Giorgia Meloni, 45 ans, leader du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, se prépare à présider le 68e gouvernement italien depuis la Seconde Guerre mondiale, qui sera le gouvernement le plus à droite depuis Benito Mussolini.
La coalition dans laquelle sa formation tient le premier rôle a en effet obtenu près de 44 % des suffrages (plus de 26 % pour Fratelli d’Italia, 9 % pour la Lega de Matteo Salvini et 8 % pour Forza Italia de Silvio Berlusconi) aux législatives tenues ce 25 septembre.
Giorgia Meloni, qui sera la première femme premier ministre dans l’histoire de l’Italie, est connue pour ses propos virulents contre « les lobbies LGBT+ », les « élites de gauche » et, cela va sans dire, les migrants.
À première vue, le succès de Fratelli d’Italia semble n’être qu’une continuation de la dérive de l’Italie vers la droite, initiée par le succès de la Lega aux précédentes élections législatives en 2018 (17 %), et aux européennes en 2019 (33 %).
Les élections de ce 25 septembre, qui voient le parti de Meloni supplanter nettement celui de Salvini, constituent-elles un simple passage de témoin dans le leadership de la droite italienne, ou bien les deux partenaires représentent-ils deux voies distinctes ?
En quoi Fratelli d’Italia diffère-t-il de la Lega ?
Pour répondre à cette question, il est utile d’examiner les deux partis à travers le prisme de leur rapport à la question de la migration, centrale dans les programmes de toutes les formations d’extrême droite, en Italie comme ailleurs. Conformément à cette tradition bien ancrée, Giorgia Meloni et Matteo Salvini ont tous deux placé les politiques migratoires au cœur de leur campagne et de leur programme politique.
Globalement, les Fratelli et la Lega abordent ces questions de la même manière, c’est-à-dire avant tout en termes de sécurité publique, et donc en termes de protection – des citoyens, des frontières, du marché du travail – et non de droits ou d’intégration des nouveaux arrivants.
Les deux partis proposent un contrôle strict de l’immigration légale, mais la Lega met l’accent sur une politique de sélection qui vise à n’accorder l’accès qu’à une main-d’œuvre de qualité et spécialisée, ou alors saisonnière et donc limitée dans le temps. Le parti de Salvini se montre en cela fidèle à son origine et aux intérêts de son électorat historique, à savoir la classe des petits et moyens entrepreneurs du Nord de l’Italie.
En ce qui concerne la question des réfugiés, la Lega se concentre sur la gestion interne de l’accueil et vise à réactiver ses décrets « sécurité » promulgués en 2018, puis désactivés par la suite par le gouvernement Conte/Draghi. Les pierres angulaires de ces décrets sont l’augmentation des temps de détention dans les centres de première arrivée, la réduction des infrastructures d’accueil en favorisant les installations qui concentrent un nombre élevé de demandeurs d’asile, l’augmentation des fonds pour les rapatriements forcés et la réduction des possibilités d’obtention de la protection internationale.
Fratelli d’Italia, pour sa part, s’inscrit dans une longue tradition politique qui est restée minoritaire dans la droite italienne ces dernières années, dominée par l’exploit réussi par Salvini en 2018-2019. Les racines de la formation de Giorgia Meloni se trouvent dans l’extrême droite post-fasciste. Si dernièrement, le parti a stratégiquement écarté toute référence directe au fascisme, il se tourne tout particulièrement vers un électorat souverainiste et ultra-conservateur.
Un candidat de Fratelli d’Italia suspendu pour avoir fait l’éloge d’Hitler.
La mesure clé actuellement proposée par le parti en matière de politique migratoire, le blocus naval contre les migrants qui traversent la Méditerranée, est le reflet de cette identité.
Or, il faut d’abord souligner que cette mesure entre en conflit avec le droit international, car elle ne peut être mise en place unilatéralement qu’en cas de guerre, par le pays attaqué. Même en supposant, comme l’affirme Meloni en réponse aux critiques, qu’un blocus naval peut être concerté de manière bilatérale avec les autorités de la Libye (principal pays à partir duquel partent les migrants qui tentent la traversée de la mer vers l’Italie), il va sans dire qu’une telle action militaire, sur les routes de la Méditerranée, serait pour le moins irresponsable.
