Il y a une semaine, Jean Ping, le candidat officiellement défait lors de l’élection présidentielle du 27 août dernier au Gabon saisissait la Cour constitutionnelle.
Il reste désormais moins d’une semaine aux juges pour dire en faveur de qui de Ping ou de l’actuel président Ali Bongo parle le verdict des urnes. La Cour, elle-même soupçonnée de partialité du fait des liens entre sa présidente et le clan Bongo, rendra sa décision au plus tard le 23 septembre.
Depuis la proclamation des résultats, les partisans de Jean Ping ne décolèrent pas, et les manifestations et heurts dans la capitale, Libreville, et à Port-Gentil ont déjà coûté des vies, l’Assemblée nationale a été incendiée. Le calme est revenu, et le pays attend dans la crise la décision de la Cour avant d’éventuellement replonger dans la violence. Vainqueur déclaré avec une avance de 5594 voix, soit 49,80% contre 48,23% avec un taux de participation de 59,5% pour 628 000 inscrits, Ali Bongo est accusé d’avoir falsifié les résultats.
Une accusation étayée par de solides arguments qui, d’ailleurs, font douter une mission de l’Union européenne de la sincérité du scrutin. Alors que dans le reste du pays, la participation est en moyenne de 48%, une province aux chiffres farfelus fait grimper le score national, celle du fief du président Bongo où le décompte des voix donnerait 99,93% des inscrits ayant voté à 95,46% en faveur du chef de l’État. Une telle disproportion entre la moyenne nationale et celle de la province du Haut-Ogooué, dans le sud-est du pays, ne pourrait résulter que d’une tromperie manifeste et grossière.
Le candidat malheureux, Jean Ping, assurait au moment de la saisine de la Cour constitutionnelle avoir obtenu 174 procès-verbaux sur les 297 bureaux de vote de cette province. Ils montraient, affirme Ping, au moment du recours à la justice, 11 000 abstentions sur 61 000 inscrits, il était impossible que les 123 autres bureaux de la région compensent. De plus, les résultats n’ont pas été annoncés publiquement dans la province, déplore Mariya Gabriel, le chef des observateurs de l’Union européenne, un manque de transparence révélateur. Jean Ping demande « une confrontation PV par PV, de façon paritaire, en présence d’experts de l’Union européenne ». Selon les calculs de l’opposition, Bongo est bien arrivé en tête dans cette province, mais avec seulement 86% et sur 29 114 bulletins et non 68 399. « Nos chiffres sont tout simplement ceux des procès-verbaux, que nous avons transmis à la mission européenne d’observation des résultats » assène Jean Ping.
Au vu de telles erreurs, la Cour constitutionnelle devrait au moins invalider le scrutin, sinon déclarer Jean Ping vainqueur. N’étaient les rapports entre sa présidente et le chef de l’État...
La présidence Bongo, un imbroglio systémique : « Dallas » à Libreville
La Présidence de la Cour constitutionnelle semble immuable depuis 1998, et une affaire de famille. Marie-Madeleine Mborantsuo était la maîtresse du Président Omar Bongo, le père d’Ali Bongo qui l’a remplacé après la période d’intérim assurée par Rose Rogombé, présidente du Sénat, avec qui elle a eux trois enfants. En sus de ces liens avec Ali Bongo, elle a depuis longtemps débordé du terme de son mandat de 7 ans non renouvelé, l’excès se monte à 11 années ! L’ambassadeur américain au Gabon a pu dire : « Ici, c’est Dallas ! » Jean Ping a le sens de la formule quand il qualifie la Présidente de la Cour de « Tour de Pise [qui] penche toujours du côté du pouvoir ».
L’intéressée, qui se défend de toute partialité et insiste sur la collégialité dans la prise de décisions, répond dans Jeune Afrique que certains des neuf juges sont liés par le sang aux candidats, et que sa relation avec Omar Bongo est de l’affaire ancienne. Elle assure par ailleurs que ceux qui évoquent cette liaison entretiennent eux-même ce type de relation avec la famille Bongo Ondimba. Suivez son regard en direction de Jean Ping, ancien compagnon de la fille aînée d’Omar Bongo - dont il fut chef de cabinet et ministre -, et donc « dans » la famille des enfants de la Présidente de la Cour... Si la collégialité peut favoriser un verdict approchant de la neutralité, ou du moins d’un résultat que donnerait la neutralité, la présence de Mme Mborantsuo à la Cour, alors qu’elle n’est plus censée en être membre, laisse dubitatif quant à l’objectivité des magistrats.
Toutefois, pour Anges Kévin Nzigou, juriste disposant des nationalités française et gabonaise, la Présidente de la Cour constitutionnelle, déjà « visée par plusieurs dossiers de conflits d’intérêts » pourrait ne pas soutenir le Président Bongo, contrairement à 2009 où elle avait rejeté les 11 requêtes contestant l’élection l’Ali Bongo. Cette fois-ci, la France ne soutient plus d’emblée le Président contrairement à 2009 où les observateurs mandatés par le Quai d’Orsay avaient déclaré avant même tout examen que les élections s’étaient correctement déroulées.
