La résistance aux antibiotiques est un problème mondial dans la mesure où il existe un risque grave que les infections courantes ne puissent bientôt plus être soignées.
Les bactéries se sont en effet avérées capables de devenir résistantes à tous les antibiotiques jamais mis au point, parfois, très peu de temps après leur introduction. Il a ainsi fallu seulement six ans pour que la résistance à la pénicilline, le premier antibiotique identifié, se répande dans les hôpitaux britanniques.
De leur côté, les vaccins, qui nous ont aidés à éradiquer la variole et qui, espérons-le, viendront bientôt aussi à bout de la polio, ne font que rarement l’objet de résistance. Mis au point il y a près d’un siècle, ils continuent à être capables de nous protéger contre de nombreuses maladies mortelles. Comment s’explique cette différence ?
Une étude a proposé deux arguments convaincants pour expliquer ce phénomène, en mettant en évidence les différences cruciales qui existent entre les mécanismes d’action des médicaments et des vaccins.
Commençons par préciser ce que nous entendons par résistance, et comment elle prend naissance. Lors d’une infection, les virus et les bactéries se multiplient rapidement. Au cours de ce processus, ils copient leur matériel génétique des millions de fois. Ce faisant, des erreurs se produisent souvent, chaque erreur altérant légèrement leur génome. Ces erreurs sont appelées des mutations.
Le plus souvent, les mutations n’ont que peu ou pas d’effet ou sont très préjudiciables à l’efficacité du pathogène, entraînant un désavantage qui l’empêche de se propager. Mais parfois – très rarement – les agents pathogènes peuvent avoir de la chance : une mutation peut par exemple empêcher un antibiotique de pénétrer dans une cellule, ou modifier l’endroit où un médicament ou un anticorps se lierait, les empêchant ainsi d’agir. Nous appelons ces mutations des mutations « de résistance » ou « d’échappement ».
Première différence : le nombre de cibles
Les vaccins fonctionnent en introduisant une partie inoffensive d’un agent pathogène, appelée antigène, dans notre corps, ce qui amène notre système immunitaire à produire des anticorps, des protéines en forme de Y capable de se lier spécifiquement auxdits antigènes. Les vaccins stimulent également la production de globules blancs spécifiques appelés lymphocytes T, qui peuvent détruire les cellules infectées et aider à produire des anticorps.
En se liant aux antigènes, les anticorps peuvent aider à détruire les agents pathogènes ou à les empêcher de pénétrer dans les cellules. En outre, notre système immunitaire ne fabrique pas une seule sorte d’anticorps, mais jusqu’à des centaines d’anticorps différents chacun ciblant différentes parties de l’antigène (aussi appelées « épitopes »).
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En comparaison, les médicaments, tels que les antibiotiques ou les antiviraux, sont généralement de petites molécules qui inhibent une enzyme ou une protéine spécifique, sans laquelle un agent pathogène ne peut survivre ou se répliquer. Par conséquent, la mutation d’un seul site suffit généralement pour que la résistance à un médicament se développe. À l’inverse, dans le cas de la plupart des vaccins, il est très peu probable que des mutations d’échappement concernant tous les épitopes ciblés par les nombreux anticorps que produit notre organisme (ou même une grande partie d’entre eux) – même si ce n’est théoriquement pas impossible. On peut voir les anticorps produits par notre organisme comme un très complexe cocktail thérapeutique constitué de centaines de médicaments différant légèrement les uns des autres, ce qui réduit la probabilité d’apparition d’une résistance.
Dans le cas des médicaments, on peut réduire la probabilité de résistance en utilisant plusieurs médicaments en même temps – une stratégie appelée « thérapie combinée » – qui est utilisée pour traiter le VIH et la tuberculose.
Seconde différence : le nombre de pathogènes
Une autre différence essentielle entre les antibiotiques et les vaccins est le moment où ils sont utilisés et le nombre d’agents pathogènes qui sont présents à cet instant. Les antibiotiques sont utilisés pour traiter une infection déjà établie, alors que des millions d’agents pathogènes sont déjà dans l’organisme. Les vaccins sont au contraire utilisés à titre préventif. Les anticorps qu’ils créent peuvent agir au tout début d’une infection, lorsque le nombre de pathogènes est encore faible.
Cela a des conséquences importantes, car le risque d’émergence de résistance est justement lié au nombre de micro-organismes. S’il est peu probable qu’une mutation de résistance survienne lors de la réplication de quelques agents pathogènes, les risques augmentent à mesure que leur nombre augmente.
La résistance aux vaccins peut cependant survenir malgré tout, comme le montre l’exemple de la grippe. Grâce à son taux de mutation élevé, le virus de la grippe peut rapidement accumuler suffisamment de mutations pour que les anticorps ne soient plus capables de le reconnaître – un processus appelé « dérive antigénique ». Cela explique en partie pourquoi le vaccin antigrippal doit être modifié chaque année.
Quels enseignements pouvons-nous tirer de ces informations en ce qui concerne les vaccins contre le SARS-CoV-2 ? Devrions-nous nous inquiéter de leur perte d’efficacité potentielle ?
Heureusement pour nous, ce nouveau coronavirus dispose d’un mécanisme de correction qui réduit les erreurs qu’il commet lors de la réplication de son génome. Cela signifie que ce virus est beaucoup moins sujet aux mutations que les virus de la grippe. Il a également été confirmé que le vaccin d’Oxford/AstraZeneca et celui de Pfizer/BioNTech sont tous deux capables de stimuler efficacement la production d’anticorps, aboutissant ainsi à la reconnaissance de multiples épitopes, ce qui devrait ralentir l’émergence de résistance.
Nous devons cependant rester prudents. Comme mentionné précédemment, lorsqu’il s’agit de résistance, le nombre de pathogènes est important. Plus le nombre de virus dans l’environnement est élevé – comme c’est le cas durant une pandémie en croissance rapide telle que celle que nous vivons – plus la probabilité que l’un d’entre eux touche le gros lot et développe des mutations qui pourraient avoir un impact significatif sur l’efficacité des vaccins augmente.
Si tel était le cas, nous devrions mettre au point de nouvelles versions des vaccins disponibles, qui soient capables de produire de nouveaux anticorps spécifiques de ce ou de ces virus mutants. C’est une des raisons pour lesquelles il est nécessaire de faire en sorte que le nombre d’infections reste au niveau le plus faible possible dans la population. Dans la situation actuelle, le traçage des contacts est donc essentiel pour espérer préserver au maximum l’efficacité des vaccins disponibles.
Celia Souque, Postdoctoral Researcher, Microbiology, University of Oxford et Louis du Plessis, Postdoctoral Research Associate, University of Oxford
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.