Remplacer les professeurs absents : un casse-tête pour l’Éducation nationale

Remplacer les professeurs absents  un casse-tête pour l’Éducation nationale

Le président de la République Emmanuel Macron a réaffirmé le 24 juillet dernier qu’il y aurait "un professeur devant chaque classe à la rentrée. Nous mettons en place un système qui permettra de ne plus perdre d’heures d’enseignement, d’abord en mettant les modules de formation continue hors du temps de présence devant les élèves, et ensuite en ayant un système de remplacement plus efficace".

Ce sont des annonces fortes, mais le passé tend à montrer que "mettre en place pour la rentrée un système qui permettra de ne plus perdre d’heures d’enseignement" relève plus de l’ordre de l’utopie que d’un objectif vraiment atteignable, même s’il existe bel et bien des marges de progression possibles tant on en est loin.

Des écarts entre le premier et le second degré

Dans l’enseignement secondaire, et jusque à la fin des années 1950, la suppléance des enseignants absents pour une courte durée passait essentiellement par l’accueil des élèves en "permanence", mais une permanence où il était possible qu’ils ne soient pas seulement surveillés mais aussi encadrés par les corps alors existants des "maîtres d’études" ou "maîtres répétiteurs". Ces corps d’éducateurs n’ont pas survécu à la vague démographique qui a suivi la Libération et à la massification de l’enseignement secondaire.

Dans l’enseignement primaire, le dispositif est historiquement issu de la loi du 8 mai 1951. La note de service du 25 mars 1982 précise la nécessité de réserver les titulaires remplaçants des ZIL (zones d’interventions locales) pour les suppléances de courte durée (congés de maladie ordinaire, stages, absences…), et ceux de la brigade (niveau départemental) pour les remplacements longs (congés de longue maladie, congés de maternité…). Selon la DEPP, pour l’année 2019-2020, plus de 8 % des enseignants sont remplaçants dans le primaire contre 2,7 % dans le secondaire.

Les absences d’enseignants face aux élèves sont moins pénalisantes dans le premier degré que dans le second, parce que les titulaires remplaçants sont, comme les professeurs des écoles qu’ils remplacent, polyvalents, ce qui facilite leur affectation. Le taux de la suppléance devant élèves s’est élevé à 80 % au cours de l’année scolaire 2017-2018. Dans l’attente du remplaçant (ou à défaut de remplaçant parfois), le directeur ventile entre plusieurs classes les élèves concernés par l’absence.

Anglet : des profs absents non remplacés, "c’est la catastrophe" selon les parents d’élèves (France 3 Nouvelle-Aquitaine, 2021).

On est donc encore loin de l’objectif fixé par le président de la République, en dépit des moyens en personnel mis en œuvre dans l’enseignement primaire et même si nombre d’observateurs considèrent que le premier degré est un "bon élève" en la matière, en comparaison du second degré.

Au collège et au lycée, le taux de remplacement atteint certes 96 %, mais seulement pour les "absences longues" (supérieures à 15 jours). Car les absences courtes représentent, elles, 2,5 millions d’heures, et moins d’un cinquième en est remplacé. Des chiffres légèrement dégradés comparés à 2017, date d’un précédent rapport de la Cour des comptes sur le sujet, avec des constats similaires.

Les démarches des parents d’élèves

Un changement majeur, cependant : les familles acceptent de moins en moins cette situation, sans doute alertées par la crise sanitaire qui a mis en exergue certaines difficultés de l’école à assurer la "continuité pédagogique". Elles "n’hésitent plus à engager la responsabilité de l’État devant les tribunaux pour défaut de continuité du service public de l’Éducation", est-il souligné dans le rapport de décembre 2021 de la Cour des comptes.

La FCPE – la principale fédération de parents d’élèves de l’Ecole publique – avait déjà incité les parents d’élèves à renseigner les heures de cours perdues sur un site dédié indiquant le nom de l’établissement scolaire, la discipline, le niveau scolaire et la date du début d’absence. Avec un succès d’inscriptions effectives loin d’être négligeable.

