Les pompiers de Paris venaient d’écrire une page héroïque de leur histoire, bien que la charpente, le toit et la flèche fussent passés dans le royaume des morts. Sous l’œil impuissant des caméras, on avait pleuré et prié en se jurant de rebâtir l’édifice. Grâce à la providence et à la déesse raison, celui-ci le serait à l’identique ou presque.
Ce qui surprit le plus se résuma à une question : pourquoi nous sentions-nous si touchés par ce qui arrivait ? De cet étonnement jaillirent une multitude d’ouvrages dont celui de la journaliste franco-britannique Agnès Poirier (Notre-Dame, l’âme d’une nation, Flammarion). Son enquête s’adressait au monde anglo-saxon. La cathédrale, écrit-elle, « est à la fois gothique et révolutionnaire, médiévale et romantique, sacrée et laïque ». Cet unanimisme est plaisant mais insuffisant : dans les flammes, le plomb de l’athéisme officiel avait fondu et l’on reparlait de la vocation du lieu, des racines de la France. Cet incendie devenait une métaphore. L’Église n’existait plus qu’à travers ses monuments majestueux et voilà que des forces ténébreuses s’acharnaient à les rayer de la carte.
Au-delà de Notre-Dame, il existe un vrai combat opposant la laideur à la beauté. Et là aussi, le monde anglo-saxon nous rappelle à l’ordre, comme l’atteste une tribune de la Coalition internationale pour la préservation de Paris (ICPP). Cette association américaine est présidée par une New Yorkaise, Mary Campbell Gallagher. Elle dit recruter ses membres « de Hyderabad à Seattle ». Son site bilingue s’appelle Save Paris. Publiée dans Le Figaro, la tribune hurle son désarroi : « Dans le monde entier, les amoureux de Paris s’alarment de son enlaidissement ! » Ce cri ne fait pas écho au duel de dames entre Valérie Pécresse et Anne Hidalgo si décriée sous le mot-dièse saccageParis. Même si la tribune s’en prend au « saccage de Paris », l’ICPP ne vise pas l’insalubrité des rues ou la négligence municipale mais ses choix esthétiques à travers des « plans de constructions ». Toutes les tours ne se valent pas. Si celles de Notre-Dame émerveillent, Montparnasse ou Jussieu emballent moins. Or la municipalité s’enivre de ce gigantisme que les Américains épris d’Europe ne veulent justement pas voir chez nous. Le manque de foncier disponible ne suffit pas à expliquer cette mode.
Mary Gallagher pointe une « misérable capitulation face aux promoteurs et à leurs architectes dits renommés », comme Jean Nouvel pour les tours Duo (XIIIe), siège de Natixis, Pierre de Meuron et Jacques Herzog pour la tour Triangle (XVe). Le poids de l’affairisme est énorme : si Bernard Arnault fit un don à Notre-Dame, LVMH fut autorisé à « ériger une façade de verre ondulé, opaque, (…) rue de Rivoli, près du Louvre ». La tribune souligne un paradoxe : d’un côté la chasse aux voitures, de l’autre des buildings énergivores juchés sur des tonnes d’acier et de béton.
La France est le pays des normes mais Mary Gallagher s’étonne que le paysage urbain soit si peu réglementé. Les gratte-ciel cassent la ligne d’horizon (skyline) et les perspectives qui font le charme, l’unité et la renommée de la capitale. Ainsi, de la place de l’Étoile, le nouveau Palais de justice (XVIIe) défigure-t-il le si bel axe de l’avenue de Wagram. Dans un ouvrage à paraître en juin sous le titre Paris sans gratte-ciel, 49 experts internationaux mobilisés par Save Paris dénoncent le « crime contre l’idée européenne de la ville ».
Il ne s’agit pas d’exhumer une querelle entre les anciens et les modernes. La vraie question touche au sens de la beauté. Pourquoi les architectes en sont-ils si dépourvus ? Pourquoi les politiques et aussi les hommes d’affaires ont-ils si mauvais goût ? Georges Pompidou vivait dans un magnifique appartement parisien et il fut une sorte de Ceausescu de l’urbanisme. Anne Hidalgo n’est pas pionnière. Depuis les années 70, Paris souffre à tous les niveaux, des immeubles d’habitation et des bureaux jusqu’aux grands chantiers pompidoliens et mitterrandiens.
Pourquoi modernité et beauté ne riment-ils pas ? On a tellement peur de la laideur que l’opinion se replie sur un conservatisme qui n’existait pas autrefois, quand Haussmann rasa le Paris médiéval. On ne doutait pas que l’on reconstruirait en mieux. Pourquoi n’est-ce pas le cas aujourd’hui ? Le divorce entre l’urbanisme et l’esthétisme a des effets délétères, psycho-sociaux. Si la beauté aide à surmonter la dépression, la laideur est une forme d’oppression. L’encasernement communiste en faisait une méthode de gouvernement. De tous les arts, l’architecture est le plus important car nul ne peut se dérober à sa présence. Et si la mairie de Paris copiait l’initiative de Quentin Brière, jeune édile dégourdi de Saint-Dizier (Haute-Marne) inspiré par la célèbre maxime de Dostoïevski ?
Louis Daufresne
Source : Save Paris
Cet article est publié à partir de La Sélection du Jour.