Une centaine d’employés d’une megachurch portent plainte pour avoir dû payer la dîme

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La megachurch Churchome située dans l’État de Washington est poursuivie en justice par une centaine d’employés, anciens et actuels, qui ont été forcés de payer la dîme, sous peine d’être licenciés. Un responsable de cette Église, qui accueille des stars comme Justin Bieber, a fait pression sur une employée en difficulté en disant qu’il avait dû vendre sa maison afin de se conformer à cette obligation.

En répondant en 2019 à une offre d’emploi de la Churchome, située à Kirkland près de Seattle, Rachel Kellog n’imaginait le calvaire à venir. La proposition de travail dans le secteur audiovisuel de l’Église ne mentionnait pas la politique de la dîme, et il n’en fut pas davantage question lors de l’entretien d’embauche. Une telle pratique tombe sous le coup de la loi de l’État qui interdit le remboursement des salaires ainsi que celle de protection des consommateurs, mais elle est répandue à grande échelle dans cette méga-église dirigée par Judah Smith, "chef de la communication", et son épouse Chelsea, responsable de la théologie.

Le 21 mars dernier, les avocats de Rachel Kellog et d’une centaine d’autres personnes ont déposé une plainte de 44 pages auprès d’une cour supérieure de l’État concernant la dîme obligatoire pratiquée par l’Église depuis 2020 et décrite comme "un régime systémique d’abus de salaires et d’horaires à l’encontre des employés". Le mémoire qualifie cette exigence "d’actes ou de pratiques injustes ou trompeuses et de méthodes de concurrence déloyale" et vise le couple Smith ainsi que le directeur général de Churchome, David Kroll.

Selon les plaignants, les dirigeants de l’Église ont instauré la politique de la dîme "en visant un gain financier ou un moyen de subsistance" pour eux-mêmes et leurs couples et l’ont assortie de mesures disciplinaires. Ils réclament la restitution de leurs salaires.

Sanctions disciplinaires et licenciements

C’est en avril 2020 que Kellog a réalisé à quel point cette obligation était contraignante, après que la congrégation eut cessé de se réunir dans ses locaux en raison du Covid-19. Le pasteur principal a informé les employés qu’ils devaient continuer à verser 10 % de leurs revenus, et leur a signalé que des salariés avaient déjà été licenciés pour ne pas avoir obéi à cette règle. Lors de cette réunion à distance, le pasteur principal aurait dit aux employés :

"Je vais être très honnête : des gens ont déjà changé de poste et été congédiés parce qu’ils ne payaient pas la dîme. Ne pas donner une dîme d’un salaire qui provient lui-même d’une dîme, ça ne marche pas avec moi !"

Prétendant légitimer ses exigences par la Bible, Judah Smith a cité un verset des Écritures en assurant qu’il lui avait été envoyé par l’ancien joueur des Seahawks de Seattle, une équipe de football américain, et membre du conseil d’administration, Russell Wilson. Selon lui, l’ancienne star du ballon expliquait pourquoi "rembourser 10 % du salaire à Churchome est une question "noir ou blanc" encore plus importante que le rite de la communion."

Dans un contexte de forte incertitude économique, Kellog, qui travaillait à distance depuis la Caroline du Sud, et ses collègues ont préféré payer afin de garder leur emploi, et l’֤Église a prélevé la somme en deux fois chaque mois. Une situation décrite avec ironie par un lecteur du Christian Post dans les commentaires :

"Mes yeux s’affaiblissent à mesure que je vieillis. Au lieu de Churchome, j’ai cru que c’était Churchprison."

L’indifférence absolue aux situations dramatiques des employés

Mais la maltraitance financière s’est révélée encore plus cruelle pour Kellog quand elle a été blessée dans un accident de voiture en août suivant et a dû faire face à d’importants frais médicaux. Elle n’a plus été en mesure de rendre 10 % de son salaire à partir de décembre 2020. Un autre malheur est venu frapper la jeune femme lorsqu’elle a dû quitter son logement en juillet 2021 et en prendre un autre au loyer "considérablement plus élevé".

Cependant, insensible aux difficultés de Kellog à subvenir à ses propres besoins, le directeur du pôle "Création" de l’Église, Wes Halliburton, a rappelé à l’employée quatre mois plus tard qu’elle devait respecter ses obligations.

Selon le mémoire que cite la journaliste évangélique Julie Roys, Halliburton a écrit plusieurs messages à la salariée en grande difficulté :

"Je ne suis pas sûr que vous ayez commencé à donner depuis notre dernière conversation, mais vous devez le faire le plus tôt possible."

Anxieuse à l’idée de perdre son emploi, Kellog a répondu qu’elle avait l’intention de recommencer à payer la dîme en janvier, mais qu’elle serait limitée :

"Ce ne sera probablement pas 10 % pour commencer, mais je ferai du mieux que je pourrai pour remonter la pente et mes finances seront alors plus stables."

Les excuses et demandes de compréhension de l’employée n’ont pas suffi, et c’est le responsable direct de son poste, Ben Sorte, qui lui a adressé une réprimande en mettant en avant le caractère non pas ecclésiastique mais entrepreneurial de la congrégation :

"Votre obligation quant à la politique de l’entreprise [sic] sur la dîme n’a pas été respectée depuis un certain temps, et cela a créé une tendance qui contrevient directement à la politique de l’entreprise mentionnée […] Je m’attends à ce que vous suiviez la politique de notre entreprise en matière de dîme. Bien que je comprenne la complexité des finances, il s’agit d’une obligation pour tous les employés de l’Église, et vous devez immédiatement corriger cette tendance."

Afin de convaincre la jeune femme récalcitrante par l’exemple, le directeur du contenu, Joe Goods, lui a raconté qu’il avait, pour sa part, vendu sa maison afin de payer sa dîme lorsqu’il s’était retrouvé dans une situation difficile. Il lui a également affirmé que désormais l’Église ferait des audits tous les six mois afin de s’assurer que les employés étaient en conformité avec leurs devoirs, et il a ajouté qu’elle pourrait être "retirée du personnel" si elle ne commençait pas à payer.

Le 7 mars, Goods lui a transmis un message disant que l’équipe dirigeante de la congrégation s’attendait à ce que la dîme fût versée dans les quatre semaines, et l’a informée que plusieurs employés avaient déjà été réprimandés. Effrayés par ces menaces ou ayant déjà été licenciés, Kellog et plusieurs employés et anciens salariés ont saisi la justice deux semaines plus tard.

Loin de faire amende honorable et de chercher à éviter le procès, l’Église a dit à la chaîne King 5 News par la voix de son avocat son intention de "défendre vigoureusement les droits de toutes les institutions religieuses à vivre, enseigner et modeler leur foi en s’appuyant sur leurs employés". Feignant de croire à un choix librement consenti, elle affirme que "le premier amendement garantit le droit d’une congrégation de réserver les emplois aux salariés qui choisissent de se conformer à son enseignement".

Jean Sarpédon

Crédit image : Creative Commons/ Pixabay

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