Samedi 14 août 2021, 8h29 du matin, la terre tremble en Haïti. Déjà durement frappé il y a 11 ans par un séisme qui a ébranlé la capitale Port-au-Prince et fait entre 100 000 et 250 000 victimes, Haïti est de nouveau touché par un séisme de forte magnitude (Mw 7,2 magnitude de moment), cette fois-ci le long de la péninsule sud, environ 100 km à l’ouest de Port-au-Prince.
Les dégâts sont considérables et le bilan est déjà lourd. Alors que les secours tentent de sauver des vies, de nombreuses répliques sismiques frappent la zone épicentrale, comme attendu après tout séisme d’une telle ampleur.
Éric Calais, Fourni par l’auteur
Des scientifiques haïtiens, français, japonais, américains, eux, travaillent pour tenter de comprendre ce qui s’est passé, afin de produire de l’information utilisable au plus tôt par les secours et de mieux pouvoir anticiper ce genre d’événements à l’avenir. Ce travail est plus simple qu’en 2010 grâce à une combinaison d’efforts locaux et internationaux ayant abouti à la mise en place d’un réseau de stations sismologiques dites « citoyennes » en Haïti.
Hispaniola, une île aux frontières de deux plaques tectoniques
L’île d’Hispaniola, deuxième plus grande île des Caraïbes partagée entre la République dominicaine et Haïti, est parcourue par de grandes failles sismiques résultant de la subduction (l’enfoncement) de la plaque nord-américaine sous la plaque caraïbe. À cet endroit, ce mouvement se fait de façon tellement oblique sous Hispaniola et Porto Rico que le mouvement active à la fois des failles inverses (aussi appelées chevauchements) et des failles décrochantes (aussi appelés décrochements).
Wikimedia, CC BY
Ces séismes peuvent se répéter sous la forme de séquence d’évènements : ce fut le cas au XVIIIe siècle où quatre séismes destructeurs frappèrent le sud de l’île en 1701, à deux reprises à trois mois d’intervalle en 1751, et en 1770.
Le 14 août dernier, les grandes agences sismologiques mondiales ont produit une première analyse du séisme en quelques minutes. Grâce aux données ouvertes des stations sismologiques du monde entier, situées à des milliers de kilomètres d’Haïti, on sait que le mouvement a été à moitié décrochant et à moitié chevauchant, avec un épicentre, point où commence la rupture, situé dans la péninsule du sud d’Haïti. Le glissement total est d’environ 1 à 2 mètres et la rupture a duré environ 25 secondes.
Pourquoi travailler si vite est-il important ?
Cependant, établir un tel modèle du séisme revient à tenter de déchiffrer une conversation ayant lieu dans la pièce d’à côté. On sait que quelqu’un parle, mais on n’arrive pas à savoir qui parle et ce qui se dit exactement.
Ici, les données sismologiques globales ne permettent pas d’identifier quelle faille a rompu, si la rupture a atteint la surface ni où se distribue le glissement. Or, ces informations sont cruciales pour les secours afin d’identifier les régions où les dégâts ont été les plus importants, car l’accès à la zone de faille est ardu et nécessite une organisation complexe, que nous mettons en œuvre, mais qui doit composer avec l’urgence de la situation.
C’est alors qu’entrent en jeu les données sismologiques locales et les images satellites.
Depuis 2010, une mise en capacité réussie en Haïti
En 2010, l’intervention scientifique fut très complexe à mettre en œuvre et il fallut de longues semaines avant que les premières données utilisables ne soient disponibles. En effet, il n’y avait à l’époque ni sismologue haïtien ni réseau sismologique national, et les scientifiques restèrent longtemps « aveugles » face à l’événement qui venait de se produire.
Ce séisme marqua le réveil de la sismologie en Haïti, grâce à l’engagement de jeunes haïtiens qui allèrent se former à l’étranger, à la mise en place d’un master en géoscience à l’université d’État, et au développement d’un réseau sismologique national maintenu par le Bureau des Mines et de l’Énergie. Les soutiens internationaux furent nombreux pour accompagner Haïti dans cette évolution scientifique (France, États-Unis, Belgique, Canada notamment). Nous en recueillons tous les fruits aujourd’hui : trois jours après le séisme, trois jeunes sismologues haïtiens sont partis pour installer des sismomètres et stations GPS sur le terrain. Cette rapidité de réponse, essentielle pour ne rien rater des chuchotements sismiques de la zone du séisme – la « conversation » mentionnée plus haut – était impensable en 2010.
