Pour lutter contre le choléra, la communauté internationale privilégie généralement des interventions d’urgence qui ont une efficacité limitée et à court terme. Il s’agit souvent de réponses à des flambées épidémiques, comme celles qui se sont déclarées récemment au Yémen et au Zimbabwe. Les preuves de l’efficacité d’investissements plus pérennes, généralement plus difficiles à obtenir, manquent cruellement.
U
ne recherche en cours dans la ville d’Uvira, au Sud Kivu, RDC, apporte des arguments pour considérer la réhabilitation des moyens de production et de distribution d’eau potable comme un enjeu prioritaire de santé publique.
Un enjeu essentiel pour guider l’action publique contre le choléra
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les maladies diarrhéiques liées à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène causent plus de 1 000 décès par jour en Afrique. Le choléra, en particulier, est chaque année responsable de la mort de 100 000 à 120 000 personnes.
Or un débat persiste sur la manière la plus efficiente d’intervenir pour la prévention de ces maladies. Bon nombre des acteurs engagés pour cette cause préfèrent se concentrer sur des réactions rapides affichant des coûts unitaires faibles (kits de chloration/filtration à domicile, distribution de petites quantités destinées uniquement à la boisson, sensibilisation à l’hygiène, etc.). La vaccination contre le choléra est par ailleurs aujourd’hui souvent présentée comme la priorité. On dispose de nombreux résultats récents et largement médiatisés sur les impacts de ces interventions, lesquels sont généralement positifs mais de faible ampleur, et de courte durée.
En revanche, aucune recherche rigoureuse n’a encore apporté d’éléments tangibles sur l’efficacité des infrastructures d’eau potable pour prévenir ce fléau. Deux raisons expliquent ce manque de données. D’une part, les foyers de choléra sont majoritairement situés dans des pays très pauvres, en proie à de sévères crises sécuritaires, où construire des réseaux et les gérer durablement est un défi considérable. D’autre part, la recherche scientifique ne valorise aujourd’hui, quasi exclusivement, que des essais cliniques fondés sur le tirage au sort entre des groupes traitement et contrôles (expériences randomisées).
S’il est aisé d’attribuer aléatoirement des pastilles ou des sessions de sensibilisation, il serait très compliqué de trouver une façon de le faire pour des tuyaux, les problèmes qui se posent étant à la fois techniques et éthiques. À l’heure où prévaut le paradigme d’evidence-based policy – qui préconise que les actions publiques se fondent sur des preuves scientifiques – cette difficulté peut détourner les acteurs locaux et internationaux de solutions plus profondes et durables, mais qui sont trop difficiles à évaluer scientifiquement.
Et les façons de faire commencent à évoluer. Les acteurs de l’humanitaire reconnaissent de plus en plus que les actions d’urgence doivent s’articuler dans un continuum urgence-reconstruction-développement. En témoignent le « manifeste pour enfin éradiquer le choléra en RDC » lancé par l’ONG Solidarités International en avril 2018 et des posts sur des blogs comme défishumanitaires. Fin 2017, la stratégie pour mettre fin au choléra en 2030 promue par l’OMS tâche d’encourager les approches multisectorielles.
À Uvira, des résultats inédits qui ébranlent les idées reçues sur le choléra
Située sur la rive du lac Tanganyika, Uvira constitue l’un des foyers endémiques du choléra, d’où partent les épidémies qui touchent ensuite toute la sous-région. Un projet de réhabilitation du réseau d’eau potable d’Uvira soutenu par l’Agence française de développement, la Fondation Veolia, l’Union européenne et OXFAM Grande-Bretagne offre une opportunité unique pour mener une évaluation d’impact scientifiquement rigoureuse, et fournir des preuves de l’efficacité de ce type d’interventions.
Cette ville de 250 000 habitants est coincée entre le lac et la montagne et elle s’étire en arc de cercle. Les populations qui souffrent de maladies diarrhéiques sévères consultent systématiquement auprès de l’établissement dédié au traitement du choléra établi à proximité de l’hôpital général.
Avec l’appui de la compagnie d’eau – la Regideso – et du ministère congolais de la Santé, la London School of Hygiene and Tropical Medicine s’est astucieusement appuyée sur le calendrier des travaux d’amélioration du réseau d’eau pour concevoir un protocole rigoureux et pragmatique. Cette évaluation combine un essai reposant sur le phasage dans un ordre aléatoire des travaux sur les canalisations, pour identifier l’effet propre à la qualité du réseau de distribution, avec un suivi de cohortes, pour comprendre comment les comportements évoluent quand s’accroissent la proximité et la continuité des sources d’eau potable. Elle inclut en outre une analyse chronologique et géographique des cas pour mesurer l’impact de l’amélioration générale des capacités de production, et une étude biomoléculaire pour identifier les pathogènes rencontrés et analyser les vecteurs d’infection.
Les premiers résultats sont déjà publiés dans des revues scientifiques de santé publique parmi les plus réputées : PLoS Medicine et PLoS One. Ils démontrent que 23 % des cas de choléra de la ville étaient directement dus aux pannes récurrentes de l’usine de production d’eau potable. Ils mettent aussi en évidence que les pratiques d’hygiène des populations sont très disparates d’un ménage à l’autre, et sont directement déterminées par le type de branchement et la continuité du service dont disposent les populations.
Enfin, des tests de confirmation chez les patients admis au centre de traitement du choléra en Uvira montrent que « seuls » 40 % des cas présumés relèvent réellement d’une infection par le choléra. Ce taux étonnamment faible montre l’importance et la sévérité d’autres maladies diarrhéiques aiguës et souligne l’importance d’approches globales, par rapport à la vaccination notamment, qui ne cible que le choléra.
La recherche se poursuit, dans des conditions difficiles
De prochains résultats permettront d’évaluer les bénéfices de santé qui découlent d’un changement du type d’accès : lorsqu’on résorbe les coupures au niveau des bornes-fontaines, lorsqu’un robinet collectif est établi à proximité ou lorsque le ménage bénéficie d’un branchement individuel.
La biologie moléculaire permettra de mieux comprendre les voies de transmission du choléra, ainsi que les autres causes de maladies diarrhéiques aiguës dont est victime la population.
Malheureusement, la situation politique et sécuritaire reste en RDC et au Sud-Kivu reste volatile, et des flambées de violences sporadiques continuent de perturber ces travaux.
Dans ce contexte très difficile, il est important de rappeler que ces avancées sont rendues possibles grâce à la détermination de femmes et d’hommes qui, sur un terrain très difficile et dans des conditions matérielles précaires, collectent des échantillons, mènent des enquêtes ou réparent des canalisations vétustes. Leur engagement doit être salué.
Florent Bédécarrats, Chercheur, spécialiste de l’évaluation de projets et politiques, AFD (Agence française de développement)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.