Un précédent tragique existe dans l’histoire. Le 28 mars 1997, 81 réfugiés perdirent la vie lors du naufrage du Katër i Radës, éperonné par une corvette de la marine de guerre italienne suite à l’application du blocus naval concerté entre le gouvernement Prodi e l’Albanie. À noter qu’il s’agissait d’un navire de 35 tonnes, pas d’une embarcation de fortune à la dérive.
L’épave du Katër i Radës exposée dans le port d’Otranto, mémorial du naufrage du 28 mars 1997.
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Que se passera-t-il si les autorités libyennes ne coopéraient pas à la mise en œuvre du blocus naval, et les bateaux des passeurs continuaient à transporter des migrants vers les côtes italiennes ? Nous serions confrontés à deux scénarios possibles, selon le programme du parti.
Première option : la Libye contrôle ses propres frontières et laisse donc délibérément partir des centaines de milliers de migrants. Dans ce cas, le blocus naval serait la réponse hostile à un acte tout aussi hostile du pays nord-africain. Deuxième option : la Libye ne contrôle pas ses frontières, auquel cas l’ingérence d’un autre pays ne peut être pas considérée comme un acte hostile, puisque ces territoires – les portions de mer – sont de facto libres.
La Lega s’est montrée sceptique à l’égard du projet de blocus naval
En pleine campagne électorale, Salvini n’a pas apprécié une prise de position aussi forte sur une question considérée comme son cheval de bataille ces dernières années, capable de faire bouger le consensus comme peu d’autres sujets en Italie.
D’autre part, la question des réfugiés est traitée par Fratelli d’Italia avec une mentalité que l’on pourrait qualifier d’impérialiste – une façon de penser le rôle de sa propre nation dans le scénario mondial typique de l’imaginaire fasciste, imprégnée d’autoritarisme et d’ethnocentrisme.
L’Italie en porte-à-faux vis-à-vis de l’UE ?
Certains observateurs ont déjà prédit un adoucissement pragmatique de l’approche anti-européenne habituellement adoptée par Giorgia Meloni et son parti. Pour mettre en œuvre son blocus naval, Fratelli d’Italia devrait en effet travailler en étroite coopération avec l’UE pour opérer sur les côtes libyennes.
À cet égard, Meloni a, de façon polémique, répété à plusieurs reprises que l’Europe ne peut pas se dérober à sa responsabilité de soutenir le projet, puisqu’elle n’a pas ménagé ses efforts pour endiguer la route des Balkans vers l’Allemagne d’Angela Merkel. Manifestement, ce n’est pas avec l’Allemagne (ou la France, à l’exception de Marine Le Pen) que Meloni semble avoir le plus d’atomes crochus au niveau de l’UE, mais plutôt avec le Groupe de Visegrád.
Cette attitude est aggravée par des propos qui sont souvent explicitement contraires aux positions du Parlement européen, comme son soutien récemment réitéré a Viktor Orban, qu’elle a présenté comme un gentleman démocratiquement élu, en contraste flagrant avec une récente résolution du Parlemet européen qui qualifie la Hongrie d’« autocratie électorale ». Les relations entre Meloni et le leader hongrois ont toujours été étroites, notamment sur la question de la fermeture des frontières aux migrants.
Au vu de ces positions, bien que Meloni parle d’une mesure qui « s’inscrit parfaitement dans l’approche de l’UE », il est loin d’être certain que le projet de blocus naval reçoive le soutien de Bruxelles. La décision de mettre en œuvre une telle mesure de manière autonome serait encore plus critique, ainsi que difficile sur le plan pratique et économique.
Que pourrait-il se passer si l’UE ne soutient pas la politique migratoire de Meloni ?
Sommes-nous vraiment confrontés au risque que l’Italie suive l’exemple de pays comme la Hongrie et la Pologne, et devienne elle aussi un membre de l’Union qui utilise la menace de faire obstruction aux projets de l’UE pour obtenir gain de cause sur ses propres dossiers ?
Tout dépend évidemment de l’étanchéité de cette nouvelle coalition. Ce qui est certain, c’est que les forces anti-immigration de la droite radicale célèbrent déjà le résultat des élections italiennes, convaincues d’avoir un nouvel allié au sein de l’Union. Nous sommes à l’aube d’un nouveau défi pour l’UE, et ce sera potentiellement l’un des plus difficiles de son histoire récente.
Alessandro Mazzola, Cultural and Political Sociologist, Université de Liège
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.