Royaume-Uni : comment la religion des députés influence leur position sur la légalisation de l’aide à mourir

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Alors que le débat sur la fin de vie bat son plein en France, il est intéressant d’examiner le cas du Royaume-Uni, où le débat parlementaire est également en cours, les députés de la Chambre des Communes ayant ouvert la voie, par un vote tenu le 29 novembre 2024 – 330 voix pour et 275 contre — à l’adoption d’un texte autorisant l’aide médicale à mourir. Sur ce sujet éminemment sensible, les convictions religieuses des parlementaires entrent en ligne de compte au moins autant que leur appartenance politique, comme le montre cette analyse détaillée de leur vote du 29 novembre dernier.

Comme pour de nombreuses questions morales, il s’agit d’un vote libre – les députés n’ont pas à appliquer de consignes imposées par leurs partis respectifs. Après le vote du 29 novembre, les députés ont été nombreux à expliquer les raisons pour lesquelles ils ont voté en faveur ou non du texte, évoquant notamment leur propre expérience aux côtés d’un proche vivant ses derniers jours, leurs discussions avec leurs électeurs, l’expérience d’autres pays en matière de suicide assisté… et, aussi, leurs convictions religieuses (au Royaume-Uni, celles-ci sont connues pour chacun des 650 membres de la Chambre des Communes).

"Royaume-Uni : Vote historique des députés britanniques sur l’aide à mourir", France 24 (novembre 2024).

Lors de ce premier vote, des tendances se sont clairement dégagées en fonction de l’appartenance religieuse des députés :

  • Les députés sans religion (36,4 % du total) étaient beaucoup plus susceptibles de soutenir l’aide à mourir. Dans ce groupe, 76 % ont voté pour, tandis que 18 % seulement ont voté contre.

  • Les députés chrétiens (54,7 %) étaient, dans l’ensemble, plutôt enclins à s’opposer au projet de loi. 57 % d’entre eux ont voté contre, l’opposition la plus prononcée venant des catholiques, qui se sont opposés à 74 %.

  • Les députés musulmans (3,9 %) ont été encore plus nombreux à voter contre, 84 % d’entre eux s’y étant opposés.

  • Les députés juifs (2 %) et sikhs (1 %) étaient environ deux fois plus nombreux à soutenir le projet de loi qu’à s’y opposer.

  • Les députés hindous (0,9 %) étaient plus nombreux à s’y opposer qu’à le soutenir, avec la même marge. La seule députée bouddhiste, Suella Braverman, a voté contre.

Au-delà de leur propre appartenance ethnique, politique ou religieuse, les opinions de leurs électeurs ont également pu influencer le vote des députés. Pour étudier cette question, j’ai effectué une analyse de régression (une méthode statistique permettant de trouver une relation entre divers facteurs) qui incluait une série de variables relatives aux circonscriptions, telles que la proportion de résidents blancs et le pourcentage de chaque groupe religieux (ainsi que de ceux qui s’identifient comme non religieux).

J’ai également pris en compte le pourcentage d’électeurs non diplômés, de diplômés, de ceux qui déclarent une forme de handicap. Dans le modèle complet, qui intégrait toutes ces variables, aucune des variables religieuses ne s’est révélée statistiquement significative, ce qui suggère que le lobbying religieux local n’a pas eu d’effet mesurable sur le vote des députés.

Toutefois, il est intéressant de remarquer que les députés dont la circonscription compte une proportion plus élevée de personnes handicapées sont plus susceptibles de voter en faveur de l’aide à mourir. Il n’est pas clair que ce soit une relation de cause à effet, suggérant que leurs électeurs ont fait pression sur eux pour qu’ils soutiennent le projet de loi, ou s’il s’agit d’une corrélation entre le fait que les personnes handicapées sont plus susceptibles de vivre dans des circonscriptions du Parti travailliste.

Comment les députés ont voté l’aide à mourir en novembre 2024 ?

Caractéristiques Total Oui Non Abstention
Total 642 331 (52%) 276 (43%) 35 (5%)
Femme 261 143 (55%) 107 (41%) 11 (4.2%)
Minorité ethnique 90 30 (33%) 57 (63%) 3 (3.3%)
LGBT 71 49 (69%) 18 (25%) 4 (5.6%)
Partis politiques        
Parti Travailliste 411 236 (57%) 155 (38%) 20 (4.9%)
Parti Conservateur 121 23 (19%) 93 (77%) 5 (4.1%)
Libéraux-démocrates 72 61 (85%) 11 (15%) 0 (0%)
Parti National écossais 9 0 (0%) 0 (0%) 9 (100%)
Parti pour l'Indépendance du Royaume-Uni 6 0 (0%) 6 (100%) 0 (0%)
Parti unioniste démocratique 5 0 (0%) 5 (100%) 0 (0%)
Reform UK 5 3 (60%) 2 (40%) 0 (0%)
Parti vert 4 4 (100%) 0 (0%) 0 (0%)
Plaid Cymru (centre gauche) 4 3 (75%) 1 (25%) 0 (0%)
Parti social-démocrate et travailliste 2 1 (50%) 0 (0%) 1 (50%)
Alliance 1 0 (0%) 1 (100%) 0 (0%)
Voix unioniste traditionnelle 1 0 (0%) 1 (100%) 0 (0%)
Parti unioniste d'Ulster 1 0 (0%) 1 (100%) 0 (0%)
Religion        
Non religieux 234 179 (76%) 43 (18%) 12 (5.1%)
Chrétien 351 132 (38%) 199 (57%) 20 (5.7%)
Catholique 35 7 (20%) 26 (74%) 2 (5.7%)
Musulman 25 2 (8.0%) 21 (84%) 2 (8.0%)
Juif 13 8 (62%) 4 (31%) 1 (7.7%)
Sikh 12 8 (67%) 4 (33%) 0 (0%)
Hindou 6 2 (33%) 4 (67%) 0 (0%)
Bouddhiste 1 0 (0%) 1 (100%) 0 (0%)

Note : le décompte des voix diffère de celui donné par le site web du Parlement parce que j’ai inclus les scrutateurs des deux côtés et que j’ai considéré les députés qui ont voté à la fois oui et non comme des votes d’abstention.

