"Un prédateur": l'abbé Pierre est visé par neuf nouvelles accusations de violences sexuelles, dont un viol sur mineur et des faits concernant au moins un membre de sa famille, selon le dernier rapport du cabinet spécialisé Egaé publié lundi.
"Les faits décrits se sont déroulés des années 60 aux années 2000, la plupart du temps en France et parfois à l'étranger", indique ce rapport portant à 33 le nombre de témoignages visant le prêtre décédé en 2007.
Une membre de la famille de l’abbé Pierre a indiqué à Egaé avoir subi de sa part des "contacts sexuels sur ses seins et sa bouche à la fin des années 90".
Un autre témoignage fait état d'un "acte sexuel avec pénétration sur un garçon mineur" - la victime n’a pas souhaité que son témoignage soit détaillé dans le rapport, précise Egaé.
"Le crescendo des rapports (d'Egaé, ndlr) montre qu’il y a de la manipulation, de la stratégie, des menaces, du chantage, des pressions et, parfois, ce qui peut relever d’une organisation", estime Tarek Daher, délégué général d’Emmaüs France, auprès du Parisien.
"Tout cela mis bout à bout dessine le portrait d’un prédateur qui commet des choses extrêmement graves", ajoute-t-il.
Les témoins vont de la salariée d’un hôtel dans lequel séjournait l’abbé Pierre, aux soignantes travaillant dans des hôpitaux où il était hospitalisé, à une volontaire pour un camp de jeunes ou une mission humanitaire, en passant par une hôtesse de l'air.
En plus de ces neuf témoignages, le cabinet Egaé dit avoir "eu connaissance de l'existence d'au moins une autre victime parmi les membres de la famille de l’abbé Pierre" mais "cette personne n’a pas pu être entendue".
Une cinquantaine de cas
Il s'agit du troisième rapport du cabinet mandaté par Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre pour faire la lumière sur les agissements de l'abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès.
En juillet 2023, de premières révélations basées sur sept témoignages avait provoqué une onde de choc tant ce défenseur inlassable des mal-logés et des plus démunis a longtemps fait figure d'icône.
En septembre, un second rapport contenant 17 nouveaux témoignages avait conduit la Fondation Abbé Pierre à annoncer sa décision de changer de nom et Emmaüs à fermer définitivement le lieu de mémoire dédié au prêtre, à Esteville (Seine-Maritime).
Selon Egaé, les derniers témoignages "ne permettent absolument pas de dresser un état des lieux exhaustif des comportements de l’abbé Pierre". Une vingtaine d'autres, ceux-là "parfois anonymes ou incomplets", ont été reçus - portant à plus de 50 le nombre total d'accusations visant le prêtre.
Instauré en juillet, le dispositif d'écoute va se poursuivre "avec une page" dédiée sur les sites d'Emmaüs France, Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre, selon Tarek Daher.
Quant à la réparation financière, cette question sera "soumise à l’assemblée générale du mouvement", a précisé le délégué général d'Emmaus France.
"Horrifié"
Se disant "horrifié(e)" par les nouvelles révélations, la Conférence des évêques de France (CEF) a "encouragé toute personne agressée par l’abbé Pierre à se rapprocher, si elle le souhaite, de l’un des dispositifs d’écoute ou d’accompagnement de l’Eglise" ou celui d'Emmaüs.
Après les précédentes révélations, la CEF avait ouvert mi-septembre l'accès à ses archives. Dans un communiqué publié lundi, elle redit "sa détermination à aider autant qu’elle le pourra".
A Egaé, plusieurs victimes ont indiqué "avoir parlé de la situation à leur entourage sur le moment mais disent que personne ne les a crues".
Quand les fait se sont produits, "j'ai eu envie de crier que cet homme n'est pas celui qu'il prétend être mais qui m'aurait crue?", abonde Rachel dans l'émission d'Envoyé spécial, "Les démons de l'abbé Pierre", diffusée jeudi soir sur France 2.
"Les gens n'étaient pas prêts à entendre ça à ce moment-là", ajoute cette femme qui accuse le prêtre de l'avoir agressée sexuellement quand elle avait 8 ans.
Afin de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant permis à l'abbé Pierre de "ne pas être inquiété", une commission d'experts indépendants, dirigée par la sociologue Céline Béraud, a été installée par Emmaüs. Ses travaux devraient durer deux ans.
"Tout le monde consent que vu l’ampleur, la gravité, les mécanismes, les lieux, oui, des personnes savaient probablement chez nous", admet Tarek Daher. "On doit maintenant comprendre comment une omerta pareille peut se mettre en place".
La Rédaction (avec AFP)