
Cet article est initialement paru dans le magazine Jésus ! paru le 19 septembre.
Au milieu des pauvres. À Madagascar, le père Pedro Opeka mène une lutte à mort contre la misère. Dans les pas de Jésus et de Saint Vincent de Paul, il s’est attaché à vivre simplement, auprès des plus faibles et a conçu un modèle d’action humanitaire fondé sur l’implication et l’autonomie des populations locales. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il raconte son Jésus, l’ami des pauvres, le compagnon quotidien, et lance un appel aux Européens :
« Commencez par faire de l’humanitaire dans la ville où vous êtes né ! »
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L’idée est de restaurer l’autonomie et la dignité de ces famillesJésus a de nombreux fidèles et quelques apôtres. Pedro Opeka est des deuxièmes. En trente années à Madagascar, il a aidé les plus pauvres à construire des villages, des écoles, il a permis que soient distribués des millions de repas et sorti de l’extrême pauvreté des milliers de familles. Né en 1948 en Argentine de parents slovènes, mariés dans un camp de réfugiés en Italie, il sait dès ses quinze ans qu’il est appelé à suivre Jésus, son idéal. Dans sa famille, c’est par la prière que les huit frères et sœurs se retrouvent. Avant même sa majorité, il passe un été avec de jeunes chrétiens auprès des Indiens mapuches, au cœur de la cordillère des Andes. Face à leur misère extrême, qui fait tache dans une Argentine qui se prétend riche, il acquiert une conviction très forte : au-delà de l’aide humanitaire traditionnelle, il faut offrir aux pauvres un avenir désirable et épanouissant et le construire avec eux. Jésus est son modèle, il voit déjà en lui « l’ami des pauvres, l’ouvrier, l’homme simple ». Quelques années plus tard, il entre au séminaire chez les Pères lazaristes, et part vite pour Madagascar. Comme maçon, le métier que son père lui a transmis, il œuvre auprès des paysans dans des paroisses lazaristes. Il aime ce pays dont il apprend rapidement la langue. En 1975, tout juste ordonné prêtre, il est nommé dans une paroisse rurale où il approfondit ses liens avec les Malgaches dans le besoin.
Bons amis, vrais frères
En 1989, sa vie bascule. Le missionnaire est nommé à la capitale Tananarive pour diriger un séminaire. Sur les collines qui surplombent la ville, il découvre, horrifié, des décharges où des familles entières fouillent dans les déchets pour trouver de quoi subsister. Bouleversé par la vision d’enfants baignant dans les ordures, le Père Pedro ressent une force, un besoin impérieux de les aider à sortir de cet enfer. Animé par l’idée qu’il faut créer une oasis d’espérance, il convainc chaque personne pauvre de s’installer à sept kilomètres de la capitale, dans un village qui n’existe pas encore. Son projet fou, devenu une association, s’appelle Akamasoa, « les bons amis » en malgache. L’idée est de restaurer l’autonomie et la dignité de ces familles. Le Père Pedro a l’intime conviction que cette autonomie ne peut exister sans un logement décent pour chacun, une instruction pour les enfants et un travail pour les parents. Le missionnaire ne conçoit l’action humanitaire que comme une coopération, une adaptation aux habitants et aux traditions malgaches. Lui n’apporte que l’élan de l’Évangile.
« Aider un pauvre, c’est aider Jésus lui-même”À l’aube des trente ans de l’association, les résultats sont probants. En 2018, une centaine de maisons ont été construites, s’ajoutant aux trois mille existantes. Chaque famille construit la sienne, avec l’aide de ses voisins. Plus de 14 000 enfants sont scolarisés et rencontrent, dans les écoles ouvertes par Akamasoa, un franc succès avec 90 % de réussite au bac, pour 47 % de réussite sur le reste de l’île ! L’autonomie des villages permet à l’inépuisable Père Pedro de consacrer une partie de son année à parcourir le monde pour récolter des fonds et témoigner. Partout il incarne la révolution du Christ, la possibilité d’agir contre l’injustice, au-delà des discours. De passage en métropole, le missionnaire nous a accordé du temps. Entretien avec un homme qui, à 71 ans, avoue mettre aussi des lucarnes du pied gauche. Révolutionnaire, on vous dit !
Quelle est la place de la figure de Jésus dans votre parcours et votre cœur ?
