L’évolution des glaciers de montagne est un enjeu majeur : ils servent dans de nombreux pays de réservoir d’eau potable, ont un impact économique via le tourisme notamment et participent à la montée du niveau des mers. Cette évolution était jusqu’à alors mal connue. Nous venons de publier un atlas mondial mesurant les vitesses d’écoulement et les épaisseurs de plus de 200 000 glaciers, ainsi qu’un article scientifique dans la revue Nature Geoscience.
Malgré leur taille réduite (727 000 km²) face à celle cumulée des deux grandes calottes que sont l’Antarctique (14 millions de km²) et le Groenland (1,7 millions de km²), la fonte des glaciers de montagne a contribué à 30 % de l’élévation du niveau des mers depuis les années 1960.
Au-delà de cet impact global, le rôle des glaciers et de leur évolution est primordial au niveau local, ainsi, leur devenir est une source de préoccupation grandissante pour les zones de montagne et leurs piémonts.
Des glaciers bien méconnus
En dépit de ce rôle fondamental des glaciers, nous n’avons qu’une idée très limitée des volumes de glace stockés dans les glaciers. Ceci vient notamment du fait que les glaciers sont répartis sous toutes les latitudes, dans des régions souvent difficiles d’accès. Travailler directement sur le terrain est donc très complexe. Ainsi, des mesures des épaisseurs de glace n’existent actuellement que sur à peine plus d’1 % des glaciers à la surface de la Terre (en dehors des calottes du Groenland et de l’Antarctique).
À cause de ce manque d’observations, les scientifiques ont développé des méthodes indirectes pour estimer les quantités de glace sur la Terre. Ces méthodes ont d’abord été basées sur l’aire des glaciers, facilement cartographiable à partir de photos aériennes ou d’images satellites.
À partir des années 2000, des méthodes basées sur la pente en surface du glacier ont vu le jour, lorsque des modèles numériques de la surface de la Terre ont commencé à être disponibles à l’échelle globale.
Au-delà de la pente, la vitesse à laquelle s’écoule le glacier constitue une information encore plus pertinente pour estimer la distribution des épaisseurs de glace. En effet, les glaciers s’écoulent sous l’effet de leur propre poids ; une image souvent utilisée est celle d’un fluide très visqueux, comme du miel. Par conséquent, cartographier la vitesse à laquelle s’écoule le glacier est essentiel pour mieux estimer la distribution des épaisseurs de glace et donc le volume des glaciers.
Cependant, les observations sur le terrain de ces vitesses d’écoulement sont, là encore, très limitées, mais la quantité massive d’images prises depuis les satellites a ouvert des perspectives formidables pour mesurer l’écoulement de tous les glaciers de la Terre.
Les satellites à la rescousse
Pour quantifier la vitesse d’écoulement de l’ensemble des glaciers du monde, les chercheurs de l’Institut des Géosciences de l’Environnement de Grenoble et du Dartmouth College (USA) ont utilisé plus de 800 000 paires d’images satellite. Ces images ont été acquises entre 2017 et 2018 par les satellites Landsat-8 de la NASA et les satellites Sentinel-1 et Sentinel-2 de l’Agence spatiale européenne (ESA). Cette nouvelle génération de satellites constitue une révolution pour l’observation des glaciers, avec des images de l’ensemble des terres émergées acquises de façon systématique à des intervalles de temps réguliers (de 5 à 16 jours). Par exemple, les satellites Sentinel-2A et 2B acquièrent une image de chaque point de la surface terrestre tous les 5 jours, avec la possibilité d’observer des objets d’une taille de quelques dizaines de mètres. Ainsi, entre deux images consécutives, le déplacement d’un glacier est clairement visible dans ces images.
Plusieurs millions d’heures de calculs sur les serveurs de l’Université Grenoble Alpes nous ont été nécessaires pour permettre d’assembler un atlas unique de l’écoulement de plus de 200,000 glaciers autour de la Terre.
L’un des principaux apports de cet atlas est la couverture d’une très grande diversité de glaciers, allant de petits glaciers Andins de seulement quelques kilomètres de long, jusqu’à des calottes de l’Arctique canadien ou des champs de glace en Patagonie, s’écoulant sur des étendues de plusieurs milliers de kilomètres carrés. Ces cartographies permettent ainsi de mieux connaître la manière dont s’écoulent les glaciers.
Elles illustrent la grande variété de comportements, avec des glaciers qui s’écoulent à quelques dizaines de mètres par an (comme certains glaciers des Alpes), et d’autres dont les vitesses d’écoulement atteignent plusieurs kilomètres en une seule année (par exemple certains glaciers de Patagonie). Cette base de données unique permet aux chercheurs de mieux contraindre la représentation des glaciers dans les modèles, et ainsi de mieux estimer leur évolution future.
Par ailleurs, c’est cet atlas exhaustif des vitesses d’écoulement glaciaire qui a permis à notre équipe de réestimer la cartographie de la distribution des épaisseurs de glace et donc du volume des glaciers. En effet, en combinant les informations sur la vitesse d’écoulement en surface des glaciers avec celle de la pente de surface, dans un modèle numérique simulant la manière avec laquelle la glace glisse et se déforme, nous avons ainsi proposé une nouvelle représentation de la géométrie des glaciers.
En de multiples régions, les résultats de ce travail viennent apporter des estimations significativement différentes des précédentes, avec des conséquences importantes sur la disponibilité en eau potable pour la consommation, mais aussi par exemple pour l’agriculture ou la production hydro-électrique. Par exemple, dans les bassins de l’Indus et du Chenab, situés en Himalaya, les stocks d’eau que renferment les glaciers seraient 30 % plus importants que les études précédentes. À l’inverse, dans les Andes tropicales d’Amérique du Sud, les nouvelles estimations sont plus alarmantes, avec des stocks d’eau glaciaire près d’un quart plus faibles, augmentant ainsi la pression sur les ressources en eaux dans ces régions.
Au-delà d’un nouvel inventaire du volume des glaciers, cette étude permet de redéfinir la géométrie en trois dimensions des glaciers avec plus de précisions et en accord avec la mécanique d’écoulement de la glace. Ceci est crucial pour mieux simuler l’évolution future des glaciers et, en particulier, identifier quels sont les secteurs où les glaciers vont disparaître et ceux où ils devraient persister, au moins jusqu’à la fin du siècle, bien que dans des proportions nettement plus réduites.
Cette étude marque une amélioration majeure dans la quantification de la distribution des épaisseurs de glace. Cependant, l’estimation du volume des glaciers reste sujette à des incertitudes importantes, notamment dans les régions du monde où les populations dépendent fortement des glaciers. Pour minimiser ces incertitudes et améliorer les résultats dans ces régions, il est primordial de pouvoir disposer de quelques observations de terrain afin de mieux contraindre la calibration de la modélisation de l’épaisseur. Cette étape de calibration est d’autant plus importante que les glaciers sont des objets variés, soumis à des conditions environnementales multiples. Par conséquent, utiliser dans les modèles des lois de comportement établies sur la base d’observations conduites sur peu de glaciers est nécessairement source d’incertitudes.
Romain Millan, Post-doctorant en glaciologie, Université Grenoble Alpes (UGA) et Antoine Rabatel, Glaciologue, Physicien à l’Université Grenoble Alpes, Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.