Pour l’Académie de Médecine, « la conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure »
L’Académie nationale de Médecine émet « un certain nombre de réserves » au sujet du projet de révision des lois de bioéthique.
Alors que s’ouvriront demain, à l’Assemblée Nationale, les débats relatifs à la révision des lois de bioéthique, l’Académie nationale de médecine vient de publier un rapport dans lequel il exprime sa « position officielle ». Elle y exprime « un certain nombre de réserves relevant du domaine de la médecine parce qu’elles ne lui paraissent pas avoir été suffisamment prises en compte ».
Les membres de l’Académie de médecine commentent d’abord le point consacré à l’Assistance Médicale à la Procréation. Cela relève selon eux, plus d’une « loi sociétale » que de « la loi de bioéthique », mais l’Académie « se sent impliquée et estime de son devoir de soulever un certain nombre de réserves liées à de possibles conséquences médicales ».
« L ‘ANM reconnait la légitimité du désir de maternité chez toute femme quelle que soit sa situation, mais elle veut souligner que si l’invocation de l’égalité des droits de toute femme devant la procréation est compréhensible, il faut aussi au titre de la même égalité des droits tenir compte du droit de tout enfant à avoir un père et une mère dans la mesure du possible. »
L’Académie évoque ainsi une « rupture volontaire d’égalité entre les enfants ».
« A ce titre, la conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure qui n’est pas sans risques pour le développement psychologique et l’épanouissement de l’enfant. »
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Les académiciens pointent à leur tour « certaines évaluations« , « pas très convaincantes » sur le plan de la méthodologie, du nombre de cas étudiés, ainsi que de la durée d’observation. Pour l’ANM, « l’incertitude persiste ».
Ils font également remarquer le désaccord avec la Convention internationale des Droits de l’enfant de 1989, qui « mentionne le droit de l’enfant à connaître ses parents en insistant sur le ‘bien de l’enfant’ comme sur son ‘intérêt supérieur' ». Ils tiennent à souligner l’importance de la figure du père soulignée par les pédopsychiatres, pédiatres et psychologues. Ces derniers seraient d’ailleurs selon eux « dans leur majorité pour le moins réservés sur cette innovation radicale », précisant que les observations « d’une vulnérabilité, source d ‘anxiété et de fragilité maternelle avec des couples mère/enfant qui peuvent être pathologiques ».
L’Académie de médecine se positionne ensuite au sujet de l’anonymat du donneur. Ils évoquent, pour les enfants issus de dons de sperme, le « besoin de rechercher leur géniteur et leurs origines biologiques », « quête » qui peut même devenir « obsessionnelle et nuire à leur épanouissement comme à leur équilibre psychologique » dans certains cas. L’ANM se dit donc favorable à une « évolution maîtrisée vers l’accès aux origines ».
« Les dispositions proposées dans le projet de loi permettant d’accéder à des données non identifiantes sont satisfaisantes et peuvent être utiles sur le plan médical. Quant à l’accès à l’identité du géniteur lui-même, il sera rendu possible à la condition que celui-ci y consente au moment de la demande d’accès. Un dispositif semblable à celui du Centre National d’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) créé en 2002 pour répondre au même besoin exprimé par les enfants nés sous X de mère anonyme, sera organisé pour guider les demandes. »
Avec l’ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules, l’ANM prévoie « une demande accrue » en donneurs, et de fait, « un déficit de spermes et un allongement des délais portant préjudice aux couples hétérosexuels souffrant d’une infertilité qui relève pourtant d’une indication véritablement médicale ». Les académiciens dénonce « l’éventuelle marchandisation du corps humain » et la problématique du « financement de ce choix sociétal personnel par l’Assurance-Maladie ».
« Les médecins ne comprennent pas qu’on puisse considérer de la même façon les indications médicales et les demandes sociales. Dans de telles conditions où la demande sera supérieure à l’offre, l’ANM exprime sa crainte de voir s’établir un marché déjà en voie d’organisation dans certains pays voisins. L’éventuelle marchandisation des produits du corps humain est donc un réel danger qui menace le principe essentiel de l’éthique française, à savoir la gratuité du don et la non-marchandisation du corps humain. En outre, l’ANM estime que le financement de ce choix sociétal personnel par l’Assurance-Maladie n’est pas cohérent avec les missions qui lui sont assignées. »
Au sujet de la filiation, l’Académie de médecine « estime que la procédure de filiation retenue semble la plus à même de créer un cadre aussi rassurant que possible pour l’enfant bien que reposant sur des critères non biologiques et en dehors de toute vraisemblance ».
Pour ce qui est de la conservation des ovocytes pour les femmes « en dehors de tout motif médical », l’ANM, « sans s’y opposer formellement », « souligne que si les risques que pourrait entraîner une telle pratique sont bien connus des professionnels, ils ne sont pas mentionnés dans l’exposé des motifs de la loi et n’ont pas été réellement discutés lors des débats préparatoires, ce qui est éminemment regrettable ». Cette autoconservation augmenterait selon eux la « surmédicalisation des grossesses » et contribuerait au « recul de l’âge moyen de la première grossesse ». Ils estiment que la « présentation banalisée » de cette technique « semble sous-estimer, voire méconnaitre, les risques que la méthode induit par elle-même ».
« Ceux liés aux inductions de l’ovulation, souvent répétées pour obtenir le nombre d’ovocytes nécessaires. Ceux concernant les risques d’échecs non négligeables dont il n’est pratiquement pas fait mention alors que le taux de réussite est estimé à 60% après quatre tentatives et décroit notablement avec l’âge. L ‘ANM regrette que, dans les débats, l’information des femmes ne soit pas présentée de façon suffisamment objective et que l’autoconservation de leurs ovocytes puisse apparaître comme une garantie de réussite lorsqu’elles décideront du moment de leur grossesse. En pareil cas, il s ‘agirait d’une grave mésinformation que les médecins auront du mal à réparer sans décevoir. En outre, l’ANM déplore qu’à aucun moment il ne soit fait mention de la nécessaire information sur la fertilité d’une femme et sa décroissance en fonction de l’âge. »
Pour les experts, « il ne s’agit aucunement d’indications médicales conformes à la mission de la médecine qui est de soigner ».
Le projet de loi de bioéthique sera débattu dès demain en Assemblée Nationale.
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M.C.
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