Un an de revenu universel en Espagne : Un sentiment d’inachevé

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La question de la mise en place d’un revenu universel s’invite régulièrement dans les débats. Son introduction en France constituait d’ailleurs une des mesures phares du candidat socialiste à l’élection présidentielle de 2017, Benoît Hamon. Depuis, une ébauche en a été proposée en Espagne, durant le premier confinement, par le gouvernement de Pedro Sanchez. Un an après l’introduction du dispositif, qui devait concerner dans un premier temps les moins fortunés, un article publié dans The Conversation Espagne en dresse un bilan mitigé, le premier texte semblant avoir été largement improvisé.


Si la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions, l’incontinence réglementaire des gouvernements constitue souvent la carrière d’où sont extraits les pavés.

Fin mai 2020, plongée dans une pandémie mondiale sans précédent, la société espagnole a accueilli à bras ouverts l’annonce par le gouvernement d’une mesure visant à lutter contre l’extrême pauvreté et l’exclusion sociale, sous le slogan « que nadie se quede atrás » (que l’on peut traduire en « que personne ne reste sur la touche »).

Un an plus tard, à ces bonnes intentions répond la frustration de plus d’un demi-million de personnes dans le besoin qui, à ce jour, ne peuvent toujours pas accéder à la prestation.

La naissance pleine d’espoir de la mesure

Avec le décret-loi royal 20/2020 du 29 mai 2020, le revenu vital minimum (RVM), une prestation économique pour l’intégration des personnes en situation de vulnérabilité économique et sociale, a été approuvé. En Espagne, ce type de mesure décidée par l’exécutif intervient en seconde position dans la hiérarchie des normes, derrière les lois votées par le parlement.

Pour agir, le gouvernement s’appuyait notamment sur l’article 41 de la Constitution espagnole qui reconnaît le droit à la sécurité sociale. Le RVM devait apporter une réponse urgente aux cas de pauvreté et d’exclusion dont les chiffres dépassaient déjà la moyenne de l’Union européenne avant la crise sanitaire, qui a par la suite aggravé la situation. Le Conseil européen alertait d’ailleurs sur ce point dans sa recommandation de 2019 sur le programme national de réforme.

Le droit à l’assistance sociale reste d’ailleurs un droit de l’homme internationalement reconnu, d’autant plus que l’objectif de développement durable 1.3 des Nations unies exhorte les États à mettre en œuvre des systèmes de protection sociale universelle.

Cette prestation a été conçue, d’après le décret-loi royal, comme un « outil pour faciliter le passage des individus de l’exclusion sociale imposée par l’absence de ressources à une situation dans laquelle ils peuvent s’épanouir pleinement dans la société ».

D’après Oxfam, la crise sanitaire a plongé un million d’Espagnols supplémentaires sous le seuil de pauvreté (24 euros par jour). Oscar Del Pozo/AFP

À cette fin, l’objectif était de garantir un revenu minimum en fonction du nombre de membres du foyer. Celui-ci serait de plus compatible avec les dispositifs prévus par chacune des administrations autonomes, faisant ainsi office de prestation plancher.

Dans le même temps, des mécanismes complémentaires ont été introduits pour favoriser l’intégration sociale, tels que la possibilité de cumuler la prestation avec des revenus issus d’un travail dans certains cas, l’obligation de participer aux programmes d’inclusion du gouvernement, ou celle de s’inscrire comme demandeur d’emploi avec le reste des membres de l’unité de cohabitation. Était aussi prévue la mise en place de mesures incitant les entreprises à embaucher des bénéficiaires du RVM.

Une mise en œuvre mouvementée

Depuis son entrée en vigueur, le règlement a été validé par les députés mais aussi modifié à cinq reprises, pour des aspects liés aussi bien à la procédure qu’à son régime juridique et à son application, ce qui traduit en creux un haut degré d’improvisation dans l’approbation du texte initial.

La dernière réforme en profondeur, introduite par le décret-loi royal 3/2021, le reconnaît dans son exposé des motifs :

« La période de mise en œuvre de la prestation, depuis son entrée en vigueur, a mis en évidence la nécessité d’améliorer certains de ses aspects afin de permettre la couverture du plus grand nombre de personnes et de pouvoir inclure certaines situations qui, avec la réglementation actuelle, échappent au dispositif ou ne sont pas incorporées de façon satisfaisante ».

