Laurent Joffrin directeur de la rédaction et de la publication du quotidien Libération titrait à la une de son Journal « Primaire, au secours, Jésus revient ». Le journaliste décrit ainsi son effroi que l’on puisse partager sur la place publique les convictions qui habitent un candidat aux élections organisées dans le cadre de la primaire de la droite.
Cette prise de position d’un grand média Français montre une nouvelle fois, une menace inquiétante qui pèse aujourd’hui sur les esprits en France : une forme de laïcité autoritaire et sectaire qui gagne l’ensemble de l’espace public et, par capillarité, entend s’imposer à toutes les couches de la société. La crainte d’un retour du religieux (ici, en l’occurrence, du retour des valeurs judéo-chrétiennes dont on omet cependant de préciser qu’elles ont façonné notre Occident, à tel point que même notre devise républicaine – liberté, égalité, fraternité – en est un héritage direct) est alors présentée comme une sorte d’épouvantail, comme si la laïcité était synonyme de « neutralisation des religions ». Rappelons que dans son idéal, la laïcité est l’héritage direct du christianisme (n’est-ce pas Jésus qui a le premier distingué « ce qui est à César et ce qui est à Dieu ». N’est-ce pas le protestant puritain Williams qui, le premier a tenté une séparation de l’Eglise et de l’Etat sur Rhode-Island?), la laïcité n’a jamais cherché qu’à rendre possible la coexistence pacifique des religions tout en préservant la liberté de conscience de chacun (et la liberté d’exprimer publiquement ses convictions dans le respect des convictions d’autrui fait partie intégrante de cette liberté de conscience garantie par la saine et authentique laïcité).
Ainsi, la vie religieuse des citoyens devrait être réduite au seul périmètre de la sphère privée, ce qui viendrait entraver toute manifestation sociale et publique des religions. A terme, si tant est que cela fût possible, c’est la dissolution du phénomène religieux qui semble bien visée.
Nous sommes ainsi étonnés que confesser sa foi Chrétienne, défendre des valeurs familiales, la filiation, ou dire son opposition à l’avortement relève d’une posture religieuse assimilable à « l’islam politique » et soit à ce point violemment critiqué. On aime volontiers dire que la laïcité se voudrait accueillante à l’égard des religions, mais dès qu’elles interviennent pour faire entendre leur voix dans l’espace public, notamment quand il s’agit des questions éthiques, on s’insurge aussi en voulant les refouler dans le privé, et ce au mépris de la loi de 1905, qui n’interdit aucunement l’expression publique des convictions religieuses. Le philosophe allemand Jürgen Habermas, dans son article sur « Les religions dans l’espace public » (in Entre Naturalisme et religion), invitait au contraire largement les croyants à participer au débat public, pourvu que ceux-ci puissent se conformer à « l’éthique de la discussion » qui doit inviter chaque croyant à argumenter ses convictions, c’est-à-dire à faire un « usage public de sa raison ». Or en quoi serait-il choquant d’opposer à l’avortement des arguments rationnels visant à dénoncer le prétendu « droit de la femme à disposer de son corps » (puisqu’en l’occurrence, ce n’est pas de son corps qu’elle dispose...) ou de souligner l’arbitraire d’une loi qui prétend autoriser l’interruption volontaire de grossesse jusqu’à une certaine date (et pas après) alors qu’aucun critère rationnel ne vient justifier la fixation de ce seuil ? En l’occurrence, c’est aux défenseurs de l’avortement de prouver rationnellement ce qui justifie leurs choix.
Lorsque nous lisons l’édito de libération écrit par Laurent Joffrin et lisons son propos que nous vous restituons :
« Nous avions l’Etat-providence ; nous aurons la providence sans l’Etat. C’est encore plus net dans le domaine sociétal, où ce chrétien enraciné a passé une alliance avec les illuminés de la « manif pour tous ». Il y a désormais en France un catholicisme politique, activiste et agressif, qui fait pendant à l’islam politique. Le révérend père Fillon s’en fait le prêcheur mélancolique. D’ici à ce qu’il devienne une sorte de Tariq Ramadan des sacristies, il n’y a qu’un pas ».
A lire ces mots, un homme politique ne devrait donc pas être enraciné et habité par des convictions chrétiennes, une telle posture confine au pire des sectarismes proche d’un état totalitaire qui irait jusqu’à épier et sonder votre conscience. De garante qu’elle était de la liberté de conscience, la laïcité (confondue ici avec un laïcisme militant qui n’a rien de neutre, pour le coup !) se renverse ici en son contraire, et devient un instrument d’oppression des consciences dont on suspecte, à tort ou à raison, des intentions hostiles à la seule pensée « politico-médiatico légitime » admissible dans l’espace public !
