Vendredi dernier, un attentat islamiste d’une barbarie extrême coûtait la vie à Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine. Quelques heures plus tard, avant même que le nom de l’assassin et de la victime soient dévoilés, une information tournait déjà sur tous les médias nationaux.
Le terroriste était un Tchétchène, né en Russie.
Pas “un des nôtres”, donc.
Dans la foulée, 48 heures après, le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin annonçait une décision ferme : 231 islamistes de nationalités étrangères seraient expulsés très rapidement dans leur pays. Entendez par là : les coupables, les mauvais, les détestables, ils ne sont pas des nôtres.
Hier, Sergueï Parinov, chef du service de presse de l’ambassade de Russie en France, déclarait : “Ce crime n’a aucun rapport avec la Russie, car cet individu demeurait en France depuis douze ans et sa famille avait été acceptée par la partie française”.
Pas des nôtres.
De son côté, Ramzan Kadyrov, dirigeant de la République de Tchétchénie, déclarait sur Télégram : “Un criminel n’a pas de nationalité. Les Tchétchènes n’ont rien à voir là-dedans.“
Toujours pas des nôtres.
Donc personne ne revendique que ce criminel puisse appartenir à sa communauté. On n’en veut pas. Qui en voudrait ?
Pourtant, on est bien capable de s’approprier les noms qui nous arrangent.
Lorsque la France gagnait la Coupe du Monde de Football en 2018 avec une équipe de joueurs dont les origines biologiques se situaient aux Philippines (Areola), au Sénégal (Dembélé, Mendy), en Algérie (Fekir), en Allemagne (Griezmann), en Espagne (Hernandez, Lloris), au Mali (Kanté, Sidibé), en République Démocratique du Congo (Kimpembe, Mandanda, Nzonzi), au Cameroun (Mbappé, Umtiti), en Angola (Matuidi), en Guinée (Pogba), au Maroc (Rami), au Togo (Tolisso) et aussi un peu en France (Giroud, Lemar, Pavard, Thauvin, Varane), on était heureux et fiers de leur faire porter le drapeau bleu-blanc-rouge, de leur faire chanter la Marseillaise, de leur décerner le titre de Chevaliers de la Légion d’Honneur et de faire d’eux les symboles de la France qui gagne.
Et tous ces pays d’origine sont tout aussi fiers d’avoir un des leurs qui soit champion du monde, fût-ce sous un autre drapeau.
Zidane, d’origine algérienne, est une fierté française bien que résident maintenant en Espagne. La Russie est heureuse d’avoir enfanté Sergueï Brin, co-fondateur de Google, pourtant résident américain.
Et lorsqu’en mai 2018, un jeune migrant malien du nom de Mamoudou Gassama s’illustrait en escaladant à mains nues la façade d’un immeuble parisien pour sauver un enfant au bord de la chute, il ne lui aura fallu que deux jours pour être reçu par le Président de la République avec l’assurance d’être couronné de la précieuse nationalité française.
La citoyenneté, l’origine, sont au coeur de nos fiertés et de nos revendications. A travers elles, on recherche finalement moins l’origine biologique des personnes que les valeurs positives qu’elles incarnent.
A nous d’assumer.
A nous d’accepter que nous avons, parmi nous, des individus dont nous ne sommes pas fiers, mais qui font aussi partie de la communauté nationale.
Non, être français, malien, russe ou tchéchène ne fait pas de ses concitoyens des gens mauvais ou bons par nature.
Quel que soit notre pays d’origine, de nationalité ou de résidence, il nous appartient de reconnaître aussi nos pires éléments comme étant des nôtres. Nous renvoyer la patate chaude ne servira qu’à nous défausser de nos responsabilités sur les autres, sans assumer pleinement notre part.
Changer la société commence par se changer soi-même.
Nous avons des devoirs, embrassons-les, assumons-les. En éduquant, en sanctionnant, en affirmant, en informant, tous ceux qui nous sont confiés, Français ou non.
Travailler à réformer, nettoyer, redresser, réparer tout ce qui, dans notre société, ne tourne pas rond, est certes moins galvanisant que de voir brandir une Coupe du Monde sur un stade de foot.
C’est pourtant à ce prix que notre appartenance à une communauté nationale, quelle qu’elle soit, deviendra pleinement un honneur.
Il se trouve que, malgré tout le génie humain, les stratégies, les think tanks, les expertises diverses et variées et les philosophies développées au fil des siècles, l’Evangile est encore ce qui a été écrit de mieux pour répondre à cette exigence de cohésion de la communauté humaine. Les quelques lignes du Sermon sur la Montagne suffiraient à résoudre les problèmes des inégalités, de l’insécurité, du terrorisme, de la faim dans le monde, des guerres, et de tant d’autres maux qui pourrissent le quotidien de l’humanité.
Si nous fermons les yeux devant cette évidence, enfilons de bonnes paires de baskets.
Car nous n’aurons alors pas fini d’enchaîner les marches blanches.
Pardon, Monsieur Paty.
Pascal Portoukalian
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Crédit photo : ventdusud / Shutterstock.com