Vague de coups d’État en Afrique : On les appelle désormais des « réinterprétations constitutionnelles »
Les coups d’État se succèdent à un rythme soutenu en Afrique, et surtout en Afrique de l’Ouest.
Le dernier en date, qui aurait échoué, est survenu mardi en Guinée-Bissau, et visait à renverser le président Umaro Sissoco Embalo. Il aurait fait de nombreux morts. Un coup d’État est survenu le 24 janvier au Burkina Faso, précédé d’un autre au Soudan à la fin octobre, et en Guinée en septembre.
À ceux-là s’ajoutent, au courant de la dernière année seulement, la Tunisie, le Mali et le Tchad, sans compter les tentatives avortées en Centrafrique et au Niger. Plusieurs de ces pays sont aussi aux prises avec un terrorisme islamiste meurtrier, qui vient justifier, dans certains cas, ces coups de force.
Mais ce qui est vraiment nouveau dans ces événements, c’est la manière dont ils sont qualifiés. Les nouveaux hommes forts tentent de camoufler leurs actions en nommant la réalité différemment.
En Guinée, la « farce » a atteint un sommet, comme en fait foi ce communiqué diffusé sur les réseaux sociaux et signé du nouvel homme fort de la Guinée, le colonel Mamady Doumbouya.
Ce geste que nous posons aujourd’hui n’est pas un coup d’État mais une action inaugurale permettant de créer les conditions d’un État. Plus précisément un État de droit […].
Un coup d’État ? Quel coup d’État ?
Cette tentative de qualification de leur action militaire par l’expression « une action inaugurale » n’a pas eu l’effet escompté. La plupart des médias d’information ont plutôt retenu la tournure « coup d’État » pour qualifier et rendre compte de ce qui venait de se passer en Guinée.
La même tactique a été utilisée également au Mali voisin qui s’est tristement illustré par un double coup d’État militaire en moins d’un an (août 2020 et mai 2021). Le président de la commission des lois du Conseil national de transition (CNT) Souleymane Dé a justifié l’amnistie accordée aux putschistes en niant l’existence d’un coup d’État.
Ce qu’il faudra que tout le monde comprenne, c’est que ce n’était pas un coup d’État. Il n’y a pas eu de coup d’État parce que la Constitution n’a pas été suspendue et que le président a démissionné. Il n’y a pas eu de démission sous pression, il n’y a pas de démission forcée, ça n’existe pas.
Une telle mauvaise foi ferait sourire si le sujet n’était pas aussi sérieux et tragique pour la gouvernance démocratique en Afrique. Car dans les faits, un coup d’État est bien défini comme une prise de pouvoir illégale par un individu ou un groupe qui exerce des fonctions à l’intérieur de l’appareil étatique.
Chercheur régulier au sein du Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient (CIRAM) de l’Université Laval, mes recherches portent, entre autres, sur la démocratie et les médias en Afrique.
Je reprends les trois principales questions généralement utilisées par des chercheurs comme Jonathan M. Powell et Clayton L. Thyne pour juger si une insurrection est un coup d’État :
- Les auteurs de ces actes sont-ils des agents de l’État, tels que des militaires ou des agents gouvernementaux en rupture de ban ?
- La cible de l’insurrection est-elle le chef du pouvoir exécutif ?
- Les comploteurs utilisent-ils des méthodes illégales et anticonstitutionnelles pour s’emparer du pouvoir exécutif ?
Le coup d’État constitutionnel en vogue en Afrique
À la lumière de ces définitions, la Guinée a bel et bien connu un coup d’État. Et pourtant, cette mise à l’écart du président guinéen Alpha Condé a suscité peu d’indignation sur le continent africain. Sa présidence n’a pas été un exemple de réussite en matière de gouvernance démocratique.
Certains observateurs ont parlé d’un « coup d’État militaire » (l’équivalent d’un putsch) venu rectifier un « coup d’État constitutionnel » qu’aurait exécuté l’ancien président Alpha Condé en modifiant la Constitution pour s’offrir un troisième mandat en 2020.
Cette notion de « coup d’État constitutionnel » qui renvoie à l’action de renverser l’ordre constitutionnel existant fait florès ces dernières années sur le continent africain dans des contextes aussi divers que la Tunisie, le Tchad, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin, etc.
