Refus de l’accord avec les FARC : les Colombiens veulent la paix, mais pas au prix de l’injustice

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Les électeurs colombiens étaient appelés, dimanche 2 octobre, aux urnes pour approuver ou rejeter le plan de paix confectionné par le Gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Une courte majorité de votants ont refusé l’accord, estimant que la paix ne peut être acceptée par la légitimation des membres du mouvement rebelle. Le Président Santos a annoncé que le cessez-le-feu restera en vigueur en dépit du non clôturant ce plébiscite.

Menés par l’ancien président, Alvaro Uribe, les opposants dénonçaient l’octroi d’office de 10 sièges parlementaires jusqu’en 2026 à ceux qui seraient désormais les anciens membres des FARC, tout comme la possibilité de se présenter aux élections présidentielles et parlementaires ainsi que les clauses de l’accord qui prévoit la liberté pour les chefs collaborant avec la justice.

Un accrochage entre l’armée et les FARC en juillet dernier avait fait craindre la fin de la trêve aux partisans de l’accord, ce sera finalement la volonté populaire qui aura décidé de son sort, alors que les sondages donnaient entre 55 et 66% au Oui. Le Président Santos avait exclu tout retour à la table des négociations en cas de défaite, mettant ainsi la pression sur les électeurs désireux de vivre en paix. 50,23% des 37,28% de votants ont refusé cette condition posée à la paix.

Le Président colombien, Juan Manuel Santos, et le chef des FARC avaient signé le 26 septembre dernier un accord de paix largement médiatisé en Amérique latine. Symboliquement, le stylo utilisé pour apposer les paraphes résultait de la transformation d’une balle, d’où son nom de « baligrafo », littéralement « la balle qui écrit ». A Carthagène des Indes, nombreux étaient les dirigeants et représentants étrangers, du secrétaire d’État américain, John Kerry, au Roi émérite d’Espagne, Juan Carlos, en passant par des figures d’organisations internationales comme le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, ou divers chefs d’État d’Amérique latine, tous vêtus de blanc pour soutenir le processus de paix.

La réconciliation après 300 000 morts

Le Président Santos avait lancé des négociations avec les FARC en 2012 et un succès de première importance avait été obtenu lors de la signature d’un cessez-le-feu à la Havane, à Cuba, le 23 juin dernier, notamment salué par le Conseil de sécurité de l’ONU. Auparavant, un accord relatif aux membres des FARC auteurs de crimes avait été conclu le 23 septembre 2015, prévoyant une juridiction spéciale pour eux.

D’après l’engagement, les FARC coopérant avec la justice seraient passibles de cinq à huit ans de détention sous des régimes spéciaux, ceux avouant leurs crimes plus tard seraient condamnées aux mêmes peines mais sous un régime carcéral classique, et les autres encouraient des peines de 20 ans d’emprisonnement. Les infraction pénales concernées étaient notamment « les crimes contre l’humanité, le génocide et les crimes de guerre tels que la prise d’otages ou autre privation aggravée de liberté, la torture, le déplacement forcé, la disparition forcée, les exécutions extrajudiciaires et la violence sexuelle ».

Seuls les crimes politiques ou connexes pourraient être amnistiés. Ces décision bilatérales se situaient dans la ligne des discussions engagées en 2012 entre le pouvoir et les rebelles pour achever une guerre civile débutée en 1964 et qui avait fait 300 000, selon un rapport de l’International Center for Transitional Justice de 2015, en plus des six millions de déplacés ou des violences sexuelles. A côté des FARC, il y a également l’Armée de Libération Nationale qui, outre ses choix idéologiques proches de ceux du grand groupe terroriste, veut prendre le pouvoir. Les négociations entamées avec elle par le Président Santos s’avèrent beaucoup plus compliquées, le mouvement exigeant un désarmement bilatéral.

