Veilleurs et Nuit Debout, convergences et divergences

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Veilleurs et Nuit Debout sont deux mouvements, deux collectifs bien différents qui présentent cependant quelques convergences sur certaines dimensions, en revanche des divergences sont nombreuses sur un grand nombre de points.

Si vous voulez bien parlons au moins des convergences, ces mouvements s’inscrivent dans une protestation contre ce qui est jugé une atteinte à la vie sociale. En effet pour les Veilleurs la loi Taubira a été le déclencheur d’une manifestation sans précédent qui a amené sur les pavés parisiens plus d’un million de personnes respectivement en Janvier et mars 2013.

A la suite d’une nouvelle manifestation en Avril 2013 est né place des Invalides, le collectif des veilleurs. 5000 jeunes se sont réunis pacifiquement. Ce fut par sa singularité, une manifestation sans précédent en France, des jeunes rassemblés pour entendre des textes philosophiques, des lectures d’auteurs contemporains ou classiques.

La matrice réflexive de ce collectif des veilleurs s’est incontestablement positionnée sur le thème de la bienveillance et de la volonté de pointer tout ce qui déconstruit l’équité, la différence, la complémentarité, tout ce qui abîme et blesse l’homme.

Les veilleurs se réunissant jusqu’à aujourd’hui sur les places publiques, à Reims ils fêteront ainsi leur troisième année de présence sur la place royale sans discontinuité.

Le collectif Nuit debout lui est né de la contestation relativement à la loi El Khomri qui réforme le code du travail. A la suite des manifestations de lycéens et d’étudiants, des rassemblements de jeunes notamment sur la place de la république à Paris ont eu lieu. Le collectif Nuit Debout sur le papier est en soi intéressant…

Puisqu’il s’agit de réinventer :

  • une forme d’agora,
  • une nouvelle assemblée du peuple,
  • le dialogue démocratique,
  • de donner et de libérer la parole,
  • d’entrevoir une société humaniste qui remet à plat ses règles
  • de réfléchir à vivre autrement le débat.

Nous percevons alors le lien avec une démocratie participative et de proximité, qui conteste la confiscation de la démocratie par des experts, cette démocratie des experts, des technicistes qui peuvent aspirer à une forme d’ « horizontalité absolue » que conteste légitimement le collectif Nuit Debout et d’ailleurs pour une large part les veilleurs.

Il serait intéressant à ce sujet de montrer qu’à la différence des « Veilleurs », qui est un mouvement né spontanément, le mouvement « Nuit Debout » me semble impulsé d’en haut, car la démocratie représentative est aujourd’hui de plus en plus contestée par de nombreux sociologues et politologues qui voudraient restaurer une démocratie plus directe. D’où mes interrogations : d’où vient réellement ce mouvement ?

De la jeunesse ou de certains professeurs gauchistes qui ont toujours vu dans la démocratie représentative un moyen de soustraire l’exercice de la souveraineté au peuple ? En outre, je ne suis pas sûr qu’il faille rejeter la démocratie représentative : celle-ci à ses travers, mais la démocratie directe peut aussi conduire à une forme de tyrannie et d’oppression, favorisant même l’émergence de « leaders » qui imposent leur point de vue à l’ensemble des « débattants ».

Ainsi on peut imaginer rapidement l’émergence de nouvelles chefferies dont certains pourraient prendre les postures des orateurs de la Convention de 1793. Je vous renvoie d’ailleurs à la conclusion de notre article qui souligne les possibles travers et dérives des démocraties de rues qui dans l’histoire de notre pays rappellent celles du peuple révolutionnaire parisien en 1793 qui aspirait à une véritable souveraineté populaire.

La bonne politique suppose le recul et la distance qu’impose la représentation politique, qui est la condition permettant l’émergence de l’intérêt général. La démocratie directe à la Rousseau, il ne faut pas l’oublier, a généré la terreur de 1793, lors de la révolution ! On ne va pas rejouer le débat qui oppose Rousseau (partisan de la démocratie directe) et Sieyès (inventeur de la démocratie représentative), mais Sieyès a largement raison contre Rousseau !!!

Nous observons objectivement que les convergences avec le mouvement des veilleurs existent bel et bien sur le papier mais de façon factuelle des divergences sont en réalité nées

Ainsi très vite au sein des rassemblements de Nuit debout des dérives sont apparues, ce mouvement qui est apparu inclusif est devenu exclusif en chassant de la place un philosophe et essayiste reconnu, comme Alain Finkielkraut ne supportant pas sa seule présence alors que lui n’entendait pas intervenir mais seulement assister aux échanges, se faire sa propre opinion.

Ce mouvement ne revendique pas apparemment la libre expression et la bienveillance tandis que le mouvement des veilleurs entend construire un monde commun fondé sur les aspirations du courant pour une écologie humaine prenant soin de l’homme et de tout l’homme. Par exemple récemment Nuit Debout a organisé des débats sur le féminisme en excluant la présence des hommes sous prétexte « qu’Il fallait des espaces pour que les dominés puissent prendre conscience ensemble des pratiques d’oppression et s’exprimer, sans la présence des dominants » il y a donc bien là, à mon sens, une forme de « discrimination à l’envers » qu’il serait bon de souligner !

Nuit Debout semble ainsi plutôt s’inscrire dans une société progressiste, sur une volonté d’imposer également une forme d’unanimité via un jeu apparemment démocratique excluant la possibilité réelle de débattre en confrontant des points de vue divergents. D’où la vraie question : la quête de l’unanimité est le signe même du totalitarisme, qui exclut le débat et la contradiction. La démocratie, elle, suppose un certain consensus, mais ce consensus n’est pas le fruit d’une unanimité conformiste, elle est plutôt le fruit de la pacification (par le dialogue et le débat, qui se substituent à la violence) d’opinions nettement divergentes et contradictoires.

