Réfugiés afghans : une nécessaire mise au point sur le droit d’asile en France

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Le « blitzkrieg » victorieux des talibans illustre parfaitement l’échec, quelles qu’en soient les causes, des différentes stratégies de contre-insurrection menées sur place depuis vingt ans – tout comme il souligne combien le calendrier de retrait des forces américaines avait été sans doute mal ordonné.

S’il ne s’agit nullement d’une surprise stratégique ou d’un « cygne noir », la rapidité avec laquelle les talibans sont sortis de la clandestinité et ont repris le pouvoir interpelle.

Leur « retour » a en ce sens provoqué de nombreuses réactions internationales. Et la question migratoire figure au centre de bien des préoccupations. Compte tenu de la dégradation de la situation sur place, les États européens se divisaient déjà au début de l’été sur la pertinence du maintien des éloignements des Afghans en situation irrégulière vers leur pays d’origine.

Depuis, le Président de la République française a déclaré, dans son allocution télévisée du 16 août, qu’il était de « l’honneur de la France » d’« aider » certains Afghans – « défenseurs des droits, artistes, journalistes, militants » – mais qu’il importait également de « nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants ».

Bref, seuls quelques heureux élus mériteraient la protection de la France. Du « sauve qui peut » au « sauve qui je veux » ?

Droit applicable aux mouvements de population

La situation afghane appelle de ce fait certaines précisions et mises au point quant au droit applicable aux mouvements de population qu’elle génère, a généré, et générera dans les prochaines années. Les gages donnés par les nouvelles autorités talibanes sont déjà contredits par plusieurs exactions sur le terrain.

Certes, il est probable que les talibans veilleront à se distancier davantage d’Al-Qaïda et à ne pas servir de base arrière à des groupes armés terroristes prônant le djihad global. Mais, en interne, ils ne se laisseront pas déborder par plus radical qu’eux et chercheront à se venger de ceux qui les ont « trahis ».

Qui peut croire à une gouvernance « inclusive » ?

Le besoin de protection internationale des Afghans ne va pas disparaître – bien au contraire.

Un phénomène ancien

L’afflux de migrants et réfugiés afghans n’est pas un phénomène nouveau du fait de la durée et de la dureté du conflit. Premier pays d’origine des migrations internationales de 1979 à 2013 – année où la Syrie prend la tête de ce classement –, on compte à la fin de l’année 2020 plus de 2,6 millions de réfugiés afghans (contre 6,7 pour la Syrie et 4 pour le Venezuela), et plus de 550 000 déplacés internes, contraints de fuir les diverses conséquences du conflit.

L’Union européenne (UE) n’est toutefois concernée qu’à la marge par cette migration contrainte des Afghans vers l’étranger : seules 47 000 demandes de protection (demandes d’asile) d’Afghans en 2017 et 2018 ont été enregistrées, un chiffre en légère augmentation en 2019 (61 000) mais minime comparé aux 2,2 millions de réfugiés que comptent le Pakistan et l’Iran

Une répartition très inégalitaire en Europe

La répartition géographique de ces demandes au sein de l’UE est toutefois très inégalitaire : ainsi, en 2019, l’Allemagne, la France et la Grèce enregistraient respectivement 11 000, 12 000 et 23 000 demandes de protection afghanes, quand l’Italie et l’Espagne n’en enregistraient, par exemple, que 600 et 130 – d’après Eurostat. L’Afghanistan représente d’ailleurs, depuis 2018, le premier pays d’origine des demandes d’asile en France (comme le soulignent les derniers rapports d’activités de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, OFPRA).

En 2020, la France a protégé 80 % des Afghans qui en faisaient la demande, alors que le taux moyen de protection s’établissait, toutes nationalités confondues, à moins de 25 % (Cour Nationale du Droit d’Asile, CNDA, Rapport d’activité, 2020).

Si les chiffres demeurent ainsi très modestes au regard des migrations globales générées par la situation afghane, le propos n’est pas ici de nier les quelques tensions qu’elles peuvent générer au sein des pays de l’Union européenne, notamment la défiance vis-à-vis des réfugiés.

