Plume poilue

shutterstock_image-51.jpg

« Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège ! » C’était en 1964. André Malraux prononçait l’une des plus célèbres formules de la Ve République. Le Panthéon offrait les honneurs de sa coupole à la Résistance, cette armée des ombres surgie du désastre de juin 40.

Aujourd’hui, un siècle après l’inhumation du Soldat inconnu, un autre cortège rallie les ors du tombeau national. Ce sont « ceux de 14 ». Par ce récit, Maurice Genevoix (1890-1980) immortalisera le courage des Poilus. Depuis ce jour, à la demande de sa famille, il appartient à la crypte des Grands Hommes aux côtés des 560 écrivains combattants dont les noms peuplent les murs de la monumentale nécropole laïque.

Prix Goncourt pour son roman Raboliot (1925) et secrétaire perpétuel de l’Académie française (dont il démissionne en 1973), ce survivant de la Grande Guerre célébrait « l’invincible espérance des hommes ». Pourtant, sa plume était souvent reléguée au registre besogneux des dictées et des exemples grammaticaux. « Les manuels des années 50 et 60, note l’écrivain Michel Bernard, rendirent un hommage charmant à nos mémoires, mortel pour la sienne ». Peintre de la nature, flâneur épris du Val de Loire, Maurice Genevoix devait aussi sa notoriété à sa série de bestiaires (1968-1971). Ce dessinateur avisé faisait un excellent écrivain animalier. À sa mort le 8 septembre 1980, Valéry Giscard d’Estaing le saluait comme « le premier de nos écologistes ». « À l’écrivain du fleuve, des jardins et des forêts, la gloire officielle avait ouvert les chemins de l’oubli », observe Michel Bernard. Pourtant, il y a un point commun entre les deux Genevoix, des bêtes humaines des tranchées à ces bestiaires, tendre ou enchanté : c’est le réalisme. Michel Bernard le souligne dans une excellente préface : « Ceux de 14 ne porte aucun message, aucune leçon, aucune morale, tout juste une protestation, quand c’est vraiment trop de souffrance, trop d’horreur. Car il n’y a ici pas d’histoire et pas d’intrigue, uniquement des hommes qui furent près d’autres hommes, à la guerre ». En août 1914, à la mobilisation générale, Maurice Genevoix est encore élève à l’École normale supérieure. Incorporé comme sous-lieutenant au 106e régiment d’infanterie, il participe à la bataille de la Marne et à la marche sur Verdun. Promu lieutenant, il vit le quotidien du fantassin, la boue, le sang, les orages d’acier, toute cette « farce démente ». Le 25 avril 1915, il est transpercé par trois balles allemandes. En quatre mois, la côte des Éparges va engloutir 12 000 hommes.

Hospitalisé, le soldat de 24 ans commence à écrire à partir de notes consignées dans les tranchées. Invalide à 70%, il sera réformé. En 1916, il publie Sous Verdun (largement censuré) puis Nuits de guerre (1917), Au seuil des guitounes (1918), La boue (1921) et Les Éparges (1923). Tous ces textes seront réunis en 1949 sous le titre Ceux de 14. Dans ces trois mots, ajoute Michel Bernard, il y a « un pronom, une préposition et un nombre, la piétaille du vocabulaire (..). Il y a la réserve d’un écrivain de race, sa réticence devant l’effet littéraire (…); il y a un retrait, presque du dédain, celui des pauvres pour les riches, des maigres pour les gras, des subalternes pour les supérieurs, des hommes du front pour ceux de l’arrière, des combattants du début pour ceux de la fin. Il y a la volonté d’un écrivain célèbre de demeurer à hauteur des hommes qu’il avait côtoyés à vingt ans et dont la plupart ne connurent d’autre âge(…) ».

« À hauteur des hommes » : l’expression est belle mais a tellement vieilli.

Louis Daufresne

Source : Philitt

Cet article est republié à partir de La Sélection du Jour.


Articles récents >

Résumé des articles du 25 novembre 2024

outlined-grey clock icon

Les nouvelles récentes >