Ahok, chrétien et Gouverneur de la capitale du plus grand musulman du monde, n’en finit plus de faire face à l’hostilité des islamistes qui exigent sa condamnation pour blasphème. Les manifestations se succèdent, et la justice est saisie de l’affaire. Le Gouverneur s’en remet à la prière de ses coreligionnaires.
« Je vous demande de prier pour moi afin que le processus judiciaire soit équitable et transparent, et j’espère laisser ce trouble derrière moi le plus rapidement possible. Ainsi, je pourrai utiliser mon temps pour mieux servir les habitants de Jakarta », a déclaré Basuki Tjahaja Purnama, surnommé Ahok. Le chef de la capitale s’est exprimé sur un ton religieux en disant croire que Dieu tenait le destin des hommes entre ses mains. Un propos tenu depuis le bureau du procureur général à qui la police venait de remettre en sa présence le dossier le concernant.
Le procureur a transmis le rapport dans la soirée même au tribunal du district de Jakarta Nord, alors que d’habitude cette communication prend plus d’un mois. Le dossier qui est déclaré complet, plaide en défaveur d’Ahok qui est accusé de blasphème après qu’il avait mentionné un verset du Coran sur l’impossible alliance entre les musulmans et les chrétiens. Basuki encourt cinq ans de prison pour son supposé délit, mais le procureur général a également rajouté, à la demande de la police, une demande de condamnation pour discours haineux qui fait risquer au gouverneur jusqu’à six ans de détention. Ahok reste libre durant la période des poursuites, le procureur général estimant qu’il s’est montré coopératif. Il ne pourra cependant pas quitter le territoire.
Une dénonciation de l’instrumentalisation du Coran taxée de blasphème
L’affaire intervient en pleine campagne électorale, alors que Basuki Tjahaja Purnama est candidat à sa propre succession. A l’occasion d’un rassemblement politique, le 27 septembre dernier, Ahok avait moqué l’instrumentalisation du Coran par les islamistes, en citant ironiquement le verset 51 de la sourate al-Maidah (La table servie) qui dit que quiconque, parmi les musulmans, prend les chrétiens ou les juifs pour allié, devient l’un des leurs.
Pour le Gouverneur, il ne s’agissait de blasphémer, mais de dénoncer le seul argument des islamistes qui, pour lui, tordait le Coran. Depuis, les rues de la capitale sont en ébullition, elles deviennent le lieu de prières contre le Gouverneur et de manifestants réclamant la peine de mort pour lui, dans un pays à 90% musulman qui pratique un islam sécularisé et où les deux grands journaux, le Jakarta Post et le se distancient des revendications de cette foule hostile.
Mi-octobre, la police a annoncé une enquête concernant les propos du gouverneur. Un mois plus tard, le 16 novembre, le chef du service des enquêtes criminelles, le commissaire général, Ari Dono, a déclaré à la presse : « Bien que les avis divergent parmi les enquêteurs, la plupart estiment que cette affaire devrait être traitée dans le cadre d’un procès ouvert. » Cette enquête n’a cependant pas suffi aux islamistes qui maintiennent la pression, et attendent désormais de la justice qu’elle condamne le Gouverneur. L’avocat d’Ahok craint que la justice ne puisse faire son travail de manière impartiale, sous la pression de la rue.
Après une longue période de silence, le chef de l’État, Joko Widodo, proche d’Ahok avec qui il fut élu à la tête de Jakarta, avant de lui céder sa place lorsqu’il accéda à la fonction suprême dans le pays, a trouvé le moment opportun pour essayer d’apaiser la situation. Vendredi dernier, alors que 200 000 personnes, selon la police, priaient dans la rue contre Ahok, le Président s’est rendu sur place afin de les féliciter pour leur calme, et les appeler à rentrer chez eux. Accompagné du vice-président, du ministre des Affaires religieuses et du ministre de l’Intérieur, Widodo a diplomatiquement exprimé sa gratitude : « Merci pour vos prières pour la sécurité du pays. J’apprécie chacun de ceux qui sont venus et ont maintenu l’ordre, de telle sorte que l’événement puisse bien se dérouler. » Une façon de tenter de désamorcer la crise. Widodo a par ailleurs en mémoire les violences contre les Chinois lors des émeutes de 1998, au cours desquelles plus d’un millier de personnes avaient été tuées ; et il n’ignore pas que le Gouverneur est attaqué non seulement pour sa religion, mais aussi sur ses origines chinoises. Au-delà du Gouverneur, c’est aussi le Président, un libéral, qui est visé.
Élu vice-gouverneur de Jakarta, le 20 septembre 2012, après avoir été choisi comme colistier par Joko Widodo, Basuki est automatiquement devenu Gouverneur suite à l’élection de « Jokowi » à la Présidence de la République. Les islamistes ont toujours dénoncé la candidature puis l’autorité d’Ahok. L’élection pour le poste de gouverneur doit se tenir en février prochain. Le procès, quant à lui, débutera le 13 décembre, le juge le présidant sera assisté de quatre magistrats, et le public pourra y assister. Dimanche dernier, 30 000 personnes, d’après la police, ont manifesté pour exprimer leur soutien au Gouverneur.
Hans-Søren Dag