Orphelin de mère dès sa naissance, confié par son père à Betsaleel, Alexis travaille pour sauver les bébés dénutris du Tchad

Découvrez l’interview d’Alexis Alladjim, coordinateur de Betsaleel au Tchad.
La maman d’Alexis Alladjim est décédée en le mettant au monde. Son papa l’a alors placé dans un carton de sucre, qu’il a attaché au porte-bagage de sa mobylette. Il a parcouru ainsi les 200 kilomètres qui le séparaient du centre de Betsaleel, au Tchad. Alexis a grandi dans cette maison, où il est resté jusqu’à son départ pour ses études.
Aujourd’hui, titulaire d’une licence de Droit, il est retourné prendre soin des bébés de Betsaleel. Découvrez son histoire et son implication pour offrir aux bébés dénutris du Tchad un avenir meilleur.
Vous pouvez découvrir le projet « Du lait pour des bébés au Tchad » en cliquant ici.
Alexis, vous êtes désormais coordinateur dans les centres Betsaleel de N’Djamena et Koumra. Enfant, vous avez vous-même bénéficié des programmes de Betsaleel. Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel ?
Je suis arrivé à Betsaleel comme la plupart des orphelins, tout petit. J’ai vécu quelques années à Koumra. Un orphelinat devait être créé sur N’Djamena, la capitale. Jean-Pierre et Monique devaient s’y rendre et s’y installer afin de continuer l’œuvre que Dieu avait mis dans leur cœur. Comme je vivais avec eux, ils m’ont mis dans leurs bagages et c’est ainsi que je les ai suivis. J’ai commencé mon cursus scolaire dans la capitale, dans les meilleures écoles puis, j’ai eu la chance de faire mes études au Burkina Faso où j’ai étudié le Droit et une année d’anglais à Accra au Ghana. Je suis rentré en 2017 au Tchad avec ma licence en droit, à la recherche d’un travail. J’ai travaillé dans un cabinet d’avocat durant 8 mois et depuis septembre 2018, Betsaleel m’a réouvert ses portes.
Vous êtes engagés au sein de Betsaleel depuis l’année 2018. Quelles sont les valeurs qui motivent votre implication en faveur des plus démunis du Tchad ?
Je pense humblement que ce sont les mêmes valeurs qui ont poussé toutes ces personnes à faire de moi ce que je suis aujourd’hui, ainsi que l’amour du prochain. Se mettre au service des plus démunis est une noble cause qui procure un bien être incroyable dans la mesure où je me sens utile.
Le Tchad est frappé par une grave crise humanitaire. Chaque jour, 200 familles se rendent dans les centres Betsaleel. Quelles sont les difficultés auxquelles elles sont confrontées au quotidien ?
Les difficultés rencontrées sont le manque de structures de soutien et de prise en charge. Ces familles font ce qu’elles peuvent, avec le peu de moyens et de connaissances qu’elles ont, et sont très vite confrontées à des difficultés auxquelles elles n’arrivent pas à faire face. Ce n’est généralement et malheureusement qu’en dernier recours qu’elles viennent aux centres. Il est parfois trop tard… Personnellement, je pense aussi que le manque d’accès à l’éducation, à la scolarité est un des facteurs majeurs de ces manquements.
Face à cette situation dramatique, comment les équipes de Betsaleel parviennent-elles concrètement à les aider ? Comment se passe la prise en charge d’un bébé ?
En effet, heureusement qu’il y a Betsaleel. Betsaleel n’est pas seulement une institution ou un cadre social composé d’employés qui viennent travailler. Betsaleel est aussi une famille, une vision commune à tous, un même état d’esprit et pour cela un travail de synergie et de complémentarité. Nous nous entraidons les uns les autres et donnons le meilleur de nous pour le bien-être de ces enfants. La prise en charge d’un bébé se fait dès l’arrivée de celui-ci au centre. Consultations, pesées, diagnostics, orientations et placements si nécessaire. C’est un vrai travail d’équipe qui implique non seulement les infirmiers, mais aussi les assistants sociaux, dans la recherche d’informations exactes ; des gardiens, dans l’accueil des familles qui arrivent ; des administrateurs, dans la prise des décisions difficiles et dans la signature des documents administratifs ; et du reste du personnel qui permet à ces familles d’être accueillis et pris en charge dans un cadre propre, idéal au bon développement et à la prise en charge d’un enfant.
