« PMA : ce qu’on ne vous dit pas » : Olivia Sarton répond aux questions d’Info Chrétienne

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« On nous parle d’une loi destinée à répondre à des femmes qui souffrent de ne pas avoir d’enfant, quand la réalité est une loi destinée à satisfaire les acteurs du marché de la procréation. »

Olivia Sarton, directrice scientifique de Juristes pour l’enfance, vient de publier PMA : ce qu’on ne vous dit pas, aux éditions Tequi. Dans ce livre, elle a voulu apporter un éclairage nouveau dans le débat sur l’ouverture de la PMA à tous, en mettant en lumière les faces cachées de ce projet. Elle a accepté de répondre aux questions de Info Chrétienne.

Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui, parmi nos lecteurs, ne vous connaissent pas ?

Ancien avocat au Barreau de Paris, j’ai commencé mon activité professionnelle par la défense pénale des mineurs victimes, mais je me suis ensuite rapidement spécialisée en droit du travail. Mes années de pratique dans ce domaine m’ont permis de mettre le doigt sur les excès et le dévoiement du néo-libéralisme qui gouverne une grande partie de notre monde. J’en suis arrivée à la conclusion que la défense de l’être humain, de sa dignité, ne peut être segmentée : promouvoir la défense de la vie nécessite de défendre la dignité de l’être humain contre l’idolâtrie de l’argent. Plus nous accepterons l’iniquité imposé par le « capitalisme de connivence » et plus nous verrons croître la réification et la marchandisation de l’homme depuis sa conception jusqu’à sa mort. Et dans l’autre sens, plus nous accepterons de piétiner la dignité des plus faibles, plus nous nierons l’importance des liens fraternels, justes et généreux, et plus nous permettrons l’exploitation de l’homme dans la sphère professionnelle.
Depuis 2019, j’ai rejoint Juristes pour l’enfance, association qui réunit des juristes ou des personnes investies auprès de l’enfance qui désirent mettre leur expertise au service de la défense des droits des enfants.

Vous venez de publier un livre PMA : Ce qu’on ne vous dit pas, aux éditions Tequi. Pouvez-vous nous dire pour quelles raisons vous avez souhaité écrire un tel ouvrage ?

En juillet 2019, un projet de loi de bioéthique a été déposé à l’Assemblée Nationale. L’association Juristes pour l’enfance s’est naturellement intéressée à ce projet qui a pour caractéristique d’être en réalité très peu éthique. En travaillant les sujets qui, dans ce projet de loi, portent atteinte aux droits des enfants, j’ai été frappée par l’importance des enjeux financiers derrière nombre de ces sujets et notamment derrière celui portant sur l’extension de la PMA. J’ai touché du doigt combien la marchandisation du corps humain pouvait justifier de passer sous silence tous les excès et tous les « dégâts collatéraux ».
Aussi, ai-je voulu mettre en lumière et dénoncer cette marchandisation du corps humain et de l’homme en général, à l’œuvre aujourd’hui dans l’emprise de la technoscience sur tout le corps humain. Cette emprise est particulièrement forte dans tout ce qui touche à la création et à la définition de l’homme, par la mainmise sur sa conception.

Vous y évoquez les faces cachées de l’ouverture de la PMA à tous. Que nous cache-t-on dans ce projet ?