Pour Anges Kévin Nzigou, les dossiers de conflits d’intérêts relatifs à la Présidente de la Cour constitutionnelle pourraient peser de manière décisive : « Si elle se sent davantage protégée avec Ali Bongo, elle le maintiendra en place. Si elle reçoit des assurances de l’opposition ou de la communauté internationale, en revanche, tout est possible. » Les pressions internationales sur Bongo compteront, comme les éventuels engagements de Jean Ping à l’endroit de Mme Mborantsuo, car le candidat malheureux est l’oncle d’un des membres de la Cour où il dispose aussi de relais.
La Cour devra donc rendre un verdict qui pourrait plonger le pays dans le chaos au terme d’une campagne électorale où les deux principaux camps ont exacerbé les tensions au risque d’entraîner le pays dans la violence. Le 10 mai dernier, Jean Ping avait suscité la stupeur médiatique en appelant à « une véritable expédition pour se débarrasser des cafards »(vidéo, à 1 minute 12). Ping, comme pour faire oublier ses origines chinoises, a accusé Ali Bongo d’être un étranger, relayant les propos du journaliste Pierre Péan selon lesquels l’actuel chef de l’État est nigérian et a été adopté par Omar Bongo, affirmations contredites par le quotidien régional français Midi Libre.
L’objectif était également d’empêcher Ali Bongo d’être postuler, l’article 10 de la Constitution du Gabon disposant que « toute personne ayant acquis la nationalité gabonaise ne peut se présenter comme candidat à la présidence de la République » ; de l’autre côté, l’entourage d’Ali Bongo a dénoncé Jean Ping comme cheval de Troie de la Chine. Sur son blog, sous le titre « Les deux crocodiles et le marigot« , l’historien africaniste Bernard Lugan met dans le même sac les deux candidats, estimant que Jean Ping est un opportuniste qui a senti le vent tourner après avoir servi le clan Bongo qui l’a enrichi.
Ali Bongo, né Alain-Bernard, et ayant changé de prénom, comme son père, Omar, anciennement Albert-Bernard, suite à la conversion de la famille à l’islam en 1973 au grand dam de la population majoritairement chrétienne – conversion utile pour traiter sur un pied d’égalité avec les pays musulmans à l’OPEP quand être noir et chrétien pénalisait face à ces interlocuteurs, cinq années après que cet animiste franc-maçon s’était fait baptiser catholique pour obtenir un entretien avec le Pape Paul VI -, a succédé à son père dont il était ministre de la Défense dans les dix dernières années de son règne de 41 ans.
Il est accusé d’avoir utilisé le renseignement militaire à des fins électorales à la mort de son père et n’a rien fait, à part nier, pour donner une impression de clarté en démissionnant ; la Présidente par intérim n’avait pu le déloger de son maroquin. Le très contesté Omar Bongo,accusé de corruption pétrolière et même d’assassinats couverts, a laissé au moins 300 milliards de francs CFA (460 millions d’euros alors) à ses 53 héritiers sans que rien n’indique la source de cette somme, et fait de ses deux enfants les légataires universels.
Proche des autorités françaises depuis l’indépendance, le pouvoir gabonais bénéficie de ressources naturelles d’importance. Il contrôle un sous-sol très riche (pétrole, gaz, or, nickel, etc.) et un immense couvert forestier de 400 essences d’arbres sur 200 000 kilomètres carrés. Albert-Bernard Bongo, alors directeur du cabinet présidentiel gabonais avait été placé à la tête de l’État par le général de Gaulle et son « Monsieur Afrique », Jacques Foccart, avec l’approbation du Président Léon Mba qui se mourait d’un cancer en France.
La France bénéficie d’une base militaire dans le pays depuis l’indépendance en 1960, Elf - avec l’affaire de corruption que l’on connaît -, puis Total y exploitent les ressources pétrolières. Depuis, les liens très ténus entre les deux pays n’ont jamais été menacés, et quand deux membres du Gouvernement français chargés de la Coopération montrent leur peu d’entrain pour la Françafrique, Omar obtient qu’ils partent, Jean-Pierre Cot en 1982 et Jean-Marie Bockel en 2008. Jusqu’à maintenant, les ministres et présidents circulent dans le temps en France, les Bongo non.
Depuis le stupéfiant verdict des urnes, les autorités françaises qui soutenaient encore la candidature d’Ali Bongo la veille se disent dubitatives. Ostensiblement. Paris s’aligne pour le moment sur la position européenne et semble avoir pris la mesure du rejet du clan Bongo dans le pays. Le parti pris officieux en faveur de Jean Ping est avant tout un choix en faveur d’un autre nom moins connoté en France, même si le perdant officiel est connu par le Quai d’Orsay comme ayant été un rouage essentiel du régime Bongo.
Hans-Søren Dag