Ralentir… ou trouver son rythme ?

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« Arrêtez le multitasking pour être plus productif », « Ralentir pour réussir », tels sont les titres accrocheurs des magazines, des programmes des organismes de formation, des coachs en développement personnel ou encore des bloggeurs/youtubeurs qui nous proposent de nous apprendre à mieux gérer notre temps, pour retrouver une certaine sérénité dans notre vie quotidienne.

Certes, certaines statistiques mettent en évidence un besoin de conseils en matière de gestion du temps : dans une enquête réalisée début 2018, Harris Interactive indique que 53 % des Français déclarent qu’ils aimeraient ralentir leur rythme de vie. Cette aspiration se heurte au fait que 65 % d’entre eux estiment manquer souvent de temps pour faire tout ce qu’ils voudraient dans une journée. Aussi, cette tendance à la slow life (ralentissement du rythme de vie) et à éviter le multitasking (ne pas faire plusieurs choses à la fois) semble se dresser comme une offensive à la société où tout s’accélère, telle que décrite par le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa en 2010 dans son ouvrage Accélération. Une critique sociale du temps. Mais devons-nous tous ralentir ?

Connais-toi toi-même

Tout comme l’éloge de la rapidité, celui de la lenteur part d’une d’une injonction basique de type : « tout le monde devrait ralentir » ! Dans la société actuelle, tout est fait pour que nous allions plus vite (des moyens de transport en passant par le débit Internet ou plus récemment les assistants virtuels, etc.). De plus en plus connectés, sollicités, nous voyons les tâches se succéder rapidement, sans avoir le temps de répondre à toutes les sollicitations. Faut-il alors tous ralentir ? Peut-on vraiment se le permettre ?

Cette injonction au ralentissement néglige un point essentiel : l’aspect individuel de notre rapport au temps. Nous ne sommes pas tous égaux face au temps qui passe et son ressenti : certains aiment faire plusieurs choses à la fois, pourquoi les en empêcher ? Certains n’aiment pas planifier leurs activités, pourquoi les forcer ? Certains aiment aller vite, pourquoi les forcer à ralentir ?

Face à toutes ces tendances antagonistes, d’un multitasking encensé puis décrié, d’une accélération à une slow life, il apparaît normal d’être perdu. C’est tout simplement parce que le rapport au temps est complexe, pas uniquement lié à la société mais également à l’individu lui-même et aux situations qu’il est amené à vivre. Autrement dit, chacun a son propre rapport au temps : mieux vaut se connaître plutôt que succomber à des modes qui ne nous correspondent pas (ex : la « slow life » pour quelqu’un aimant être pressé, le multitasking pour quelqu’un aimant faire qu’une chose à la fois).

Test : êtes-vous polychronique ?

Quel est votre rapport au temps qui passe ? Êtes-vous plutôt orienté vers le futur, le passé ? Aimez-vous faire plusieurs choses en même temps ? Parce que le rapport individuel de chacun au temps qui passe influence le comportement, les chercheurs en sciences de gestion ont développé des échelles mesurant ce rapport individuel au temps.

Ainsi, pour savoir si vous ne devez faire qu’une chose à la fois, ou plusieurs tâches en même temps, vous pouvez tout simplement vous poser la question de ce que vous aimez, c’est-à-dire dans ce cas, d’évaluer votre degré de polychronicité. Pour ce faire, rien de plus simple, il suffit d’indiquer votre degré d’accord avec chacune des phrases suivantes sur une échelle de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord) :


  • Je préfère travailler sur plusieurs projets chaque jour, plutôt qu’en finir un seul puis passer au suivant.
  • Quand j’ai plusieurs missions, j’aime passer de l’une à l’autre plutôt que d’en réaliser une à la fois.
  • Je m’implique bien plus dans ce que je fais si je peux basculer entre diverses tâches.
  • Je préfère travailler sur plusieurs projets que de concentrer mes efforts sur un seul.
  • Lorsque je dois terminer une tâche, j’aime bien le faire en alternant avec d’autres tâches

(Test adapté de Multitasking Preference Inventory de Popowski et Oswald (2010))


Plus votre score est élevé, plus vous vous retrouvez dans les phrases présentées et donc plus vous êtes ce que l’on appelle un polychronique. C’est-à-dire que vous prenez plaisir à être multitâches. C’est votre nature profonde, indépendamment des circonstances. Dans ce cas, vous avez tout intérêt à choisir un mode d’action multitâche. Inversement, si majoritairement vous n’êtes pas d’accord avec ces phrases, vous devriez vous concentrer sur une tâche à la fois, car vous êtes un monochronique.

