S’il vous plaît… dessine-moi une « fake news » !
« La ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a affirmé que le texte de cette proposition visait à “mieux faire respecter les règles existantes en les adaptant aux nouvelles réalités caractérisées par le poids croissant des réseaux sociaux, la vitalité de l’information et le développement du sponsoring” durant la période électorale. »
Le projet à pour objet d’empêcher – avant des élections majeures – ce que la classe politique à pour coutume d’appeler des « boules puantes ». Cette proposition de loi a vocation à ne s’appliquer qu’en période électorale et plus précisément trois mois avant un scrutin national.
Permettez-moi une question : L’affaire Benalla, dans le cadre d’une telle loi aurait-elle été occultée si elle avait eu lieu dans les périodes telles qu’elles sont définies ? Je me permets de répondre à votre place : la réponse est vraisemblablement oui !
Trois mois de chômage technique pour les journalistes d’investigations ?
Faudra-t-il interdire de publication de nombreux supports presse – contrariants – durant les périodes jugées sensibles ! Quant aux journalistes d’investigations – si une telle absurdité devait être mise en œuvre – je suggère aux journalistes du Canard Enchaîné – pour ne citer que ce dernier – de se mettre en RTT ou en arrêt maladie, de s’auto-assigner à résidence, ce qui leur évitera la garde à vue.
Définition d’une « fake news » : le grand flou
Pour ce qui est de la définition d’une « fake news », bienvenue dans le grand flou. Il est un gouffre entre monter de toutes pièces une fausse information comme le font les trollers de Saint Petersbourg à grand renfort de montages vidéo et de reportages fantaisistes et porter à connaissance des citoyens des faits issus d’investigations de journalistes professionnels. Une « fake news » pourrait ainsi rapidement devenir – dans une temporalité définie – de simples faits qui dérangent. Observez Donald Trump utiliser le terme : tout est dit.
Un projet de loi nul et non avenu
Je n’apprendrais à personne, et certainement pas au gouvernement et à la représentation nationale que la diffusion d’une fausse information est sévèrement punie par la loi depuis 1881. Ce projet de loi est de fait nul et non avenu. Il présente tous les atouts pour être dévoyé et servir la censure. Si une fausse information visant à manipuler l’opinion publique devait être diffusée la loi s’applique d’ores et déjà !
Pour rappel à ceux qui feignent de l’ignorer : « En droit français, la diffusion de fausse nouvelle est une infraction pénale consistant à publier, diffuser ou reproduire, par n’importe quel moyen, des informations fausses, des pièces fabriquées, falsifiées, voire mensongère et basées, sur la mauvaise foi, du moment que celles-ci ont été reconnues comme de nature à troubler l’ordre public ! ».
« N’importe quel moyen » cela intègre de fait les réseaux sociaux ! Où alors je ne sais pas lire !
J’ose espérer que la représentation nationale, en conscience, mesure la dangerosité de ce projet. Rétrospectivement, si une telle loi avait existé lors de l’élection présidentielle française de 2017, Monsieur Fillon serait aujourd’hui président de la France. Il doit considérer ce projet avec une bien grande amertume.
Aussi, plutôt que de légiférer (encore), la sagesse recommanderait à toutes personnes ayant commis des faits incompatibles avec l’exercice d’un mandat national – détournement de fonds public, corruption passive, blanchiment de corruption, etc. – à ne ne pas prétendre exercer des responsabilités pour le collectif. Qui osera demain voter une telle loi ?
De deux choses l’une :
- Soit il n’en mesurera pas le potentiel de censure et d’arbitraire inacceptable en démocratie, contraire aux principes même de la libre expression et cautionnera par ignorance une attaque violente de la liberté de la presse essentielle à un bon fonctionnement démocratique.
- Soit, il envisagera de le faire en conscience, avec pour seule ambition cynique la garantie d’une totale impunité de ses actes frauduleux passés. Voire – durant la période de prescription – il aura la tranquillité de pouvoir transgresser toutes les règles d’un état de droit pour accéder au pouvoir.
Il n y’a pas d’entre-deux !
J’espère que mes mots auront convaincu ceux et celles qui peut-être ne voyait pas malice dans ce projet de loi et j’invite ceux et celles qui seront demain invités à décider à ne pas y souscrire.
« Les quatre principes de la vie en société sont les convenances, la justice, l’intégrité et la modestie. » (Kouan Tseu)
À suivre
Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.