
L'affaire des violences physiques et pédocriminelles dans une école dont le Premier ministre français François Bayrou est accusé d'avoir tu les dérives, a libéré la parole: de nouveaux témoignages et plaintes émergent pour dénoncer des dérives dans l'enseignement catholique.
Notre-Dame-de-Bétharram, établissement catholique où M. Bayrou a eu des enfants scolarisés et où son épouse a enseigné dans le sud-ouest de la France, est au cœur d'une vaste enquête sur des violences, agressions sexuelles et viols sur des enfants commis pendant des décennies.
Le porte-parole du collectif des victimes de violences physiques et sexuelles dans cet établissement, Alain Esquerre, a appelé jeudi la congrégation qui dirigeait cet établissement privé à sortir du "mutisme", après une rencontre avec le procureur de Pau (sud-ouest) chargé du dossier. Une soixantaine de victimes, uniquement des hommes, ont aussi été reçues.
"C'est une institution de salopards. Point. Et le mot est faible", a tonné avant la rencontre Jean-Marie Delbos, 78 ans, victime d'un prêtre aujourd'hui nonagénaire qui avait été placé en garde-à-vue la semaine dernière mais a été relâché pour prescription. "Il est à l'Ehpad maintenant, trois étoiles, quatre étoiles, cinq étoiles", ironise-t-il, soulignant qu'il n'attend plus rien, à part qu'il aille "en enfer".
Plusieurs décennies après les faits, commis des années 1950 aux années 2000, une enquête préliminaire a été ouverte février 2024. Au total, le collectif de victimes de Bétharram a recensé 152 plaintes dont "un corpus de 40 nouvelles plaintes, dont 18 portant sur des faits de nature sexuelle" remis jeudi au parquet.
"Il va y avoir d'autres Bétharram (...) la parole est en train de se libérer", avait estimé récemment Alain Esquerre.
"La même chose"
A Dax (sud-ouest), le diocèse a confirmé avoir reçu deux "signalements" fin 2021 concernant le collège "Cendrillon".
Laurent, 68 ans, scolarisé dans cet établissement en 1974, a fait état auprès de l'AFP de "coups de poing, baffes sur la tête", indiquant avoir subi des violences physiques de "curés, pions et surveillants généraux". "Au dortoir il y avait un temps fixe pour se mettre au lit, extinction des feux qu’on soit au lit ou pas encore couchés, puis la lumière se rallumait et les sévices tombaient", raconte-t-il.
Un collectif de victimes de l'établissement Saint-François Xavier à Ustaritz a vu le jour sur Facebook. "Quand j'ai lu les témoignages des victimes de Bétharram, j'ai compris que j'avais vécu la même chose", témoigne Gilles, 63 ans, ancien élève dans les années 1970.
"On étaient privés de nourriture et violentés", dit-il. En décrivant la punition de la règle en bois, qui consistait à s'agenouiller sur une petite règle "devant la porte d'un curé et à apprendre par cœur une leçon. J'ai souvenir de ne plus réussir à me lever".
Cyril Ganne, 51 ans, a adressé une plainte au procureur de Pau le 17 février, pour des violences subies à Bétharram entre 1987 et 1991, et pour un viol commis par un élève plus âgé à Saint-François Xavier à Ustaritz, en 1983. "Il fallait que je dise ce qui est arrivé", confie-t-il.
"Problème systémique"
"Il y a des temps médiatiques comme ça qui permettent de libérer la parole sans doute", a déclaré à l'AFP le secrétaire général de l'enseignement catholique, Philippe Delorme qui assure que l'enseignement catholique "va faire un nouvel état des lieux".
Mais pour le collectif "Stop aux souffrances dans l'enseignement catholique", qui rassemble depuis 2022 des parents et des enseignants, "l'affaire Bétharram a mis en avant l'omerta qui règne". "Dénoncer, c'est compliqué" et souvent, "c'est le +lanceur d'alerte+ qui devient le problème", souligne Laetitia Bramoullé, membre de ce collectif.
Une expérience vécue par Martine (prénom modifié), enseignante en Alsace, qui dit avoir été "écrasée" après avoir dénoncé des faits, notamment d'agression sexuelle, dans son collège.
Pour Franck Pécot, secrétaire général du Snep-Unsa, l'un des syndicats des enseignants du privé, "le problème est systémique" et "la règle c'est le pas de vague". "On ne sait pas ce qui se passe dans les internats, dans les établissements (...) et les capteurs intermédiaires comme la médecine scolaire ne sont pas là", déplore-t-il.
Dans l'affaire de Bétharram, seul un homme, un ex-surveillant général de Bétharram, a été mis en examen pour viol et placé en détention provisoire. Tous les autres visés par les plaintes, des prêtres ou des surveillants laïcs, sont soit morts soit protégés par la prescription. Une commission indépendante sur les violences sexuelles faites aux enfants, mise en place en 2021, a demandé un audit global et regretté que les 82 préconisations qu'elle a rendues en novembre 2023 pour lutter contre ce fléau soient restées lettre morte.
En 2021, après plusieurs scandales retentissants, la commission indépendante sur la pédocriminalité dans l'Eglise catholique, avait estimé à 330.000 le nombre de mineurs victimes de violences pédophiles dans l'Eglise en France depuis 1950.
La Rédaction (avec AFP)