Ce mardi 21 mars signait le vingtième anniversaire du déclenchement de la seconde guerre du Golfe qui allait conduire à la chute du dictateur sanguinaire Saddam Hussein et plonger l’Irak dans un tourment dont il peine à se relever. Sous la férule du tyran, les chrétiens bénéficiaient cependant d’une relative tranquillité, contrairement à leurs coreligionnaires qui vivent dans d’autres pays arabo-musulmans. Une situation qu’ils partageaient avec leurs frères de Syrie où le pouvoir brutal, également d’inspiration baasiste, ne persécute pas les chrétiens en tant que tels, mais compte sur les minorités.
Une figure a marqué la diplomatie irakienne, celle de Tarek Aziz, ministre des Affaires étrangères et vice-Premier ministre, également chrétien. L’homme, réputé ne pas avoir de sang sur les mains, ne s’est cependant jamais vraiment soucié des chrétiens du pays, se positionnant davantage comme nationaliste arabe.
Né Mikhaïl Johannah dans une famille assyrienne, le numéro deux du régime avait changé de nom pour se rapprocher, comme le futur dictateur, du mouvement panarabiste soutenu par le parti Baas créé en 1944 par le chrétien orthodoxe Michel Aflak et le musulman sunnite Salah Eddine Bitar. À ses débuts, ce parti socialiste, qui est celui de Bachar el-Assad en Syrie, accueillait nombre de chrétiens, notamment parce qu’il permettait une émancipation en ne liant pas l’identité à la religion mais à l’arabité.
La persécution par les islamistes depuis la chute du dictateur
"Ceux qui détiennent le pouvoir doivent mettre un terme à la persécution des chrétiens parce que nous sommes tous membres de la même famille, chrétiens et musulmans, nous sommes les fils de la même terre."
C’est par ces mots que le patriarche assyrien Mar Addaï interpella en février 2006 le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki alors que des responsables des partis politiques chrétiens étaient menacés de mort. La même année, des femmes chrétiennes furent violées, un prêtre syriaque décapité ou encore un adolescent de 14 ans fut crucifié.
L’essor de l’État islamique, qui a atteint son maximum territorial en 2015, avant sa défaite, a favorisé une politique de large extermination des minorités en s’en prenant tant aux adultes qu’aux enfants. Cette année-là, le Comité des droits des enfants des Nations unies a dénoncé le meurtre de mineurs notamment chrétiens et yézidis, mentionnant des cas "d'exécutions de masse de garçons, ainsi que des décapitations, des crucifixions et des ensevelissements d'enfants vivants".
Une situation terriblement différente de celle antérieure à la chute de Saddam Hussein où les chrétiens et les sabéens vivaient leur foi avec davantage de libertés que dans la plupart des pays de la région. Trois ans avant l’accession de Saddam Hussein à la présidence, l’Irak baasiste depuis deux ans avait adopté une nouvelle constitution en 1970 dont l’article 4 de la Constitution de 1970 faisait de l’islam la religion, cependant sans mentionner la charia. L’article 25 prévoyait la liberté religieuse "en accord avec la morale et l’ordre public". Le décret 32 de 1982 vint préciser que l’État reconnaissait 17 cultes, dont les chrétiens, les juifs, les sabéens et les yézidis, laissant chaque communauté s’organiser comme elle l’entendait.
Le dictateur irakien n’a toutefois pas fait montre d’une grande bienveillance envers les yézidis, aujourd’hui minorité la plus persécutée en Irak et adepte d’un monothéisme considéré comme satanique, et le pouvoir baasiste a tenté de gommer son identité en créant des villages arabes sur son territoire, en pratiquant des déplacements forcés.
Il est également connu pour sa violente répression des Kurdes, allant jusqu’à en gazer 5 000 en 1988, ou avoir massacré des milliers de chiites après sa défaite lors de la première guerre du Golfe. Il a cependant manifesté de la bienveillance envers les Sabéens, une communauté monothéiste, allant jusqu’à autoriser la création d’un lieu de culte pour la communauté à Bagdad, la capitale, sept mois avant le déclenchement de la guerre, et il a garanti la liberté des chrétiens.
Liberté relative pour les chrétiens, en tant que chrétiens
En 2003, on recensait entre 1,2 et 1,5 million de chrétiens en Irak, il y en aurait trois fois moins aujourd’hui. Laïque à l’orientale, c’est-à-dire sans totalement séparer l’État de l’islam, le pouvoir baasiste a financé la construction d’églises et la restauration de couvents et de monastères. Ainsi, 25 lieux de cultes furent érigés dans la capitale sous le patriarche catholique chaldéen Paul II Cheikho. Les catholiques syriaques purent éditer des centaines d’essais culturels et religieux, en les soumettant cependant en amont à la censure gouvernementale.
Sous la dictature, les chrétiens n’étaient pas persécutés en raison de leur foi, n’étaient pas vus comme une menace clanique et politique pour le pouvoir. De fait, si des chrétiens étaient ciblés par le régime, c’était en raison de leurs activités jugées politiquement subversives et à titre individuel. La liberté politique n’existait pas, la liberté religieuse leur était accordée.
Toutefois, le prosélytisme leur était refusé, et autant un chrétien pouvait se convertir à l’islam, autant l’inverse n’était pas admis. Joseph Fadelle, musulman chiite converti au catholicisme durant son service militaire, affirme dans sa biographie "Le prix à payer" qu’il a été torturé à la demande d’un cousin membre des services secrets, et a dû attendre avant de se faire baptiser, car aucun prêtre n’osait prendre ce risque, la peine de mort étant appliquée en pareil cas.
Malgré ces obstacles, le régime baasiste n’a pas discriminé les chrétiens sur le plan social. Ils ont pu non seulement être membres du parti cofondé par l’un des leurs, mais également accéder à des hauts postes administratifs. Et si le fils aîné du dictateur, Oudaï Hussein, n’hésitait pas à accaparer les biens de familles chrétiennes, mais c’était sans les viser en raison de leur foi, car il s’emparait également de ceux des membres des autres confessions.
Bien que la liberté religieuse ait été officiellement maintenue dans la Constitution de 2005, le pouvoir n’a pu maîtriser les violences à l’encontre des chrétiens. Des réfugiés chrétiens en France regrettent le temps où ils avaient du travail, vivaient en sécurité, jusqu’à dire "On pouvait dormir tranquille en laissant les portes de nos maisons ouvertes", comme Khalid, réfugié en France, qui assure qu’il vivait avec des musulmans et des chrétiens sans savoir de quelle confession était chacun.
Nombre de chrétiens irakiens ont fui en Syrie où le dictateur baasiste Bachar el-Assad les a accueillis à bras ouverts, tenant à présenter un autre visage de son pays.
Dans ce pays frère, le pouvoir dictatorial se montre bienveillant envers les minorités religieuses, sur le même principe que dans l’Irak de Saddam Hussein. Le père de l’actuel président, Hafez el-Assad, s’est appuyé sur les minorités pour asseoir son pouvoir, garantissant en contrepartie leur protection.
Les Assad sont, eux-mêmes, issus de la minorité chiite alouite qui représente 11 % de la population. Le pouvoir baasiste syrien a supprimé le statut de dhimmi des chrétiens qui en faisait des citoyens de seconde zone.
En 2007, Hammoudé Sabbagh, de confession chrétienne, est devenu président du parlement. Dans ce pays laïc, les chrétiens peuvent construire des églises sans plus d’entraves que les musulmans, mais connaissent aussi les geôles du régime s’ils s’y opposent politiquement.
Jean Sarpédon