À l’occasion des débats autour de ce projet de loi de bioéthique, qu’il s’agisse des débats publics sociétaux ou des débats parlementaires, l’attention a été volontairement orientée sur l’ouverture de la PMA aux femmes seules ou en couples de femmes. Or, ce n’est pas l’objet du projet de loi. L’objet du projet de loi, c’est l’accès de la PMA à tous. À tous, c’est-à-dire certes aux couples de femmes et aux femmes seules, mais surtout à tous les couples homme-femme en particulier fertiles. Pourquoi ? Parce qu’en réalité la PMA est un gigantesque business, avec des gains colossaux (c’est-à-dire concrètement à travers le monde, des dizaines de milliards de dollars) et le but des acteurs de ce marché est aujourd’hui de développer le chiffre d’affaire qui peut être réalisé sur le territoire français. Et pour cela les couples homme-femme fertiles sont la meilleure cible puisqu’ils sont les plus nombreux. C’est le premier aspect qui est caché : on nous parle d’une loi destinée à répondre à des femmes qui souffrent de ne pas avoir d’enfant, quand la réalité est une loi destinée à satisfaire les acteurs du marché de la procréation : cliniques privées qui réalisent les PMA, laboratoires qui fournissent les produits accompagnant les parcours de PMA, industries qui équipent à grand frais les centres de PMA, banques de gamètes, sans oublier les technoscientifiques ivres de leur pouvoir sur l’homme.
Le second aspect qui est caché, c’est tout ce qu’implique le recours à la PMA : des désordres médicaux aggravés pour les enfants, des conséquences non négligeables pour la santé des femmes et même des couples, des risques pour les fournisseurs de gamètes, l’arrêt de la lutte contre l’infertilité, le coût pour l’Assurance Maladie (au détriment du remboursement de soins essentiels pour des malades), les violations des droits des enfants…

Vous parlez dans votre livre des dérives du marché de la PMA ? Quels sont les risques liés à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes ?

Le projet de loi de bioéthique, s’il était adopté, permettrait plus encore qu’aujourd’hui le sur-recours à la PMA, sachant que l’objectif des promoteurs de ce marché est de disqualifier, à moyen terme (c’est-à-dire dans 20 à 30 ans), la procréation naturelle (qui ne rapporte aucun chiffre d’affaires) au bénéfice de la procréation artificielle. On aboutirait ainsi à l’achèvement du processus qui veut éclater totalement sexualité, conception, gestation, enfantement et parentalité.
L’ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes a deux conséquences majeures :
La première est qu’elle consacre la primauté du désir sur les droits des enfants. Si le désir des personnes qui souhaitent avoir un enfant est légitime, en revanche la bascule qui vise à transformer ce désir en droit ne l’est pas. Désirer un enfant, ne donne pas droit à un enfant. Or, le projet de loi de bioéthique vise à consacrer ce droit. Une fois ce droit ouvert, une fois cette primauté du désir consacrée, on ne pourra lui mettre aucune barrière. Pourquoi interdire aux femmes veuves de réaliser une PMA avec le sperme congelé de leur mari ? Pourquoi interdire à une femme de 60 ans de bénéficier d’une FIV ? Pourquoi se refuser à transférer chez une femme l’embryon obtenu avec l’ovocyte de sa compagne ? Pourquoi ne pas trier gamètes et embryons pour obtenir un enfant de tel sexe, avec telle couleur d’yeux, avec tel QI, si la femme le désire ainsi ?
La seconde conséquence est que l’on poursuit le processus d’abandon de la parenté naturelle, biologique, au profit d’une parenté d’intention. Ce processus existe déjà dans la PMA avec tiers donneur au profit de couples homme-femme. Ce qui compte, ce n’est pas d’avoir transmis la vie, c’est d’avoir voulu avoir un enfant. Ainsi le fournisseur de gamètes se voit dédouaner de toute responsabilité dans la venue au monde de l’enfant pourtant issu de ses gamètes. La loi interdit tout lien de filiation entre eux, quand bien même ils connaîtraient leur identité respective et qu’ils souhaiteraient l’un et l’autre établir un tel lien. La filiation est établie selon la volonté de ceux qui ont demandé à la science de leur fournir un enfant. Et le projet de loi de bioéthique, tel qu’il a été adopté en 1ère lecture par l’Assemblée Nationale, se refuse même à identifier au sein du couple de femmes, celle qui aura mis l’enfant au monde. Ce qui fonde la maternité, c’est-à-dire la gestation et l’enfantement, est rejeté au profit de la volonté.

