Réflexions sur le sens biblique du mariage chrétien : Institution naturelle ou alliance de Grâce ?

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On sait que le mariage , qui est un sacrement dans la perspective catholique, mais  seulement une institution naturelle dans le protestantisme, suscite d’énormes remous chez les catholiques à l’heure actuelle dans le cadre des débats sur les divorcés remariés. Ces débats doivent nous amener, à nous qui sommes protestants, à nous poser de multiples questions : d’où vient le divorce entre la doctrine catholique et la « nouvelle pastorale », souhaitée par le pape François, qui se veut beaucoup plus accueillante à l’égard des divorcés-remariés ? Et qu’est-ce que le Christ veut dire lorsqu’il énonce, en Matthieu 19, 6 : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » ? A-t-on assez creusé la signification de cette parole, et notamment l’idée que Dieu serait directement la source qui est à l’origine de ce lien ? Comment se fait-il que les hommes parviennent aujourd’hui à dissoudre aussi facilement ce que Dieu lui-même a uni ?

Observons d’abord que dans la perspective catholique, Dieu est moins à l’origine de ce lien qu’il n’en est le garant. Les époux, en effet, se choisissent ou se reconnaissent mutuellement, et le sacrement de mariage (l’échange des consentements), dans la perspective catholique, est ce qui vient « sceller » divinement cette union. Dieu ne fait donc ici qu’entériner la décision des époux, qu’il unit l’un à l’autre par la médiation du sacrement. Suffit-il néanmoins, pour qu’il y ait mariage « devant Dieu », que les époux se soient donnés mutuellement le sacrement de mariage ? A priori non, puisque l’Eglise catholique reconnaît que le mariage peut être « nul » si l’une des quatre conditions suivantes fait défaut :

  1. Il faut que les époux soient libres dans leur engagement (ce qui exclut aussi bien une pression exercée de l’extérieur que l’aveuglement passionnel).
  2. Il faut qu’ils se promettent fidélité (un mariage où l’un des deux n’aurait pas l’intention d’être fidèle au moment de sa promesse est « nul »).
  3. Il faut que les époux soient ouverts à l’accueil de la vie et à l’éducation des enfants (un conjoint qui ne voudrait pas d’enfant pourrait voir annuler son mariage par la suite).
  4. Il faut, enfin, que les époux aient consommé charnellement leur union.

Mais ces conditions suffisent-elles pour estimer qu’il y a eu mariage « devant Dieu » ? Ne faut-il pas avant tout que les époux aient reconnu que l’amour qu’ils se portent trouve bien en Dieu son origine et sa source, et que c’est seulement ainsi que l’on pourra dire que c’est bien Dieu qui les a « unis » ? Ce qui fait la spécificité de la « nouvelle alliance », si l’on en croit l’Ecriture sainte, c’est qu’elle est « scellée » dans le coeur des croyants régénérés, ce que confirmerait un texte aussi décisif qu’Ezéchiel 36. C’est ce que St Paul appelle la « circoncision du coeur », qui est pour lui la véritable circoncision. Pourquoi ne pas penser alors que l’union des époux soit scellée dans le coeur de ceux-ci, un cœur qui a été incliné l’un vers l’autre par Dieu, qui les unit dans SON amour ? Soit.

Comment savoir que l’amour que je porte à mon conjoint vient réellement de Dieu ?

Mais on dira : ce critère est bien subjectif. Comment savoir que l’amour que je porte à mon conjoint vient réellement de Dieu ? St Paul, en I Corinthiens 13, 4-7, donne cependant des éléments intéressants pour discerner le véritable amour, celui qui trouve vraiment en Dieu sa source et son origine : il « prend patience », il « rend service », il « n’est pas jaloux », il ne « fanfaronne pas », il ne « s’enfle pas d’orgueil », il ne fait « rien d’inconvenant », il ne « s’irrite pas », il « n’entretient pas de rancune », il « trouve sa joie dans la vérité », il « pardonne tout », il « croit tout », il « espère tout », il « endure tout ». Peu de gens sont certes capables d’un tel amour, car nous sommes tous des vases d’argile blessés par la vie et abîmés par le péché, mais c’est pourtant ainsi que nous sommes appelés à aimer. Et si notre cœur a bien été régénéré par le Saint-Esprit, nous devons être capables d’un tel amour... C’est de cet amour là que Paul nous dit « qu’il ne passera pas », et on comprend alors que le lien qui unit les époux qui s’aiment d’un tel amour puisse être véritablement indissoluble aux yeux de Dieu.

Quel est alors le sens du « mariage » ? En réalité, les époux ne font que « consentir » à un amour qui les dépasse (on parle d’ailleurs « d’échange des consentements » plus que du « choix » d’un conjoint, et les exemples bibliques de l’ancien testament semblent montrer que le meilleur moyen de ne pas se tromper est de confier à Dieu lui-même le soin de nous choisir celui-ci), amour qui doit puiser en Dieu sa source et son origine. Dès lors, le mariage ne fait qu’objectiver, par un signe « visible » (c’est l’échange des alliances), cette « alliance invisible » que Dieu a scellée dans le coeur des époux, lorsqu’il les incline l’un vers l’autre.