« Jésus, c’est le visage d’un homme simple, qui parle de cœur à cœur »J’ai découvert Jésus quand j’étais enfant. Je me souviens à six ans de ma mère qui me racontait la souffrance de Jésus. Je l’ai tout de suite senti très proche, comme un grand ami. À 17 ans, j’ai découvert un autre Jésus, l’ami des pauvres. Ce qui m’a frappé c’est sa simplicité, sa discrétion. Lui, le fils de Dieu, a vécu au milieu des personnes, au milieu des pauvres ! Il ne compliquait pas les choses, il parlait de telle façon que tout le monde pouvait le comprendre et apprendre de lui. Jésus, c’est le visage d’un homme simple, qui parle de cœur à cœur. Plus tard j’ai vu comme on le sublimait, comme on l’éloignait des gens. On ne peut pas en faire un totem, c’est quelqu’un qu’on porte dans son cœur, dans son âme. Plus j’avance en âge et plus je suis habité par son esprit d’amitié et de fraternité. Tous les jours je suis plus séduit, plus étonné par le fait que l’homme qui s’est incarné dans notre humanité ait voulu nous rejoindre au plus bas et au plus près de notre vie.
Et SaintVincent de Paul, pourquoi compte-t-il tant pour vous ?
Parce qu’au cours de sa vie, alors qu’il était déjà prêtre, il a compris que lorsqu’il voyait un pauvre, il voyait Jésus. Et il a eu raison ! Aider un pauvre, c’est aider Jésus lui-même. Il disait cette parole formidable que je me rappelle tout le temps : « Quand tu es en train de prier et qu’un pauvre frappe à ta porte, laisse Dieu pour Dieu. » Cette prière, si elle est devenue une coutume, une habitude, ne t’apporte pas Dieu. C’est le pauvre que tu accueilles quand il frappe à ta porte qui t’apporte Dieu.
Dans les villages créés par Akamasoa, vous refusez d’accueillir des bénévoles extérieurs...
J’ai une certitude depuis le départ : aider quelqu’un, ce n’est pas l’assister. Je dis tout le temps à mes frères malgaches : « Je vous aime trop pour vous assister ! » Si je vous assiste sans aucun espoir de ma part, je vais vous rendre dépendants. Je veux que vous soyez debout, que chacun puisse apporter quelque chose à sa communauté. Il faut révéler dans chaque personne le talent, le charisme, le don qu’il a reçu du Créateur. Nous sommes nés pour créer. Rien ne doit être donné gratuitement, il faut toujours un effort de la part de celui qui est dans le besoin, parce que cet effort lui apporte autant que ce qu’on peut lui offrir.
« Commencez par faire de l’humanitaire dans la ville où vous êtes nés ! »Quand nous sommes créateurs, nous sommes heureux parce que nous participons à la vie de l’humanité. Il faut mériter la place qu’on occupe dans le monde. Je ne viens pas en France cher- cher du personnel, je viens chercher les moyens, les finances, pour que les gens puissent vivre et travailler dignement à Madagascar. Là-bas il y a tant de gens capables qui aiment leur pays, on n’a pas besoin de personnes en plus. Quand je vois avec quelle sobriété les Malgaches vivent ! Je vais pour eux jusqu’au bout du monde, pour demander la justice pour ce peuple. En Europe je veux dire : « Commencez par faire de l’humanitaire dans la ville où vous êtes nés. » Il faut renoncer à cette idée que pour faire le bien, il faut aller ailleurs. En quittant l’Argentine à vingt ans, j’allais mal dans mon cœur. J’avais délaissé mon pays, mes amis, mes frères pour cet idéal de l’Évangile, de la fraternité. C’est un déchirement de quitter son pays, surtout quand vos frères ont besoin de vous. C’est pour ça qu’il faut changer notre vision de l’humanitaire. Les pauvres ont des richesses, la joie de vivre, la force de ne pas baisser les bras. J’ai toujours eu cette certitude dans mes actions : les Malgaches doivent être en première ligne !
Le sport tient aussi une place importante dans Akamasoa. Pourquoi ?
Le sport fait partie de la vie humaine, c’est aussi une école, une école de vie ! Dans les villages que nous avons construits, dans chaque petit quartier il y a un terrain de sport. Les garçons jouent au foot et les filles font du basket ou de l’athlétisme. Je vous assure que ça donne une grande joie, les jeunes sont contents de se rassembler, de montrer leurs qualités, leur habilité. Quand on fait du sport, on fait des efforts, on doit avoir la volonté, la force de se convaincre : « Je peux aller plus loin. » C’est une façon de se forcer soi-même pour se dire : « Je peux y arriver, je peux vaincre les obstacles. » À 71 ans, dès que je peux, je vais jouer avec les enfants, au grand stade, et je fais des tirs à 25 mètres. Il m’arrive même de mettre des lucarnes avec n’importe quel pied !
Théo Moy