Les veilleurs pointent ailleurs les dérives d’une société transhumaniste et marchande, le COLLECTIF de Nuit Debout pourrait les rejoindre sur ce registre mais parce que les veilleurs sont encartés contre la loi Taubira tout dialogue devient alors impossible, ce qui montre les limites du dialogue et de la liberté d’expression.

Récemment dans une ville de province deux représentants de la Nuit Debout sont venus pour indiquer à quelques veilleurs qu’il fallait dorénavant dégager la place qu’ils mobilisaient chaque mardi, que ce n’était leur place; que les veilleurs représentants de l’intolérance n’avaient plus rien à faire là... En fait ils ont cherché à interrompre la lecture d’un passage du livre de Chantal DELSOL la haine du monde. Ce passage évoquait les deux dimensions d’une société totalitaire l’hyper individualisme post humanité, et l’holisme, de la société communiste. Ce sont ainsi les représentants de Nuit Debout qui ont cherché à expulser quelques veilleurs de la place comptant également ainsi perturber leur prochain rendez-vous.

Les veilleurs dénoncent un monde normatif et uniformisant qui emprisonne l’homme. Nuit Debout lui aspirerait au contraire à apporter de nouvelles contraintes sociales dans une forme de démocratie apparente. Chez les veilleurs la relation et la recherche du monde commun primeront toujours, mais chez ce collectif « Nuit DEBOUT », le sentiment d’unanimité d’une société en réalité close semble être promue à l’instar comme nous le rappelions précédemment, de ce rassemblement féministe excluant la présence des hommes.

Relativement à la vie sociale aux débats démocratiques, aux rapports à engager entre les hommes, il me semble pertinent de consulter la Bible. Ainsi les « écritures » apportent un éclairage, les textes bibliques sont parfaitement édifiants et explicites sur cette question en référence à ce texte de Deutéronome :

« Vois, je te propose en ce jour, d’un côté la vie avec le bien, de l’autre la mort avec le mal »
Deutéronome 30. 15

C’est ainsi que d’un point de vue biblique sont implicitement établis les fondements de la démocratie reposant sur le choix, le consentement de l’homme, la liberté d’adhérer, la liberté d’accepter le projet divin ou de le réfuter.

Si la démocratie apparait comme un moindre mal face aux sociétés totalitaires, la démocratie n’exclut pourtant pas l’adoption de décisions susceptibles de mettre en péril le bien commun par la volonté publique. La démocratie ne donne aucune assurance, aucune forme de garantie concernant l’émergence de principes valorisant la sauvegarde de la dignité humaine, de bonnes pratiques et de justes orientations. Nous assistons d’ailleurs à l’émergence de nouvelles valeurs en Europe qui sont de nature à affaiblir ou de saper demain la dignité de l’homme.

Tout comme l’individu, toute communauté sociale, tout collectif humain sont ainsi confrontés à des problèmes récurrents et ne peuvent échapper aux options morales et à l’ensemble des dilemmes d’éthique.

Pour autant jamais la violence et l’exclusion de l’autre ne devraient en être le principe de gouvernance. Les veilleurs ont explicitement rejeté le rapport à la violence, préférant la réflexion, le débat bienveillant, Nuit Debout est dans une posture plus frontale, plus agressive et d’une démocratie qui ressemblerait demain à celui d’un comité révolutionnaire de salut public.

Souvenons ainsi de 1793 qui a vu la formation du comité de Salut Public dont les formes s’apparentaient à ces attroupements publics qui précédaient son émergence ou l’on délibérait beaucoup mais sans l’action. C’est le Girondin Isnard qui sollicita, ainsi le 4 avril, la création d’un comité restreint, composé de neuf membres. Ce comité restreint qui priva par la suite le peuple de la rue de tout pouvoir de délibération. C’est ainsi qu’Isnard à la tribune prononça ces mots devenus célèbres….

« Le comité que vous avez organisé, dit-il, ne peut pas travailler efficacement au salut de la patrie. Nous délibérons beaucoup et nous agissons peu. Votre comité est un club… Dans tous les pays, en présence des conspirations flagrantes, on a senti la nécessité de recourir momentanément aux autorités dictatoriales, à des pouvoirs supra-légaux. »

Puis il esquive les éventuelles craintes susceptibles de se manifester et tente de rassurer rapidement ses auditeurs :

« Qu’avez-vous à craindre d’un comité responsable, toujours surveillé par vous, n’édictant pas de lois, ne faisant que presser l’action des agents du pouvoir exécutif ? Qu’avez-vous à craindre d’un comité qui ne peut agir sur la liberté des simples citoyens, mais seulement sur les agents du pouvoir qui seraient suspects ? Qu’avez-vous à craindre d’un comité établi pour un mois ? »

Nous savons ainsi ce que l’histoire nous a appris de ces comités qui ont mis en place la terreur et la guillotine. Ce mouvement Nuit Debout porte les germes révolutionnaires mais ses aspirations ont l’apparence de la démocratie participative mais peut contenir demain les germes de l’exclusion et d’une atteinte à la différence, à la libre expression, ce qu’hélas ce mouvement témoigne par ces quelques exemples cités précédemment.

Je tiens ici à souligner la relecture approfondie et l’éclairage de Charles Eric de Saint Germain, Professeur de Philosophie ancien élève de l’école normale supérieure.


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