Pourtant, les migrants originaires d’Afghanistan ne sauraient être qualifiés de « migrants illégaux » aussi longtemps qu’il n’a pas été statué sur leur demande d’asile. Si elle est acceptée, au terme d’un processus qui prend un an environ en France, ils seront protégés et leur statut régularisé.

Le statut de réfugié

En effet, en vertu de l’article 1A2 de la Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié, doit se voir reconnaître cette qualité toute personne qui « craint avec raison d’être persécutée » dans son pays d’origine pour des motifs tenant à son ethnie, à sa religion, à son appartenance à un certain groupe social, ou à ses opinions politiques – soit autant de motifs qui génèrent traditionnellement des persécutions de la part des talibans.

La France protège ainsi très régulièrement des Afghans sur ce fondement. C’est le cas en particulier lorsqu’il est établi que le demandeur d’asile a un lien, même très distendu, avec les autorités gouvernementales, la coalition ou une organisation internationale, mais aussi lorsqu’il adopte un profil, un style de vie jugé occidentalisé, ou une pratique de la religion jugée contraires aux canons des talibans (pour un exemple récent voir CNDA, Rec. 2009, p. 26).

Nombreux sont ainsi ceux qui pourraient prétendre à une telle protection après la reprise du pouvoir par les talibans. Les inquiétudes d’organisations de journalistes ou de la communauté judiciaire pour leurs homologues afghans en témoignent, mais au-delà de ces corporations et des minorités ethniques ou religieuses (comme les Hazaras), c’est en réalité des groupes bien plus larges que les talibans pourraient persécuter.

La protection subsidiaire

En outre, à défaut de la Convention de Genève, la protection subsidiaire pourrait aussi bénéficier aux Afghans. Prévue par le droit européen, elle protège ceux qui craignent la peine de mort, des traitements inhumains ou dégradants (quel qu’en soit le motif), ou un conflit armé.

Jusqu’en novembre 2020, la CNDA protégeait à ce titre tout Afghan, du fait du « conflit armé d’intensité exceptionnelle » affectant Kaboul, seul point d’entrée international dans le pays. Si cette jurisprudence a été renversée récemment – au prix d’une décision fort commentée et dont l’évolution de la situation afghane a révélé la difficulté d’appréhender juridiquement la volatilité des conflits – elle pourrait redevenir d’actualité.

Car la fin des hostilités entre les troupes régulières et les talibans ne signifie nullement la fin de la conflictualité et de la violence. La concorde interclanique est fragile, l’opposition historique se regroupe dans la vallée du Panshir et affiche sa volonté d’en découdre. L’État islamique au Khorasan, région entre le Pakistan et l’Afghanistan cherchera aussi à profiter de toute faiblesse locale.

Arriver jusqu’en France

En définitive, l’essentiel pour ces personnes en besoin de protection est d’arriver jusqu’en France. Or, en la matière, c’est à chaque État qu’il revient de favoriser – ou non – l’accès à son territoire.

La déclaration présidentielle annonce à ce titre que 800 personnes ayant aidé l’armée française sont déjà parvenues sur le territoire et que les autorités restent mobilisées pour en faire venir des dizaines d’autres. En dehors de cette voie spécifique – mais qui reste aléatoire et réclame parfois le recours au juge administratif – les mots présidentiels se situent dans une longue tradition de crainte face aux flux engendrés par les conflits armés.

Il n’en demeure pas moins qu’aucun candidat à une protection internationale n’est en situation irrégulière tant que le bien-fondé de sa demande n’a pas été examiné.

Comme le HCR l’a rappelé le 16 août, un État ne saurait refouler ceux – journalistes, artistes, défenseurs des droits, ou rien de tout cela – qui fuient la situation afghane, laquelle génère « un besoin croissant de protection internationale ». Ce n’est pas seulement une question d’honneur, mais surtout de respect par la France et par chacun des États membres de l’UE de leurs obligations juridiques. Il serait regrettable qu’ils s’en défaussent quand leur concours apparaît plus que jamais nécessaire.

Les auteurs sont co-porteurs du projet « RefWar. Protection en France des exilés de guerre » (ANR 2019-2023).

Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international, Université Paris-Saclay; Alexis Marie, Professeur de droit public, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA) et Julian Fernandez, Professeur en droit public, Université Paris 2 Panthéon-Assas

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image : Ajdin Kamber / Shutterstock

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