Quand les patients enseignent la médecine aux soignants

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Depuis quelques années, on assiste à une participation accrue des patients, non seulement dans leurs soins, mais aussi comme acteurs de santé.

Les savoirs expérientiels des patients et l’expertise de leurs associations ont progressivement gagné en reconnaissance. Des patients dits experts, ou ressources, ou partenaires, collaborent avec des soignants pour faire en sorte que les interventions en santé correspondent à ce que les personnes en attendent. Aussi, depuis une vingtaine d’années, la démocratie en santé ne cesse de s’étendre, et le point de vue des patients est convié de plus en plus d’espaces. Sans chercher l’exhausitivité, sont concernés des domaines aussi divers que: l’éducation thérapeutique, l’évaluation des produits de santé ou encore la médiation en santé. Et le champ de la formation médicale n’échappe pas à ce mouvement.

Des soignants dépassés

Quel que soit le champ de leur engagement, de nombreux patients cherchent à améliorer l’expérience de soins du plus grand nombre de personnes.

Une expérience de soins réussie est multifactorielle. Elle dépend de la fluidité des parcours de soins, des traitements accessibles, de la qualité des soins dont fait partie la sécurité, les compétences professionnelles mais aussi la qualité des relations de soins. Or celles-ci peuvent générer beaucoup d’insatisfactions chez les patients.

Elles en génèrent aussi du côté des soignants à qui il arrive souvent de se sentir dépassés par certaines situations. Sans doute que leur formation les y a insuffisamment préparés. C’est ce que révèle une enquête de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (non publiée mais disponible sur demande qui a mis en évidence qu’ils se sentaient insuffisamment formés pour faire face à toutes les situations, en particulier sur le plan relationnel.

Cette association a identifié plusieurs solutions pour remédier à ce constat, parmi lesquelles faire intervenir les patients dans leur formation. Leur constat converge avec des recommandations officielles récentes qui invitent également à faire participer les patients à la formation médicale, tant dans l’enseignement que dans l’évaluation des étudiants (Ma Santé 2022).

Ces recommandations interviennent alors que depuis une vingtaine d’années, en France, des patients, des proches de patients ou leurs associations, sont parfois invités à intervenir devant des étudiants en sciences de la santé. Mais depuis peu, ce mouvement a pris de l’ampleur. Cela se constate au fait que certaines facultés de médecine ont systématisé ces interventions, dans le cadre de programmes formalisés.

Des patients-enseignants en fac de médecine

Ainsi, à la faculté de médecine de Bobigny-Université Paris 13, des patients sont membres de la commission pédagogique et des instances décisionnelles du département de médecine générale. Depuis quatre ans, vingt patients enseignent dans ce département, avec un statut d’enseignants-vacataires – et rémunérés à ce titre – au côté des enseignants-médecins.

Ces patients sont recrutés par un comité de patients pour la qualité de leur projet pédagogique, et pour leurs savoirs collectifs construits dans le milieu associatif ou dans des communautés virtuelles. Ils interagissent avec les internes, notamment lors des analyses de situations cliniques. Ces analyses débouchent sur des propositions de soins, qui grâce aux apports des patients-enseignants intègrent ce que les patients attendent des soins.

Ces enseignements concernent 90 % des cours suivis par les internes. Les patients participent également à l’évaluation des étudiants, en corrigeant leurs traces écrites d’apprentissage et en siégeant dans les différents jurys qui certifient les aptitudes médicales des internes.

Les résultats des recherches portées par le laboratoire Éducations et Pratiques de santé (EA3412) ont mis en évidence l’acceptabilité de ce programme, ses ingrédients actifs (parmi lesquels l’importance des critères du recrutement des patients, leur statut d’enseignant vacataire, le rôle des coordonnateurs du programme, l’engagement d’un doyen, d’un département), et l’utilité de ces enseignements, au regard de l’analyse de leurs contenus qui a été réalisée.

Le programme de cette faculté est encore pionnier sans toutefois être unique. Des facultés autres que Bobigny intègrent des patients, mais encore rarement de manière aussi systématique. C’est notamment le cas des facultés de médecine de Lyon Est, Sorbonne Université, Paris 12 et Montpellier. Et de nombreuses autres se questionnent, non pas tant sur le sens de cette intégration, mais sur la meilleure façon de la réussir.

Valoriser le statut du patient-contributeur

Pour répondre aux défis soulevés par ces questions, la faculté de médecine de Bobigny-Université Paris 13 a organisé début octobre avec des représentants des facultés sus-citées le premier colloque inter-facultaire sur l’enseignement avec les patients.

Les conclusions ont été édifiantes. Ainsi, il ne paraît plus envisageable d’enseigner l’approche centrée sur les patients, sans patients. Il apparaît aussi que les patients doivent intervenir au plus tôt dans la formation afin de sensibiliser les étudiants à la perspective des patients, à l’intérêt du partenariat de soins et des actions collaboratives avec des usagers en général pour améliorer la qualité des soins.

Au niveau du troisième cycle, il s’agit d’aider les internes à passer de personnes sachantes à des personnes bien-faisantes. En faisant en sorte que cette transformation soit en partie guidée par des patients porte-parole de leurs pairs.

Enfin, selon les participants à ce colloque, un statut doit être pensé pour les patients les plus engagés dans la formation médicale, pour reconnaître la valeur de leur contribution.

De manière à instituer ces apports, les participants du colloque se sont prononcés pour que soient créés dans les facultés des bureaux de la responsabilité sociale, sur le modèle du bureau facultaire de Montréal. Ces bureaux devront intégrer des coordonnateurs en charge de l’implémentation des patients, implémentation qui devra concerner les études de santé en général.

Enfin, comme toute innovation pédagogique, il convient d’encadrer celle-ci de recherches. Des chercheurs seront donc à être intégrés dans ces bureaux. Leurs recherches ne devront pas être déconnectées de celles qui portent sur l’engagement des patients en général car elles s’enrichissent mutuellement.

L’auteur a récemment publié L’engagement des patients au service du système de santé, 2017, éditions Doin.

Ce texte s’inscrit dans une série d’articles autour de la thématique « Santé publique », sujet du colloque de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) qui se tient les 6 et 7 novembre, à Bruxelles avec plus de cent cinquante acteurs francophones : établissements universitaires, représentants gouvernementaux, représentants des agences nationales, experts des politiques de santé publique dans le monde francophone.The Conversation

Olivia Gross, Chercheur Associée Laboratoire Educations et Pratiques de Santé, EA3412, Université Paris 13 – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.


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