et d’érotisme, se traînant sous le pseudonyme anagrammatique Pauvre Lélian, jusqu’à sa mort dans la misère et l’alcoolisme.
Hans-Søren Dag
Photo : Paul Marsan