Royaume-Uni : inquiétude de chrétiens quant à la possible suppression des programmes religieux des médias de service public

Royaume-Uni  inquiétude de chrétiens quant à la possible suppression des programmes religieux des médias de service public

Au Royaume-Uni, un projet de loi sur l’audiovisuel public inquiète des organisations chrétiennes ou de bienfaisance. Selon le texte, les radiodiffuseurs de service public n’auront plus parmi leurs missions celle de fournir des programmes concernant la religion ou les questions sociétales.

Actuellement, cinq chaînes britanniques sont publiques, dont la célèbre BBC, et sont connues sous le nom de PSB (public service broadcasting). Alors que les médias de service public sont fortement accusés d’être idéologiquement biaisés et peu représentatifs de la diversité d’opinion des contribuables, le gouvernement de Rishi Sunak a décidé de soumettre une loi sur l’audiovisuel au Parlement afin de les moderniser.

Le texte suscite l’inquiétude de chrétiens qui déplorent que la mission actuelle des médias de service public soit modifiée au détriment des programmes concernant la religion. Alors que les radiodiffuseurs de PSB sont aujourd’hui tenus de fournir des programmes sur "l’éducation, le sport, la science, la religion et d’autres croyances, les questions sociales et les questions d’importance ou d’intérêt national", ils estiment que ces programmes n’attirent pas assez de monde.

Le gouvernement souhaite donc les remplacer par "une quantité suffisante de contenu audiovisuel [qui] reflète la vie et les préoccupations des différentes collectivités et les traditions culturelles au sein du Royaume-Uni".

Levée de boucliers contre la suppression des programmes religieux

Diverses associations sont vent debout contre la nouvelle formule. La plus en vue dans le débat est le prestigieux Sandford St Martin Trust, une organisation créée pour promouvoir "une programmation originale et stimulante qui aborde la religion, quelle qu'elle soit, l'éthique ou la morale".

Son président, Tony Stoller, déclare que "cette qualification est trop vague pour être applicable et [qu’] elle n’indique pas ce qu’est une quantité "suffisante". Il s’interroge par ailleurs sur les modalités et l’objectivité de l’évaluation :

"Nous aimerions également demander comment le gouvernement évaluera la qualité et la quantité des OSP sans objectifs, quotas ou obligations claires concernant les genres. Qui fera l’évaluation et quelles mesures utiliseront-ils pour s’assurer que les auditoires obtiennent le contenu qu’ils méritent ?"

Son objection est mentionnée par révérend anglican Peter Crumpler, pasteur à St Albans dans le Hertfordshire dans une tribune publiée par Christian Today. Le pasteur et ancien et ancien directeur de la communication de l’Église d’Angleterre estime qu’il est ironique qu’une telle menace pèse sur les programmes religieux alors que des millions de personnes ont assisté devant leurs écrans à la cérémonie religieuse du couronnement du roi Charles III dans l’abbaye de Westminster.

Crumpler cite Torin Douglas, correspondant médiatique de la BBC durant 24 ans qui a déclaré sur le site Internet du Sandford St Martin Trust :

"Des millions de personnes ont été profondément touchées par la cérémonie de deux heures à l’abbaye de Westminster – le plus long service religieux auquel la plupart d’entre elles aient jamais assisté."

Douglas, ancien administrateur du Sandford St Martin Trust, estime que le changement de programme laisserait un vide si le projet était voté :

"Ignorer la religion, c’est laisser un trou béant au cœur de la radiodiffusion de service public. Pour cette raison, nous croyons que le gouvernement doit veiller à ce que le maintien d’une programmation religieuse forte soit au cœur de la modernisation de la législation sur la radiodiffusion et de l’avenir de la radiodiffusion de service public."

Revendiquer un droit ou penser les stratégies de communication ?

Le 18 mai a eu lieu un débat à l’abbaye St Albans entre Roger Bolton, ancien directeur de la BBC et administrateur du Religion Media Centre et du conseil paroissial de son église locale, et le doyen de St Albans, Jo Kelly-Moore.

Les organisateurs ont souligné les difficultés rencontrées par les médias de service public, notamment l’inflation, mais aussi le fait que les jeunes téléspectateurs se détournent de Channel 4 au profit de TikTok et Youtube. La question est notamment de savoir s’il faut viser le maintien de la religion sur le PSB ou s’adapter aux nouveaux moyens de communication.

Steve Cox, président de l'association Christians in Media, a un aperçu de l’importance de ces nouveaux canaux. Christians in Media se présente comme un réseau britannique qui soutient, encourage et inspire les chrétiens qui travaillent dans et avec les médias, et il propose depuis 2021 un programme de mentorat aux jeunes désireux de travailler dans la presse et le secteur audiovisuel afin de les aider à établir des liens avec des professionnels et "naviguer dans une industrie largement laïque en tant que croyant". Ce programme a permis à Coxx de voir des jeunes qui ne mentionnent ni la BBC, ni ITV, ni même Channel 4.

Ce constat d’une mutation des préférences amène Cox à exprimer une autre approche que celle des différents organisations et responsables religieux qui contestent ce projet. S’il souhaite que les programmes religieux soient maintenus, il n’entend pas se battre pour que ce soit le cas :

"En tant que chrétiens, nous n'avons pas de droit divin à ce que la religion soit diffusée sur les plates-formes de la radiotélévision de service public. Nous devons par conséquent, nous aussi, nous adapter et utiliser les talents de création que Dieu nous a donnés pour produire et distribuer des programmes de qualité afin d'atteindre ceux qui se trouvent au-delà de notre bulle chrétienne."

Selon lui, le public ne boude pas les programmes religieux qui rapportent des histoires de transformation et d’espoir, mais il les trouve sur d’autres supports avec l’émergence de nouveaux médias. Tout en souhaitant que les programmes religieux soient maintenus, sans vouloir les imposer, ils encourage les chrétiens à chercher d’autres solutions :

"Regardons aussi vers l'avenir et adoptons les nombreuses nouvelles plateformes et technologies qui offrent tant de possibilités passionnantes de partager des histoires qui transcendent les âges. Soyons les nouveaux pionniers de la créativité et suivons le merveilleux exemple de ceux qui nous ont précédés dans le paysage médiatique actuel en pleine mutation."

L’Église d’Angleterre, elle-même, "fait un usage impressionnant des médias sociaux et de la technologie en ligne, ce qui lui permet de s’adresser aux gens sans que le message soit canalisé par des médias qui pourraient mal interpréter ce qui est dit", a souligné fin mars Crumpler, par ailleurs journaliste, alors qu’il était invité à s’exprimer dans Church Times sur l’importance d’un travail médiatique de qualité.

La mutation n’est pas que technologique, et l’indifférence croissante pour les programmes religieux s’explique également par les changements démographiques en matière de croyances.

Le 29 novembre 2022, l’Office national des statistiques a publié les chiffres de son recensement de 2021 concernant l’Angleterre et le pays de Galles (l’Écosse et l’Irlande du Nord font leurs propres recensements), le premier depuis 2011. En 10 ans, le nombre de personnes se disant chrétiennes a chuté de 13,1 points, passant à 46,2 % de la population, alors que le nombre de personnes sans religion a crû de 12 points (37,2 %) ou que le nombre de musulmans est passé de 4,9 % à 6,5 %.

Jean Sarpédon

Crédit image : Shutterstock/ Richard Oldroyd

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