  • Lors de ce premier vote, les femmes députées étaient légèrement plus nombreuses à voter en faveur de l’aide à mourir que contre. Les députés LGBT penchent fortement en faveur de la modification de la loi (69 % d’entre eux ont voté pour).

  • Les députés issus de minorités ethniques ont, quant à eux, fortement penché dans la direction opposée, 63 % d’entre eux ayant voté contre.

  • Comme on pouvait s’y attendre, compte tenu du soutien ouvert du premier ministre Keir Starmer à la mort assistée, les députés travaillistes ont soutenu le projet de loi, avec 57 % de votes favorables et 38 % de votes défavorables.

  • Les libéraux-démocrates l’ont également soutenu à une écrasante majorité (85 %), tandis que 77 % des députés conservateurs ont voté contre. Tous les partis unionistes d’Irlande du Nord, ainsi que le député unioniste indépendant, ont voté contre le projet de loi, sans aucune abstention.

  • Les députés de Reform UK étaient partagés, avec deux contre et trois pour.

Un phénomène intéressant s’est fait jour à la gauche de l’échiquier politique. Lors des élections générales de 2024, le Parti vert et les "indépendants de Gaza" s’étaient opposés au Parti travailliste. Dans ce vote libre, nous avons vu les contrastes sociaux entre ces deux groupes se manifester. Tous les députés verts ont soutenu l’aide à mourir, tandis que tous les indépendants pro-Gaza – et leur allié, l’ancien leader du parti travailliste Jeremy Corbyn – s’y sont opposés. Ce clivage fait écho à la distinction entre les "libéraux identitaires de conviction" et les "libéraux par nécessité" issus des minorités ethniques qu’ont établie Maria Sobolewska et Robert Ford dans Brexitland.

Ce dernier groupe s’aligne sur les libéraux de conviction sur les questions de discrimination pour des raisons personnelles, mais adopte souvent des positions opposées sur des questions sociétales telles que l’aide à mourir. Les débats tels que celui actuellement en cours sur cette dernière question mettent en évidence les tensions au sein de cette coalition.

Reconnaître la religion au sein du Parlement

La religion étant une affaire personnelle, il n’existe pas de base de données officielles qui enregistre l’appartenance des députés. Il est donc souvent impossible de vérifier la façon dont les opinions religieuses influencent le comportement électoral. Pour combler cette lacune, j’ai constitué un ensemble de données en utilisant une méthodologie en trois étapes pour déterminer l’appartenance religieuse des députés.

En effet, je vérifie d’abord si un député est membre d’un groupe religieux, tel que Christians in Parliament. Ensuite, si un député a publiquement fait part de ses convictions religieuses – par exemple, dans un discours ou une interview – il est également classé en conséquence.

Résultats : parmi les députés (à l’exclusion du président et des députés du Sinn Fein, qui ne siègent pas), 54,7 % (351) sont chrétiens, dont 5,5 % (35) sont catholiques ; 36,4 % (234) sont sans religion ; 3,9 % (25) sont musulmans ; 2 % (13) sont juifs ; 1,9 % (12) sont sikhs ; 0,9 % (6) sont hindous ; et 0,2 % (1) sont bouddhistes.

Toutefois, ces deux premières étapes ne concernent qu’une fraction des députés. Tous les députés sont tenus de prêter un serment d’allégeance à la Couronne lorsqu’ils entrent en fonctions. Ce serment peut être fait sur un texte religieux ou une affirmation non religieuse, et il est essentiel que les députés puissent choisir le texte sur lequel ils prêtent serment – ce qui fait de cette décision une indication significative et publiquement visible de leur croyance.

Cela nous amène à la troisième étape : le texte religieux (ou l’absence de texte) utilisé lors de la cérémonie de prestation de serment est considéré comme une source supplémentaire de preuves pour la classification.

Ces trois sources sont utilisées par ordre de priorité. Par exemple, Tim Farron est un membre chrétien du Parlement et a parlé ouvertement de sa foi, mais il a choisi d’affirmer sans utiliser de texte religieux. Malgré cela, il est classé comme chrétien sur la base des deux premiers critères.

Dans cette affaire, ce qui a été particulièrement intéressant, ce sont les différences de vote entre les groupes chrétiens. J’ai pu distinguer ces groupes parce que lorsque les députés prêtent serment, les catholiques demandent généralement des versions spécifiques de la Bible – comme la Nouvelle Bible de Jérusalem – alors que les autres peuvent simplement demander la Bible et se voient remettre la version King James. Le fait de distinguer les catholiques dans une catégorie à part permet de nuancer l’analyse de la composition religieuse du Parlement. Une répartition complète de la religion des députés, ainsi que les données utilisées pour ce projet, sont disponibles ici.

Nous serons bientôt en mesure de voir comment ces marqueurs interagissent avec le vote en troisième lecture.

David Jeffery, Senior Lecturer in British Politics, University of Liverpool

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : Shutterstock / Marinesea


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