Citizen seismology, des sismomètres « chez l’habitant »
Par ailleurs, l’idée de compléter le réseau sismologique national par un effort impliquant les citoyens a vu le jour en 2019. L’organisme haïtien en charge du réseau sismologique officiel peinait à trouver des fonds pour maintenir les sismomètres opérationnels. De plus, les études montraient un réel besoin – une demande même – des citoyens pour plus d’information sur les séismes et les risques environnementaux en général.
L’arrivée sur le marché en 2019 de sismomètres simples et compacts a changé la donne : des petites boîtes de la taille d’un téléphone portable, placées dans son salon ou un bureau, connectées à l’internet et à l’électricité, leurs données sont mises à disposition des sismologues en temps réel. À ce jour, 15 stations citoyennes sont opérationnelles en Haïti, hébergées par des « sismo-citoyens ».
Les données, mises à la disposition de tous sur Internet, ont d’ores et déjà permis de mieux localiser l’épicentre du 14 août dernier et de localiser en temps réel les nombreuses répliques toujours en cours.
En effet, suite à un séisme, les contraintes tectoniques sont localement chamboulées. Ce nouvel état des forces telluriques est accommodé par de nombreuses répliques, des séismes de magnitudes plus faibles que le choc principal, dont le nombre et la magnitude décroissent avec le temps. La distribution spatiale des répliques indique une rupture d’environ 80 kilomètres de long, orientée Est-Ouest, avec l’épicentre situé à l’extrême est de la rupture.
Des images satellites pour voir la rupture
L’imagerie optique – de « simples » photographies du sol depuis l’espace – a permis de cartographier dans la journée suivant le séisme de nombreux glissements de terrain. Malheureusement, Haïti est une zone très nuageuse, et nous n’avons pas pu détecter les déplacements de surface qui auraient permis de voir si la rupture avait effectivement rompu la surface (déplacements qui font souvent quelques dizaines de centimètres).
Copernicus #Sentinel2 imagery reveals extensive #landslides near the fault rupture of yesterday’s M7.2 #earthquake in western #Haiti. Comparison with previous (Aug 9) image. pic.twitter.com/2upJ4RKlsi
— Sotiris Valkaniotis (@SotisValkan) August 15, 2021
Grâce à l’imagerie radar, une première cartographie des dommages était réalisée dès le lendemain du séisme (on regarde si chaque pixel change beaucoup d’aspect entre les passages successifs du satellite), permettant elle aussi de guider les secours vers les zones durement touchées. C’est aussi cette technique qui a permis mesurer les déplacements du sol entre chaque passage du satellite (avant et après le séisme).
Un séisme pas exactement comme on l’attendait
Malgré les limitations inhérentes à la technique d’imagerie radar que nous utilisons, nous avons immédiatement réalisé que ce séisme ne correspondait pas complètement à ce qui était attendu : au lieu de s’éloigner du satellite comme ce que notre compréhension du système de faille traversant la péninsule du sud suggérait, le sol a bougé, sur une grande partie, vers le satellite, c’est-à-dire vers le haut.
Bryan Raimbault/ENS-PSL, Fourni par l’auteur
Avec les acquisitions satellites suivantes, notre compréhension a progressé : la rupture est distribuée sur au moins deux failles, avec un mouvement chevauchant à l’est et un mouvement décrochant à l’ouest – un modèle conceptuel cohérent avec la distribution des répliques, les premiers modèles sismologiques et les informations géologiques et géodésiques acquises dans la région depuis 2010.
Ces nouvelles connaissances vont permettre d’affiner notre compréhension de l’activité tectonique de la région, de mieux comprendre l’histoire géologique d’Haïti, mais surtout d’améliorer les modèles d’aléa sismique sur cette île malheureusement frappée de façon régulière par ce genre de catastrophe.
Cet article et les études en cours bénéficient du concours de nombreux chercheurs et experts, en particulier de l’équipe de sismologie du laboratoire GEOAZUR (CNRS, OCA, UCA, IRD), menée par Françoise Courboulex et Tony Monfret. Les travaux en cours se réalisent dans le cadre du laboratoire mixte international CARIBACT, financé par l’Institut de Recherche pour le Développement.
Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science en libre accès », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page Ouvrirlascience.fr.
Romain Jolivet, Maitre de Conférences, École normale supérieure (ENS) – PSL; Bryan Raimbault, Doctorant en géosciences, École normale supérieure (ENS) – PSL; Dominique Boisson, Professeur en géologie structurale, géotechnique, exploration minière, Université d’Etat d’Haiti; Éric Calais, Professeur, École normale supérieure (ENS) – PSL; Sadrac St Fleur, Professeur en géosciences, Faculté des Sciences, Université d’Etat d’Haiti et Steeve Symithe, Chercheur en géosciences, Faculté Des Sciences, Université d’Etat d’Haiti
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.