Vous êtes juriste. Le droit de la filiation serait-il fragilisé par la PMA sans père ?

Le droit de la filiation sera fragilisé par ce surgissement de la parenté d’intention. Ce qui comptera, ce ne sera plus d’avoir engendré, donné la vie, c’est de vouloir être le parent d’un enfant. On voit déjà dans d’autres pays, que cette conception aboutit à assigner à un enfant 3, 4, 5 parents.
A contrario, nous allons assister à une remise en cause des actions en recherche de paternité ou maternité. Aujourd’hui en France, tout enfant qui n’a pas été reconnu par l’un ou l’autre de ses parents, a le droit de le rechercher son père ou sa mère. L’article 327 du Code Civil permet notamment à tout enfant d’exercer une action en recherche de paternité pour voir établir un lien de filiation avec son géniteur. Demain, avec l’éviction de la parenté biologique au profit de la parenté d’intention, comment pourra-t-on imposer à un homme de devoir assumer un enfant qu’il n’aura pas voulu alors que, pendant le même temps, un fournisseur de gamètes sera à l’origine de la venue au monde d’enfants qu’il aura le droit d’ignorer ?

Avec le confinement, la situation des enfants nés à l’étranger de la GPA est revenue sur le devant de la scène. Elle est pourtant officiellement interdite en France. Que pensez-vous de cette situation ?

Ces tristes affaires nous font toucher du doigt une certaine incapacité générale de réflexion. On nous parle d’humanité et d’intérêt de l’enfant, à propos de processus qui sont assis depuis leur commencement sur l’exploitation de la misère humaine et sur le trafic d’êtres humains. Car même si nous avons pitié des adultes empêchés d’aller chercher les bébés promis, il ne faut pas oublier qu’ils ont violé l’interdiction légale de la GPA pour passer commande dans des pays peu soucieux de respecter les droits des femmes et des enfants, qu’ils ont exploité une situation de détresse qui conduit une femme à accepter de porter un enfant moyennant rémunération, pour l’abandonner à sa naissance, et enfin qu’ils ont programmé l’abandon de cet enfant par sa mère, niant les liens tissés in utero et le traumatisme de l’abandon.
Leurs demandes pour forcer la fermeture des frontières est l’aboutissement de l’attitude ambigüe de la France qui maintient l’interdiction de la GPA sur son territoire mais qui ferme les yeux sur les agissements des agences étrangères en France et sur les commandes passées à l’étranger par des français. En acceptant la transcription de l’état civil fictif des enfants nés par GPA à l’étranger, en refusant d’adopter des mesures pénales permettant de sanctionner les contrevenants français, la France se fait la complice de ce trafic d’êtres humains.

Pour finir, pouvez-vous nous faire un point sur l’avancée du projet de loi bioéthique ?

Le projet de loi de bioéthique a été adopté en 1ère lecture par chacune des assemblées, mais le Sénat a apporté des amendements importants dans le texte voté le 4 février 2020. Le texte doit donc repartir sur pour une 2nde lecture à l’Assemblée Nationale et le Gouvernement avait précisé devant le Sénat qu’il comptait bien revenir sur la 1ère version du texte. Compte-tenu de la situation d’urgence sanitaire, ce nouvel examen par les députés a été reporté. Mais les partisans du projet de loi auraient d’ores et déjà interrogé le cabinet du Ministre de la Santé, Olivier Véran, qui aurait répondu que l’examen du projet de loi de bioéthique reprendrait dès que les séances du Parlement auraient retrouvé leur forme ordinaire. Le processus d’adoption du projet de loi va reprendre, c’est certain. À quelle date, je ne saurais vous le dire. Il faudra rester vigilant sur l’agenda de l’Assemblée Nationale en juillet.

Nous remercions Olivia Sarton d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.

M.C.


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