Le conflit entre le Gouvernement et les FARC est né sur les cendres encore chaudes de La Violencia

Le conflit entre le Gouvernement et les FARC est né sur les cendres encore chaudes de La Violencia, une guerre civile allant de 1948 à 1960 entre deux mouvements, la droite conservatrice et la gauche libérale dont le chef avait été assassiné. Les propriétaires terriens face aux petits paysans, pour schématiser l’histoire et la relier aux FARC... Au cours de ce conflit, les paysans furent victimes d’exactions de la part des militaires. Nombreux se réfugièrent dans la République de Marquetalia, un groupe d’auto-défense constitué de paysans armés qui vivaient en autarcie et dut fuir en 1964 devant l’armée régulière.

Épuises à la fin de cette période qui avait déjà coûté la vie à 300 000 Colombiens sur une population de 15 000 personnes, les paysans finissent par s’agréger sous la forme d’une guérilla désormais désireuse non pas d’une zone de paix mais de conflit et de reconnaissance. C’est la naissance des FARC qui légitiment leur action en dénonçant la criante disparité sociale, la violence des répressions, le mauvais partage des terres essentiellement concentrées entre les mains d’un petit nombre. Les années qui suivent voient les deux superpuissances soutenir chacune son camp, les USA le Gouvernement, l’URSS les guérilleros communistes ; et, dans les années 1980, les FARC finissent par disposer d’un potentiel militaire que l’État doit rapidement écraser s’il veut conserver son intégrité.

Entre-temps, en 1965, le Gouvernement sent déjà son incapacité à protéger les civils face aux FARC et il se résout à prendre un décret autorisant les citoyens à s’armer, légitimant ainsi des organisations paramilitaires où nombreux sont les gros propriétaires terriens. Les exactions de ces milices poussent les autorités à interdire aux civils et aux militaires de les soutenir. Le trafic de drogue aidera encore davantage les FARC à se doter d’une puissance militaire. A partir des années 1990, les FARC se lancent dans le rapt de civils, dont la candidate écologiste à l’élection présidentielle Ingrid Betancourt en 2002.

La collaboration entre le Président Alvaro Uribe, partisan d’une ligne sévère avec les FARC, et le Président américain George W. Bush va intensifier le conflit avec le Plan Colombie ciblant les narcotrafiquants puis également la guérilla. En 2008, le responsable international des FARC, Luis Edgar Devia, est tué par l’armée ; le nouveau chef de l’État, Juan Manuel Santos, poursuit les combats, et deux pontes du mouvement, dont le chef militaire, Jorge Briceño, sont tués sous son autorité en 2010 et 2011. C’est alors que Santos décide de relancer les négociations.

Les pourparlers de 2012 sont les quatrièmes après l’échec des trois premiers enterrés sous des centaines de milliers de morts et des exactions de part et d’autre, en 1984, 1991 et 1999. La paix semble acquise avec la signature du cessez-le-feu, l’arrangement sur la justice pénale, et l’accord de paix du 26 septembre. En contrepartie de l’abandon des armes et d’une justice clémente, les rebelles disposeraient notamment de « territoires où ils jouiraient d’une autonomie politique, administrative, économique, sociale, environnementale et culturelle, ainsi que de l’administration de la justice au moyen de mécanismes judiciaires communautaires ». Et la Constitution disposerait qu’ils ont des ressources qui leur sont spécifiquement destinées. Un autre point d’accord est leur participation à la vie politique colombienne. Ce sont cette éligibilité et cet accord sur la justice que les votants ont voulu dénoncer.

Plus que la souffrance du conflit, la négation de la souffrance au nom de l’intérêt général ?

Les partisans du Non ne voulaient pas d’une paix au prix d’une justice clémente. L’ancien chef de l’État, Alvaro Uribe, se déclare pour la paix mais à d’autres conditions : « Nous voulons contribuer à un grand pacte national. Il nous semble fondamental qu’au nom de la paix, ne soient pas mises en danger les valeurs qui la rendent possible. Selon Uribe, « La paix est enthousiasmante, les textes de La Havane décevants », une objection partagée par une grande partie de la population qui attendait ce plébiscite sans enthousiasme : 8 Colombiens sur 10 estimaient en août que les chefs des FARC devaient faire au moins un jour de prison, pour le symbole, confortant l’ancien président qui dénonçait l’accord comme une « récompense aux crimes contre l’humanité ». Fardi Usme, représentant des victimes du conflit de la région de Medellin, abondait dans son sens et prévenait : si les chefs des FARC  « ne vont pas en prison, pour moi, c’est de l’impunité. »