Or nous rappelons à Monsieur Laurent Joffrin que la république a aboli la religion d’Etat permettant à toute conscience de croire ou de ne pas croire. Ainsi le socle républicain valorise la liberté d’enseignement, idéalise l’épanouissement de l’individu hors des dogmes, sans lui interdire d’y adhérer. Depuis, sur les frontons de nos mairies a été arboré fièrement le mot liberté, liberté qui fut pour l’homme une véritable émancipation, un affranchissement, le choix de vivre en conscience les convictions intimes qui l’animent sans être menacé lorsqu’il les partage. La liberté devait faire face à l’obscurantisme et à toute tentative d’aliénation de la pensée. L’homme de foi quant à lui pouvait se réjouir de cette situation qui garantissait que les manifestations de cette foi n’étaient plus le fait d’un conformisme légaliste ; cette foi pouvait s’en trouver purifiée et l’incroyant ou le non-croyant protégé.
Deux siècles après la Révolution, nous voyons poindre l’émergence d’une nouvelle idéologie portée par certains médias qui imposent un LA à la pensée et atteint par là même la liberté de penser, la liberté de religion, si bien que les choses semblent s’inverser : de l’intolérance religieuse passée, de laquelle émergea l’idée d’une laïcité plutôt équilibrée, nous glissons aujourd’hui vers une laïcité intolérante, stigmatisante et, discriminante parce qu’antireligieuse. Faut-il dire alors, un siècle après, que c’est finalement Maurice Allard qui a gagné la partie, lui qui, en 1905, ne voyait dans la liberté religieuse qu’une négation de la liberté de conscience, puisque dans son inculture religieuse (partagée hélas aujourd’hui par beaucoup de nos concitoyens qui n’ont plus la moindre culture religieuse), Allard ne concevait d’autre moyen d’émancipation pour la conscience que de s’affranchir d’un obscurantisme religieux qui, disait-il, « empêcherait de penser » ! Nous laissons chacun juge de savoir de quel côté se trouve l’obscurantisme, mais peut-être faudrait-il lui conseiller de jeter aux bûchers tous les livres de philosophie et de théologie marqués par un héritage religieux, ce qui assurément, ferait un bel et superbe autodafé ! Aristide Briand, un vrai libéral lui, doit aujourd’hui s’en retourner dans sa tombe, quand on voit ce que certains font de sa loi !
Nous, « chroniqueurs », voulons ici exprimer notre étonnement relatif à la brutalité de cet éditorial qui traite la religion comme si elle était un danger pour les valeurs républicaines. Nous exprimons notre inquiétude, voire notre méfiance envers ce postulat qui semble avoir pour conséquence la volonté d’imposer une nouvelle religion d’Etat, paradoxalement comprise comme « athéisme d’Etat ». Nous y voyons une manœuvre médiatique par laquelle un journal s’arrogerait indûment le droit de former les consciences, voire de les formater pour changer en profondeur les mentalités.
Cette mainmise d’un média qui se fait l’idole de la pensée juste est absolument inacceptable ! L’allié le plus sûr de cette situation violente et choquante sur le fond, c’est le cynisme doux qu’emploie le ton sarcastique de l’article « au secours Jésus revient : tout cela contribue à anesthésier l’opinion. Cette forme adoucie de totalitarisme qui est une nouvelle forme d’obscurantisme, nous la dénonçons.
Jean Baubérot, historien et sociologue des religions écrivait il y a peu que la laïcité était censée « permettre de vivre dans la paix sociale des rapports différents à la sécularisation selon qu’on soit proche ou distancié de la religion (…). La laïcité n’a donc pas à imposer aux gens de se séculariser car cela devient une atteinte à leur liberté de conscience ». Que Monsieur Fillon partage ses convictions chrétiennes est dès lors son droit le plus absolu, tant qu’il ne prétend pas les imposer, et le « procès d’intention » fait par certains médias (et par Alain Juppé lui-même) est dès lors déplacé et inqualifiable. Lui défendre d’exprimer sur la place publique ses convictions relève bien de l’imposture (bien que Fillon, à la différence de J-F. Poisson, n’ait nullement déclaré publiquement qu’il était contre l’avortement). Le positionnement de ce débat politique proposé par Laurent Joffrin révèle subrepticement le totalitarisme d’un média qui se donne prétentieusement le droit de décider du bien et du mal, et de l’imposer à ses concitoyens, sans la moindre argumentation rationnelle pour justifier ce droit de « censure ».
Avec Charles Eric de Saint Germain