Ce n’est dès lors pas un hasard si l’apôtre Paul donne pour modèle au mariage humain l’alliance de Grâce du Christ avec son Eglise.

Pour cette raison, je l’avoue, il semble donc difficile de réduire le mariage chrétien à une simple institution naturelle. Il l’est assurément pour les non chrétiens, qui vivent sous le régime de la « grâce commune ». Mais la perspective chrétienne promeut le mariage à une dignité nouvelle (qui est aussi une « restauration », car Jésus rappelle, en Matthieu 19, que le divorce n’était pas à l’origine dans le plan de Dieu, et que c’est seulement la « dureté du cœur » – en l’absence de régénération – qui a rendu possible celui-ci sous la loi de Moïse), en le faisant entrer, pour les époux chrétiens, dans une « théologie de l’alliance de grâce ». C’est ce qui justifie du coup le caractère  spirituel du mariage chrétien, irréductible à une simple institution naturelle, et c’est à mon sens ce qu’ont bien vu les catholiques quand ils font du mariage un « sacrement », ce qu’il n’était pas encore dans l’Ancien Testament, où l’alliance était plus charnelle, puisque le simple fait d’avoir des relations sexuelles (ce qu’on appelle « connaître » au sens biblique) engageait le mari à épouser la femme « connue ». Ce n’est dès lors pas un hasard si l’apôtre Paul donne pour modèle au mariage humain l’alliance de Grâce du Christ avec son Eglise : « Mari, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise. Il a donné sa vie pour elle, en la purifiant par le bain du baptême et la Parole de vie, car il la voulait resplendissante et sans tâche ni ride d’aucune sorte » (Ephésiens 5, 25).

Il est vrai qu’en faisant de l’amour divin que l’on porte à l’autre le « critère » de la validité du mariage devant Dieu, il y a un risque de subjectivisme, susceptible de justifier toutes les trahisons futures. Car comment être sûr, dira-t-on, que l’amour que je porte à mon conjoint vient bien de Dieu, et qu’il n’est pas seulement un attrait passionnel et passager (s’il est vrai que l’amour passionnel, fondé sur l’eros beaucoup plus que sur l’agapè, ne dure, dit-on, que trois ans...) ? Les fiançailles chrétiennes sont théoriquement là pour aider les futurs conjoints, souvent avec l’aide de tierces personnes, à « éprouver » la qualité de leur amour, de manière à rendre possible un authentique discernement. L’échange public des consentements permet alors d’objectiver, une fois pour toute, cette « alliance » scellée d’abord dans le cœur des époux, de manière à libérer par la suite la subjectivité de ses « atermoiements » et des doutes qui pourraient toujours l’envahir après coup .

Mais encore faut-il que l’échange des consentements ait pu correspondre à une « vraie réalité intérieure » au moment de l’engagement

Mais encore faut-il que l’échange des consentements ait pu correspondre à une « vraie réalité intérieure » au moment de l’engagement, car c’est cette réalité invisible (le coeur incliné par Dieu vers son conjoint en vertu d’un amour divin) qui peut seule donner du sens à cet engagement lui-même. Par contre, lorsque cette réalité intérieure fait défaut chez l’un des conjoints, peut-on dire qu’il y a réellement eu mariage « devant Dieu » ? En d’autres termes, le sacrement est-il ce qui « scelle » cette unité, ou seulement ce qui « l’atteste » objectivement aux yeux de la communauté chrétienne, comme c’est aussi le cas pour le baptême biblique, signe visible de l’appartenance au peuple de Dieu ?

En revanche, si le mariage est une institution « purement naturelle » relevant de la grâce commune, et non une œuvre de la grâce que Dieu accomplit dans le cœur de ceux qu’il régénère par son Esprit, cela ne revient-il pas alors à entériner les conséquences du péché dans l’institution elle-même (la « domination de l’homme sur la femme » et la « convoitise de la femme envers son mari », comme nous l’enseigne Genèse 3, 16) ? Ne faudrait-il pas alors faire du mariage un véritable « sacrement » (comme dans le catholicisme), mais un sacrement qui ne tire pas son sens d’une grâce efficace par laquelle Dieu s’engagerait dans ce sacrement (comme le croient les catholiques) mais plutôt de la « réalité invisible » (l’union des cœurs régénérés par la foi) dont l’échange des sacrements est le « signe visible » (ce qui est le sens protestant des sacrements) ? Les noces de Cana, où Jésus remplit les outres de vin nouveau, semblent aller dans ce sens, car Jésus semble ici promouvoir la mariage à une dignité nouvelle, dignité qu’il n’avait pas encore dans l’Ancien Testament, où le mariage n’était pas « indissoluble » du fait, comme on l’a vu, qu’il était possible pour l’homme de répudier sa femme. Certes, Jésus, lorsqu’il affirme l’indissolubilité du mariage, ne fait que renvoyer à l’origine, celle d’un lien qui faisait de l’homme et de la femme « une seule chair ». Mais la corruption du cœur, consécutive au péché, laisse entendre qu’il faut une régénération du coeur humain (autrement dit, il faut le Saint-Esprit et l’intervention de la Grâce dans le cœur de l’homme) pour que celui-ci puisse être capable d’aimer véritablement comme nous le demande St Paul en I Corinthiens 13. Un mariage qui ne prendrait pas sa source en Dieu n’est-il pas dès lors voué à l’échec et peut-on dire alors que les époux ont bien été unis par Dieu ? Ne sont-ce pas plutôt eux qui se sont alors unis eux-mêmes ?