Un processus de paix soutenu par l’église catholique

Soutenu par l’église catholique appréciée des trois quarts des Colombiens, qui depuis 1964 essaie de tenir un rôle de médiateur et de soulager les victimes, le processus de paix n’a cependant pas convaincu une population désireuse, certes, de voir les combats prendre fin, mais aussi de justice. Alors que 20 000 militaires ont été condamnés à de lourdes peines ou sont devant les tribunaux pour leurs exactions dans le cadre de la guerre contre les rebelles, la clémence plus ou moins relative que promettait l’accord aux FARC indignait.  Amnesty International, qui saluait l’accord, s’inquiétait cependant de sa légèreté en matière de réparation pénale :

« Cet accord constitue une avancée très importante et il montre clairement que la fin des hostilités, tant attendue, est enfin proche. Mais de nombreux problèmes restent sans solution en ce qui concerne la nécessité de faire en sorte que les nombreuses victimes reçoivent vérité, justice et réparation conformément au droit international », déclarait Erika Guevara-Rosas, la directrice du programme Amériques de l’ONG. Et d’ajouter : « La Colombie est tenue d’ouvrir des enquêtes et, s’il existe suffisamment de preuves recevables, de poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir une responsabilité dans des crimes de droit international. Cette obligation est non négociable, même dans le cadre d’un processus de paix. »

Depuis La Havane, le chef des FARC, Rodrigo Londono, accuse les opposants à l’accord de semer la zizanie : «  Les FARC déplorent profondément que le pouvoir destructif de ceux qui sèment la haine et la rancœur ait influé sur l’opinion de la population colombienne. » Une réaction qui, associée aux exigences pour ne être soumis à la même justice que toute personne ayant commis des crimes, risque d’agacer fortement les Colombiens. Le mouvement rebelle, loin de faire profil bas, se pose en victime et fait d’une grande partie de ses victimes des partisans de la violence. Si le mouvement révolutionnaire est né à cause de profondes injustices qui doivent être réparées autant que possible, celles causées par lui doivent également l’être au moins par la sanction pénale.

Si le peuple Colombien désirait ardemment la paix, elle ne pouvait être obtenue au prix d’une telle injustice

Le principe de la réparation pénale, c’est que la société adresse aux victimes un message de reconnaissance. Il arrive que l’intérêt général supplante les droits des victimes pour mettre fin à un conflit qui risque d’en faire davantage. C’est dans cet esprit que le général de Gaulle développa le mythe de la France résistante après l’Occupation, il s’agissait de mettre fin aux pratiques de l’épuration. Le général qui n’ignorait en rien la réalité de la collaboration et qualifiait déjà les Français de « veaux » lors de l’armistice signé le 17 juin 1940, savait aussi que parfois la paix générale souvient souvent au détriment d’une vraie justice. Cependant, si le peuple Colombien désirait ardemment la paix, elle ne pouvait être obtenue au prix d’une telle injustice, qui aurait rajouté la souffrance du déni de justice à la celle des crimes subis.

Selon l’accord, les militaires encouraient des peines équivalentes à celles des FARC pour les exactions commises sur ordre au service du peuple, ce qui renforce davantage le sentiment d’injustice. Les civils ayant volontairement pris part aux violences paramilitaires dans la lutte contre les FARC auraient également été poursuivis selon les mêmes conditions afin qu’aucune partie ne se sente seule jugée.

Néanmoins, critiques du processus de paix, les anciens militaires saluent les progrès effectués, et l’un de leurs porte-paroles, Jaime Ruiz, a déclaré : « La paix a gagné cette partie. » Alvaro Uribe et ses partisans l’admettent et demandent la négociation d’un nouvel accord. Tout comme le chef des FARC. Si la volonté de paix est là des deux côtés, le mot d’Uribe pour qui l’objectif de la paix ne saurait justifier la méconnaissance de la justice due aux victimes est probablement celui qui déterminera le cap de nouvelles discussions.

Hans-Søren Dag


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