Le 10 novembre, dans l’émission de Présence Protestante animée par Marion Muller-Colard, Écriture. s, le 24 novembre dans l’Émission Interreligieuse depuis le Collège des Bernardins (voir photo), et encore le 8 décembre, à l’occasion d’une émission spéciale, pour sa réouverture, depuis la cathédrale Notre-Dame, ces prochaines semaines la question du patrimoine religieux sera au cœur des programmes du dimanche matin sur France 2.
Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu ; 5 et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, édifiez- vous pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce, afin d'offrir des victimes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus Christ.
La Bible - Seconde épître de Pierre, chapitre 2
Alors, bien sûr, si l’on compte en granite, tuffeau ou grès, en vitraux, statuaire ou icônes, en zuchettos, mitres ou autres paramentiques (merci Wiki), le patrimoine protestant paraît a priori bien pauvre par rapport à celui de ses consœurs chrétiennes. Mais comme toujours, il convient de nuancer.
En accompagnant ces derniers mois la fabrication de ces trois programmes qui abordent tous, à leur façon, la question du « patrimoine » religieux, deux courant distincts sont apparus. Le plus simple serait de ranger d’un côté les religions qui inscrivent leur Histoire dans la pierre et de l’autre, celle qui s’en abstiennent.
D’un côté les catholiques – champions incontestés du clocher au centre du village – puis les orientaux, migrants bâtisseurs, au centre, peut-être, les bouddhistes ? Et de l’autre côté, les Sans-pierres : les musulmans, juifs et protestants pour qui une salle au pied d’un immeuble suffit.
Mais la pierre, n’est-ce pas aussi la cité ? Le lieu où l’on va pour rencontrer Dieu ? Le lieu qui rassemble, qui unit ?
Et c’est alors que se rappellent à nos mémoires de lecteurs attentifs de la Bible toute l’histoire des lieux où le peuple hébreu se rendait pour consulter les prophètes, être jugé ou pour y apporter ses sacrifices. Se rendre, aller vers Dieu ou ses représentants, reconnaître le rôle de ces lieux et de ces personnes, enlever ses chaussures ou son chapeau avant d’entrer, ou au contraire se couvrir, ce n’est pas anodin.
Mine de rien Les protestants de tous horizons sont nombreux à se rendre en Terre Sainte sans s’avouer vraiment qu’ils y pélerinent. Pas si simple donc de départager.
Et, vous, êtes-vous un Avec ou un Sans-pierre ?
Et c’est alors, encore plus loin dans la nuance, qu’à l’intérieur même de toutes les religions, Sans-pierres ou Avec, on distingue chacune de ces tendances, comme des mouvements souterrains, lourds et profonds.
En caricaturant, dans chaque religion, il y celles et ceux qui sanctuarisent tout, qui font du patrimoine, qu’importe qu’il soit matériel ou immatériel, un sacré. Un objet à conserver et à restaurer avec respect, en tremblant si possible, à transmettre de génération en génération, mais à ne surtout pas transformer. C’est le clocher de mon village, c’est telle icône, relique ou sanctuaire, telle Bible qui a appartenue à.
C’est l’histoire de mon grand-père qui devient importante plus pour ce qu’elle est et pour ce qu’il fut lui, que pour ce qu’elle dit. C’est le sacro-saint, l’inoxydable culte de famille, la prière du soir ou la lecture du matin que l’on dit, bien obligé. Ce n’est rien de mauvais en soi, au contraire, mais rien de bon en soi non plus.
Et puis, il y a celles et ceux pour qui le rejet des « idoles » s’est muté en une absence de racines. Qu’importe hier pourvu qu’aujourd’hui soit et soit nouveau tant qu’à faire. Quand la nouveauté devient sacrée. Actes volontaires, pensés et pesés par rejet, ou positions involontaires, symptomatiques d’un monde qui s’est liquéfié d’un coup de zapette ou d’index, scrollant jusqu’au bout de la nuit d’un short à l’autre, un monde où rien n’a le temps de sédimenter. Les plus extrêmes de ceux-là elles n’ont peut-être pas été émus devant l’effondrement de Notre-Dame.
Ce rejet de ce qui nous précède peut s’expliquer parfois à la lueur d’un passé trop douloureux pour l’endosser. Les abus, les positions dominantes, écrasantes, l’absence de dialogue, les soifs d’absolu qui ont asséché les cœurs autour d’elles, tout cela a construit notre monde d’aujourd’hui, clivé jusqu’à l’écœurement.
Mais tous, autant que nous sommes, nous n’inventons rien, nous recommençons seulement. Chez les protestants, les iconoclastes ont une fâcheuse tendance à iconiser leur iconoclasme. Parmi les plus jeunes, les chants de louange de Bethel Church ne font que mollement succéder aux cantiques de Ruben Saillens à coup de nappe musicale crescendo.
Comment Te louer ? À qui appartient le patrimoine religieux, matériel ou immatériel ? Faut-il faire payer l’entrée de Notre-Dame ? A-t-on le droit de transformer une chapelle en salle de sport ? Peut-on louer les espaces de nos églises à des associations ou groupes qui ne partagent pas ce que nous croyions ? Qu’est-ce qui est sacré ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Ai-je le droit de chambouler l'histoire de mon grand-père pour en faire un roman ? Est-ce que je trahis ma grand-mère si je modifie la recette qu’elle m’a léguée ? Que va-t-elle penser ?
Aime, et fait ce que tu veux. Il vaut sans doute mieux se tromper sincèrement qu’avoir raison sans aimer Dieu et son prochain. Car la Parole de Dieu le rappelle, vers la fin, vous vous souvenez ? L’amour pour Dieu et son prochain est au-dessus du sacré. Un exemple parmi d’autres : même si son peuple a oublié le plus sacré de ses objets, l’Arche de l’Alliance, Dieu n’a jamais oublié son peuple.
Christophe Zimmerlin, Producteur éditorial de Présence Protestante