Henri Boulad, 86 ans, est entré chez les Jésuites à l’âge de 19 ans. Il a passé sa vie en Egypte au service des communautés chrétiennes, juives et musulmanes. Il répond aux questions de l’Osservatore Romano. Nous vous proposons d’en découvrir quelques extraits.
- Avez-vous réussi à réaliser votre rêve de changer le monde ?
Pour changer le monde, il faut changer le coeur humain. [...] Et mon but est de brûler le coeur des hommes. En réveillant la confiance en Dieu, plein de miséricorde, qui se penche toujours vers l’humanité avec amour.
- Vous avez passé une grande partie de votre vie en Égypte. Vous connaissez bien ce pays. Quel est le rôle de l’église catholique en Égypte ?
L’église catholique est une institution très belle et nécessaire. Mais elle a besoin d’un renouvellement de l’esprit. Le christianisme est devenu malheureusement seulement des rites, des messes, des commandements, de la morale. Renouveler les rites et les traditions ne suffit pas. Il faut un changement spirituel. L’Église a besoin d’engagement, et de plus de présence liée au changement du coeur, témoin de l’amour et du dévouement à Dieu, plein de miséricorde.
- Vous parlez du défi de l’islam. Vous avez été recteur au collège des Jésuites, au Caire, où musulmans et chrétiens étudient. Un exemple concret de vie en commun. Pourtant, aujourd’hui, le monde semble subir les attaques de cet islam.
Mais de quel islam parlons-nous ? Là est la question. On trouve dans le Coran les versets de la Mecque et ceux de Médine. Dans les versets de la Mecque, Mahomet tient un discours très ouvert qui parle d’amour et dans lequel les juifs et les chrétiens sont des amis. Il n’y a pas d’obligation en matière de religion et Dieu est plus proche de nous. [...] Lorsque Mahomet quitte la Mecque pour fonder Médine, il y a un changement : de chef spirituel, il devient chef d’état, militaire et homme politique... Ces versets sont un appel à la guerre, à la violence et à la lutte contre les chrétiens.
- De nombreux observateurs et analystes, cependant, parlent d’un islam modéré.
L’islam modéré est une hérésie, mais il faut bien faire la distinction entre le peuple et l’idéologie. La majorité des musulmans sont très ouverts, gentils et modérés. [...] Aujourd’hui, ce ne sont pas les musulmans qui ont sorti de l’islam ce qui est compatible avec la modernité et avec la vie en communauté avec les autres qui ont le pouvoir. Mais ce sont ceux qui appliquent une interprétation littérale, et parfois aussi instrumentée, du coran, et qui refusent tout dialogue.
- Mais de cette façon, ils nient le travail de tous les grands penseurs musulmans comme Avicenne et Al-Ghazali.
Oui, et c’est là le point sensible. La réforme qui s’est produite dans l’histoire de l’islam a été rejetée. [...] C’est un problème interne à l’islam, qui ne propose pas de réponses aux questions modernes et qui est confronté à la nécessité de se réformer.
- Aujourd’hui, quels sont les défis auxquels l’Egypte doit faire face ?
Sans doute le problème démographique. Quand j’étais enfant, il y avait 15 millions d’habitants. Aujourd’hui nous sommes 90 millions, 6 fois plus. Et rien n’a changé en ce qui concerne les conditions de vie. Nous ne pouvons pas continuer à ce rythme. [...] Un autre problème dont on parle rarement, c’est l’athéisme. En Égypte, il y a plus de 2 millions d’athées. Ils le sont devenus parce qu’ils ne supportent plus les incitations à la violence et les exécutions. Dans ces choses, il n’y a rien de divin. Ils ne veulent plus le fanatisme, la répétition mécanique de gestes liturgiques, de prières. Abandonner la religion est quelque chose de tout à fait nouveau en Égypte et dans le monde arabe.
- Que pouvons-nous faire ?
L’éducation : il y a une urgence éducative au niveau du lire, écrire et compter. Un système juste pour distribuer les richesses du monde. [...] L’avenir de l’humanité dépend d’un réarmement moral, d’un changement moral du coeur humain.
M.C.
Source : Il Sismografo