Ces difficultés apparaissent de façon encore plus évidente si l’on regarde les chiffres avancés par un communiqué de presse du ministère de l’Inclusion, de la sécurité sociale et des migrations en date du 18 mars 2021 :

  • Sur les 1 150 000 demandes valides reçues, plus de 800 000 ont été traitées. Parmi celles-ci, 600 000 ont été rejetées, 210 000 ont été approuvées et 62 000 sont en cours de rectification. Il convient toutefois de garder à l’esprit que quelque 75 000 personnes se sont vues intégrer d’office dans le dispositif parce qu’il s’agissait de bénéficiaires de revenus minimaux régionaux qui remplissaient déjà toutes les conditions d’accès à la prestation. Par conséquent, l’aide approuvée sur demande ne concernerait à cette date que 135 000 personnes. Même en comptant toutes les demandes approuvées (210 000), cela ne représente que 25 % des demandes traitées.
  • Les ménages ou unités de cohabitation sont composés en moyenne de 2,77 personnes et la prestation moyenne accordée par ménage ou unité de cohabitation est de 460 euros.
  • Plus de 70 % des bénéficiaires de prestations sont des femmes.
  • Quarante-trois pour cent des personnes vivant dans des ménages bénéficiant du RVM sont des mineurs, et près de 70 % des unités de cohabitation comptent au moins un mineur.

Comme nous pouvons le constater, les données ne traduisent pas seulement la complexité de l’accès ou des critères d’éligibilité serrés. Elles montrent aussi que la pauvreté et la vulnérabilité sociale touchent principalement les femmes et les personnes âgées. Cela devrait rappeler au législateur que le déploiement du dispositif devrait faire la part belle aux problématiques de genre de l’enfance.

Les nouveaux amendements comme reflet de ses lacunes

Jusqu’à présent, les cinq réformes entreprises ne semblent pas suffisantes et différentes propositions ont été avancées ces derniers mois pour améliorer encore la réglementation. Cela se ferait désormais sous forme de loi.

D’une part, le syndicat UGT considère qu’une réforme structurelle plus large serait nécessaire. En ce sens, il propose d’abaisser de l’âge d’accès à 18 ans, de considérer la situation de vulnérabilité au moment de la demande sur la base des revenus déclarés, de mettre un place un accès automatique au RVM une fois que toutes les allocations de chômage ont été épuisées. Il demande aussi à ce que la certification de la situation de vulnérabilité qui détermine l’accès au dispositif fasse l’objet d’une gestion publique directe.

Néanmoins, le syndicat avertit également que, malgré ces réformes prioritaires, le RVM continuerait de présenter une série de limites qui le rendent incapable de répondre aux situations de grande pauvreté.

De son côté, Unidas Podemos a déposé 12 amendements, appelant à supprimer de la nécessité de prouver une résidence légale, continue et ininterrompue d’au moins un an en Espagne pour les demandeurs de protection internationale, les émigrants espagnols de retour au pays, les mineurs vivant dans des foyers en situation irrégulière ou les victimes de la traite ou de violences de genre.

Le parti propose également l’exclusion des prestations pour charges de famille dans le calcul du revenu, la réduction de l’exigence d’une unité de cohabitation indépendante à deux ans pour les personnes de moins de trente ans, ainsi que la révision de l’échelle des paliers pour le calcul de la prestation afin qu’elle n’implique pas un désavantage comparatif pour les familles monoparentales ayant quatre enfants à charge ou plus.

En résumé, depuis le débat théorique initial sur le revenu de base universel en tant que mécanisme permettant de garantir une reconnaissance de base à tous les membres de la société sans autres exigences, jusqu’à la réalité actuelle du RVM, un fossé existe entre ce qui a été promis et ce qui a été finalement convenu.

Nuria Reche Tello, Profesora Doctora Derecho Constitucional, Universidad Miguel Hernández

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : photocosmos1 / Shutterstock.com


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