Au delà de son action d’urgence auprès des bébés dénutris, Betsaleel s’engage dans la prévention. Pouvez-vous nous parler de vos actions dans les villages environnants ?
En effet depuis 2018 nous nous sommes lancés dans des campagnes de sensibilisations dans les villages environnants pour plusieurs raisons. D’abord pour permettre une meilleure visibilité du centre de vie Béthanie. Il est important d’expliquer aux populations ce que nous proposons comme service, comme prise en charge. Ces campagnes de prévention permettent d’éviter le déplacement des familles au centre en dernier recours. Ainsi, elles donneront la possibilité aux enfants d’avoir de plus grandes chances de survie en ayant des conseils plus rapidement. Enfin, une sensibilisation à travers différents thèmes d’ordre alimentaire, sanitaire et éducatif permet à ces familles une meilleure prise en charge de leur enfant tout en le maintenant dans son cadre de vie habituel, ce qui est d’autant plus riche et bénéfique pour tout l’entourage également.
Se mobiliser dans une telle mission en faveur des bébés dénutris doit être bouleversant. Pouvez-vous nous raconter l’histoire d’un bébé, d’une famille, qui vous a particulièrement touché ?
Nous rentrons chaque jour avec notre lot d’émotions. Dans ce genre de travail, tu passes très vite d’une émotion à une autre. De l’angoisse au soulagement, du rire aux pleurs, de la tristesse au réconfort, d’un sentiment de ne pas en avoir fait assez à un sentiment de travail accomplis. Personnellement, j’ai beaucoup d’histoires qui m’ont touché. Toutefois, il y a bien l’histoire de Ahmat et Mahamat ; une paire de jumeaux arrivés au centre de vie Béthanie le 26 septembre 2018. La maman venait de décéder. Leur papa, taximan, est arrivé complètement désemparé sans savoir comment est-ce qu’il allait faire pour subvenir à leurs besoins. Il devait continuer à travailler car il n’existe pas de système d’assurance sociale au Tchad, ne savait pas comment même préparer un biberon et là… tout était à faire à double ! Il ne savait même pas comment les prendre dans ses bras. Dès que je les ai vus, je les ai aimés. J’en avais toujours un des deux avec moi, même quand j’étais dans mon bureau. Ils étaient tellement beaux et innocents. J’ai été marqué par leur papa, soulagé et qui reprenait confiance, lorsque ses enfants ont été pris en charge par les équipes du centre. Il ne se passait pas un jour sans que je ne passe les voir et que je les prenne dans mes bras. Les voir en pleine forme et me faire de grands sourires me procurait un bien fou. Lorsqu’ils sont rentrés chez eux deux mois plus tard pour des raisons familiales, j’ai eu l’impression qu’une partie de moi s’en allait ; j’étais à la fois heureux d’avoir pu participer à leur sauver la vie et à la fois triste de les voir partir. Ces petits m’ont apporté plus d’amour que je ne leur en ai donné. Aujourd’hui, je sais qu’ils sont en pleine forme et je suis toujours excité de les revoir lorsqu’ils reviennent au centre pour leur suivi de croissance.
Aujourd’hui, les stocks de lait de Betsaleel sont au plus bas. Chaque jour, de nombreux parents repartent chez eux sans lait pour leur bébé. Y a-t-il un moyen pour nous de leur venir en aide ?
Nous sommes en manque de lait effectivement. Malgré cela, Dieu suscite toujours des personnes de bonnes volonté de tout âge et de toutes confessions religieuses pour venir en aide à ces enfants ainsi qu’aux familles nécessiteuses. Le lait représente pour nous une manne précieuse, il s’agit de notre mine d’or dans la mesure où c’est en grande partie grâce à ce trésor que nous pouvons agir et sauver des vies. Nous en avons vraiment besoin et nous devons nous mobiliser pour en parler autour de nous et ainsi avoir la générosité de certaines personnes qui puissent nous aider. En attendant, nous prions et faisons avec les moyens du bord, donnons des conseils aux familles et les rassurons que nous serons là et que nous ne baisserons pas les bras.
Si vous souhaitez soutenir le travail d’Alexis et des personnes impliquées dans les centres de Betsaleel, rejoignez les nombreux donateurs du projet « Du lait pour des bébés au Tchad », et donnez à ces bébés leur chance de survivre, cliquez ici.
M.C.