Concernant les conditions qui peuvent éventuellement légitimer le divorce

Concernant les conditions qui peuvent éventuellement légitimer le divorce, voire un éventuel remariage, si le Christ, en Matthieu 19, 9, admet explicitement une « clause » de divorce et de remariage possible, en cas d’union illégitime ou d’infidélité de l’autre conjoint (à condition, peut-on penser, que cette infidélité s’installe durablement dans le couple, et se traduise par une double vie manifeste chez l’un des conjoints refusant de changer de conduite), le texte décisif à ce sujet se trouve ici en I Corinthiens 7, 8-16, qui évoque deux possibilités : dans un couple « mixte », c’est-à-dire unissant un croyant et un non-croyant, le divorce et le remariage ne sont autorisés pour la partie croyante que si le conjoint croyant est abandonné. « Nos frères et sœurs, dit Paul, ne doivent pas se sentir liés dans une telle situation » (I Corinthiens, 7, 15). On peut donc penser que le remariage est permis dans cette situation, même en l’absence d’adultère du conjoint parti, et ce d’autant plus qu’il est douteux que les époux aient pu être unis par Dieu si l’un des deux n’a pas reconnu Dieu comme étant à l’origine de cet amour. Par contre, lorsqu’il s’agit du mariage entre deux chrétiens régénérés, ce mariage ne peut être dissout (sauf, peut-on penser du fait de la « clause d’exception », par le conjoint trahi en cas d’union illégitime de son ou sa partenaire) étant donné que le mariage entre deux chrétiens régénérés est « indissoluble ». Une séparation de corps est donc possible et envisageable, mais elle n’entraîne ni un droit au divorce, ni un droit quelconque de se remarier (sauf si le mariage a été fait trop rapidement sans que les personnes aient pris le temps de discerner Dieu comme étant à l’origine de leur amour) « A ceux qui sont mariés (Paul s’adresse ici aux couples chrétiens), je donne cet ordre – il ne vient pas de moi, mais du Seigneur - : que la femme ne se sépare pas de son mari ; si elle est séparée, qu’elle reste seule, ou qu’elle se réconcilie avec son mari ; et que le mari ne renvoie pas sa femme » (I Corinthiens, 7, 10-11).

Enfin, un intérêt ultime de cette conception du mariage permettrait de bien distinguer les unions légitimes devant Dieu (monogames, hétérosexuelles) de celles qui le sont pas (polygames, homosexuelles). On sait que l’Eglise (protestante) a toujours reconnu comme « valide » le mariage civil, puisque celui-ci relève de la « grâce commune ». Mais au nom de quoi pourrait-elle alors invalider le mariage homosexuel, qui est désormais légalisé par les institutions autorisées ? De ce point de vue, force est de reconnaître que la position catholique est beaucoup plus confortable, puisqu’en faisant du mariage un « sacrement », elle ne considère comme valide devant Dieu que le seul mariage hétérosexuel et monogame, donnant même le droit à ceux qui se sont mariés civilement (sans l’être religieusement) de divorcer civilement, pour se remarier par la suite à l’Eglise. Hypocrisie, diront certains ? Pas sûr, car peut-on reconnaître comme réellement mariés devant Dieu ceux qui n’ont pas discerné Dieu comme étant à l’origine de leur amour, et qui s’aiment d’un amour seulement « humain », amour héritant aussi, par conséquent, des conséquences de la corruption en l’absence de régénération ? Une synthèse du catholicisme et du protestantisme sur ce sujet serait sans doute souhaitable, car elle permettrait de résoudre bien des difficultés auxquelles se heurtent les Eglises catholiques et protestantes face à la multiplication des divorces aujourd’hui, et face à l’apparition d’unions inédites et contraires aux principes bibliques. Et elles pourraient en même temps se montrer peut être d’autant plus tolérantes vis-à-vis de ces mêmes unions (du moins quand elles ne mettent pas en jeu des enfants), puisqu’elles ne seraient pas tenues de les considérer comme un « vrai mariage » devant Dieu.

Charles-Eric de Saint Germain


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