Par ailleurs, à la rentrée scolaire 2022, 170 parents d’élèves ont rejoint le collectif #Onveutdesprofs lancé au mois de juin précédent juste après une année marquée par des confinements et protocoles sanitaires : "l’objectif est de faire condamner l’État" en raison d’"absences répétées d’enseignants non remplacées, qui causent un préjudice aux élèves". Et fin 2022, 127 premières demandes d’indemnisation auprès des rectorats ont été déposées, et plus de 1500 dossiers étaient en cours de traitement.

Ces parents et leurs avocats pensent pouvoir s’appuyer sur des précédents juridiques. Ainsi, en 1988, le Conseil d’État a condamné l’État à verser 1000 francs aux parents d’un collégien dont le professeur avait été absent pendant sept heures : "La mission d’intérêt général d’enseignement impose au ministre de l’Éducation nationale l’obligation légale d’assurer l’enseignement de toutes les matières obligatoires. Le manquement à cette obligation légale est constitutif d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’État", avaient précisé les juges.

Pacte enseignant et questions administratives

Un décret publié le 8 août 2023 établit de nouvelles règles concernant les absences de moins de 15 jours dans l’enseignement secondaire, l’indiscutable point noir des remplacements d’enseignants absents.

À partir de septembre de cette année, les proviseurs de lycée et les principaux de collèges doivent élaborer, avec leurs équipes pédagogiques, un "plan annuel visant à assurer effectivement les heures prévues par l’emploi du temps des élèves" en recourant "prioritairement" aux enseignants ayant signé un "pacte". Ces professeurs qui se sont engagés à cela seront mobilisables dix-huit heures par an et sur des créneaux horaires fixes d’au moins une heure par semaine durant lesquels ils ne pourront refuser d’intervenir (qu’ils soient ou non de la même discipline que l’enseignant absent ou qu’ils aient ou pas la classe en question).

On doit comparer avec le décret précédent du 26 août 2005 selon lequel, pour les remplacements de courte durée fixée à deux semaines maximum, les chefs d’établissement étaient appelés à rechercher "en priorité l’accord des enseignants qualifiés" et, à défaut d’accord, à désigner les personnels chargés d’assurer des remplacements de professeurs absents.

Mais selon le rapport de l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale de juin 2011 ce décret a eu "une application très réduite ; il a en effet été mal perçu par beaucoup d’enseignants et par les organisations syndicales ; les chefs d’établissement n’ont pas voulu faire de ce sujet un point de conflit. Les protocoles ont certes presque partout été établis au cours de l’année 2005-2006 sous la pression des recteurs, mais dans beaucoup de cas ils n’ont été constitués que de déclarations de bonnes intentions".

Par ailleurs, dans leur conclusion, les IGA pointent une origine des difficultés qui ne semble pas devoir être facilement réduite, même si l’injonction a été réitérée récemment par le chef de l’État lui-même :

"On a pu observer que, malgré les rapports et recommandations antérieurs, l’administration contribuait elle-même à accroître les problèmes de remplacement notamment en mettant en place des stages de formation coïncidant avec les pics traditionnels d’absences observés durant l’année scolaire, en organisant des journées pédagogiques sans prendre en compte les emplois du temps des établissements ou encore en convoquant à des jurys sans anticiper sur les besoins de remplacement que font naître ces convocations."

On peut finalement douter de la possibilité d’arriver tout de go à mettre "un professeur devant chaque classe". D’autant plus que ce qui est prévu actuellement par le ministère est déjà en retrait (en dépit des problèmes inévitables que cela va poser). Il est en effet précisé que les remplacements courts seront "prioritairement assurés sous la forme d’heures d’enseignement", mais qu’afin d’"assurer effectivement les heures prévues à l’emploi du temps" le texte ministériel introduit la possibilité d’organiser des "séquences pédagogiques (…) au moyen d’outils numériques" et de recourir à des assistants d’éducation, qui sont des personnels de vie scolaire, pour les encadrer.

Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : Shutterstock/ ESB Professional

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