Notre rapport au temps est personnel mais également multifacettes. Les exemples concernant la notion de ralentissement, de multitasking, de planification des activités sont aujourd’hui ceux qui posent le plus question dans notre vie quotidienne. Or, ils ne constituent qu’une partie de notre rapport au temps individuel.

Un rapport au temps qui dicte nos comportements

En 2018, nous avons cherché à effectuer un tour d’horizon des multiples facettes de notre rapport au temps. Il en ressort que bon nombre de nos comportements sont dictés par notre rapport individuel au temps qui passe de manière générale, ou spécifiquement au passé, au présent ou au futur.

Par exemple, donner de son temps à autrui (bénévolat) une fois à la retraite, dépendrait de la manière dont on perçoit le temps restant à vivre lorsque l’on vieillit. Il en va de même pour l’achat de produits d’épargne, impliquant nécessairement une projection dans le futur, lorsque nous viendrons à disparaître et qu’il faudra ainsi transmettre un patrimoine. Concernant le temps présent, aimer faire deux choses en même temps (la polychronie), ou encore se sentir stimulé par le fait d’être pressé (ou inversement, détester être pressé) aura un impact sur le choix d’un format de magasin pour les courses alimentaires.

De nombreux choix de notre quotidien sont, bien souvent inconsciemment, dictés par notre rapport au temps individuel, par ces « traits de personnalité liés au temps » que nous venons d’évoquer. Ils sont ancrés plus ou moins profondément en nous. Ainsi, certaines tendances en matière de gestion du temps peuvent aller à l’encontre de notre personnalité ! D’où nos difficultés à suivre certains conseils : chassez le naturel, il revient au galop !

Les effets du temps d’attente

Parallèlement, la perception d’une durée qui s’écoule varie également selon le contexte et l’activité dans lesquels l’individu se trouve. Le plus souvent, elle n’a rien à voir avec la durée réellement écoulée. Schématiquement, le temps inoccupé paraît plus long. Pensez par exemple au temps d’attente en caisse. La musique, les couleurs, la présentation de l’information (exemple : temps d’attente estimé), influencent également grandement la durée perçue. Enfin, les activités complexes ou nouvelles entraînent une surestimation du temps pour les effectuer.

Mais là encore, il est difficile de généraliser les effets de ce temps d’attente, car tout est fonction de notre rapport individuel au temps. Dans la file d’attente d’une caisse de supermarché, ceux qui aiment planifier leurs tâches s’impatienteront peut-être, au vu du retard pris dans leur to-do list du jour (liste de tâches à faire), tandis que les polychroniques, adeptes du multitasking, en profiteront peut-être pour répondre à leurs e-mails !

Alors, que faire ? Ralentir ? Faire plusieurs choses en même temps ? Accélérer ? Finalement, dans la société moderne qui nous propose de ralentir à tous prix, c’est sans doute plus l’adéquation entre son temps individuel et son comportement qui est la source de la satisfaction.The Conversation

Andréa Gourmelen, Maître de conférences en sciences de gestion (marketing), Université de Montpellier and Jeanne Lallement, Maitre de conférences en Sciences de Gestion, spécialisée en marketing, Université de La Rochelle

Cet article se fonde sur une recherche publiée dans la revue « Recherche et Applications en Marketing »répertoriant et synthétisant les travaux de chercheurs en marketing depuis 25 ans sur le rapport au temps et son influence sur les comportements de consommation.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.


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