Non à la guerre : L’opposition russe, une voix dans le désert ? [OPINION]

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Au moment où l’Occident peine à trouver une réponse convaincante face à la machine de guerre de Vladimir Poutine et un désastre humanitaire en Ukraine, certains cherchent une lueur d’espoir dans l’opposition russe, soit au niveau populaire, soit au sein du régime lui-même.

On s’interroge notamment sur la possibilité d’un coup d’état éventuel venant du cercle proche du Président. Mais quel est le poids réel de cette opposition, que réclame-t-elle et est-ce qu’elle pourrait effectuer un changement à Moscou ?

On peut diviser l’opposition russe à Poutine en deux catégories, interne et externe. Pour des raisons évidentes, la marge de manœuvre des opposants vivant en Russie semble de plus en plus restreinte. Le Kremlin a pris des mesures radicales pour étouffer toute contestation (une loi signé le 4 mars 2022 prévoit jusqu’à 15 ans de prison pour des personnes publiant des « informations mensongères » concernant l’invasion de l’Ukraine), réduisant ainsi les médias indépendants à un silence quasi-total. Novaya Gazeta, le journal du Prix Nobel de la Paix Dmitri Muratov, pour lequel travaillait notamment Anna Politovskaïa, assassinée en 2006, a retiré ses articles sur la guerre en Ukraine face à la censure, tandis que Echo Moskwy a cessé ses activités sous peine de poursuites, tout comme la chaîne de TV Dozhd (Pluie). Des manifestations contre la guerre continuent d’avoir lieu – soutenues notamment par l’opposant Alexeï Navalny depuis sa colonie pénitentiaire à Pokrov – mais au prix de milliers d’arrestations : le fait même de parler ouvertement de « guerre » plutôt que d’une « opération militaire spéciale » en Ukraine est illégal.

Si les chances que ces manifestations puissent se transformer en un mouvement de masse sont minimes dans l’immédiat, l’opposition russe en exil reste par contre très active. Parmi ses représentants les plus vocaux figurent l’ex-champion d’échecs Garry Kasparov ainsi que l’ancien homme d’affaires Mikhaïl Khodorkovski, emprisonné entre 2005 et 2013, organisateurs d’un Comité russe contre la guerre qui appelle la communauté internationale à regarder les leaders politiques et militaires ayant planifié l’invasion de l’Ukraine comme des « criminels de guerre ». Parmi les poids lourds de l’opposition russe en exil, nous pouvons également citer Andrei Illarionov, conseiller économique de Poutine et son représentant auprès du G-8 entre 2000 et sa démission en 2005.

Tous les trois sont assez pessimistes concernant l’efficacité de la stratégie actuelle de l’Occident pour restreindre Poutine, dont les ambitions territoriales ne se limiteraient pas à l’Ukraine. Illarionov conteste l’idée selon laquelle le Président russe serait en train de perdre la raison (malgré le bilan très mitigé des premiers jours de la guerre), suivant plutôt une logique expansionniste personnelle de longue date, mal comprise par l’Occident. L’ex-conseiller de Poutine affirme depuis longtemps que ses objectifs par rapport à l’Ukraine, dont le refus d’accepter que Kiev se trouve hors les frontières de la Fédération Russe, prenaient déjà forme en 2003. Il estime que les sanctions économiques ne feront pas plier Poutine, ni une rébellion des oligarques qui le financent. Même si on peut noter le mécontentement – pour l’instant très mesuré – de certains d’entre eux envers la politique du Kremlin, leur influence décisionnelle serait en réalité très limitée (avis partagé par Khodorkovski, qui compare le statut des oligarques à celui du personnel de nettoyage dans le bureau de Poutine).

Contre la position affichée par l’OTAN, Illarionov ainsi que le Comité russe anti-guerre favorisent une assistance militaire à l’Ukraine qui inclurait la fermeture de son espace aérien – au moins au-dessus de l’ouest du pays. Dans un long entretien avec la journaliste indienne Shoma Chaudhury, Kasparov a reconnu les risques de cette stratégie, mais rétorque que dans l’esprit de Poutine, l’Occident est déjà en guerre contre lui en tout cas et que la présence dans le ciel ukrainien des avions de l’OTAN pourrait amener les généraux russes à la non-application des consignes de Moscou. La possibilité au moins théorique d’une mutinerie des militaires et des siloviki, le petit cercle autour de Poutine, a été discutée par plusieurs spécialistes, dont la très respectée Fiona Hill (conseillère aux administrations démocrates et républicaines à Washington), pour qui l’histoire suggère néanmoins qu’une telle rébellion viendrait plutôt de l’aile dure de l’establishment...

À moyen/long terme, Kasparov est convaincu qu’une révolte de la population russe est inévitable, étant donné qu’un blocus économique du pays mènerait à la pauvreté généralisée et que Poutine ne pourrait plus payer ses agents de sécurité. Khodorkovski évoque également la possibilité d’une révolution ou d’un coup d’état, mais en soulignant que si cela arrive trop tard, cela pourrait provoquer la désintégration de la Russie. Un scénario qui pourrait évidemment avoir des conséquences imprévisibles et graves au-delà de ses frontières.

Peter Bannister

Source : France 24

Cet article est publié à partir de La Sélection du Jour.


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