En Tunisie, le président Kaïs Saïed affirme se baser sur une disposition constitutionnelle en cas de « péril imminent » pour geler les activités du Parlement. Sans suspendre la Constitution, il en a profité toutefois pour prendre une série de mesures d’exception qualifiée par les partis d’opposition comme un « coup d’État contre la Constitution ».
En la matière, le Togo apparaît comme un cas d’école avec une prise de pouvoir dynastique du président Faure Gnassingbé en 2005, geste que la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) qualifiait déjà à l’époque de « coup d’État constitutionnel ».
En Côte d’Ivoire, la mort subite du candidat désigné par le parti au pouvoir, a « forcé » la réinterprétation des règles constitutionnelles pour permettre à Alassane Dramane Ouattara de briguer un troisième mandat présidentiel en 2020.
Au Bénin, le projet d’instauration d’un mandat présidentiel unique a été abandonné. Depuis, les acquis démocratiques de ce pays, longtemps considéré comme modèle en la matière, sont remis en cause avec des modifications constitutionnelles non consensuelles.
Tout récemment, au Tchad, n’eût été la mort au front du maréchal-président Idriss Déby Itno, un cinquième mandat présidentiel de six ans lui était offert, avec 79,32 % des suffrages officiels exprimés en sa faveur au premier tour. Dès lors, au mépris des règles constitutionnelles en vigueur (dissolution de l’Assemblée nationale et du gouvernement), un conseil militaire transitoire dirigé par le fils du défunt président, Mahamat Déby Itno, s’est emparé du pouvoir pour une période transitoire de dix-huit (18) mois.
En période de transition, les pays basculent
Ainsi, les « transitions démocratiques » en Afrique ne conduisent pas, dans la plupart des cas, à une consolidation démocratique. En témoigne, par exemple, le deuxième coup d’État militaire intervenu au Mali durant la transition (en mai 2021). Mieux, la foisonnante littérature scientifique sur les transitions démocratiques en Afrique subsaharienne a même donné lieu à un véritable champ disciplinaire dénommé « la transitologie ».
Les transitions démocratiques en Afrique conduisent souvent à des réformes constitutionnelles donnant naissance à de « nouvelles républiques » avec un renouvellement des institutions censées garantir de meilleures pratiques. Ces réformes devraient favoriser un fonctionnement adéquat de l’État de droit et des alternances démocratiques du pouvoir exécutif dans un système politique multipartiste.
Mais une fois créées, ces institutions sont vite détournées de leur mission initiale. Dans plusieurs pays africains, les cours constitutionnelles ont pris de nombreuses décisions infondées, voire farfelues, alors qu’elles se devaient d’être le dernier recours dans un régime démocratique. Un seul exemple suffit à prendre la mesure de la situation : au Gabon, Marie Madeleine Mborantsuo est en poste depuis 1991 grâce à un décret présidentiel qui a supprimé de manière rétroactive la limitation de deux mandats.
Comment redonner de la force aux institutions ?
Le président Barack Obama, lors de son discours d’Accra devant des parlementaires ghanéens en juillet 2009, affirmait avec le sens de la formule qu’on lui connait que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes ».
Mais beaucoup de dirigeants africains ne retiennent que le mot « fort » et non pas « droit ». Or, de nombreux chercheurs préconisent l’édification préalable d’un État fort comme une condition indispensable au bon fonctionnement d’une société démocratique, fondée sur l’État de droit.
Un tel processus de monopolisation du pouvoir ne peut reposer sur le consentement et la légitimité. C’est pourquoi les propositions visant à repenser la légitimité de l’État africain à l’ère de la gouvernance partagée nous semblent porteuses. La gouvernance partagée mise plus sur l’horizontalité que la verticalité dans les prises de décision. Faisant appel au consentement des parties prenantes, elle se distingue d’une gouvernance imposée ou contrainte.
Le développement et la démocratie ne sont pas deux notions antinomiques. Mieux, les deux notions peuvent et devraient être menées de pair dans les pays africains.
Cela est d’autant plus vrai qu’au lendemain des indépendances dans les années 1960, l’Afrique a déjà essayé, sans succès, l’expérience de privilégier le développement au détriment de la démocratie et des libertés individuelles. Une expérience qui a conduit à l’instauration des régimes dictatoriaux et une gouvernance calamiteuse encouragée par les programmes d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI). Il importe donc d’apprendre de nos erreurs et de sortir de l’impasse actuelle.
Henri Assogba, Professeur titulaire au département d’information et de communication, Université Laval
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.