Un couple jordanien vivant à New York vient d’avoir un enfant par le recours à une partie de l’ovule d’une tierce personne. Il s’agit du premier bébé né de « trois parents » selon les médias, une appellation abusive sur le plan génétique. La fécondation comme la naissance ont eu lieu au Mexique du fait de l’interdiction de la pratique aux États-Unis.
L‘annonce de cette naissance datant du 6 avril dernier a été faite le 27 septembre. Ce n’est en réalité pas le premier enfant né grâce à trois matériels différents, mais c’est le premier né en bonne santé, disent les médecins, et en suivant cette méthode-ci de transfert cytoplasmique. C’est pourquoi sa naissance est traitée comme inouïe.
Abrahim Hassan est né par le truchement d’une technique qui n’est pour l’instant officiellement autorisée qu’au Royaume-Uni, mais le vide législatif quant à cette pratique au Mexique a incité l’American Society for Reproductive Medicine à y mener ses travaux, cette technique de procréation étant interdite depuis quelques années aux États-Unis à cause des risques quant au devenir de l’enfant.
Le couple bénéficiaire avait déjà perdu deux enfants, décédés d’une encéphalomyopathie nécrosante, le syndrome de Leigh, transmise par les mitochondries de la mère qui, par ailleurs, avait déjà fait deux fausses couches. C’est dans le but d’éviter cette transmission d’ADN mitochondrial par la mère, porteuse saine de ce syndrome qui s’attaque aux muscles et au cerveau surtout chez les nouveaux nés, que l’équipe du docteur Zhang a procédé à la substitution des mitochondries dont les mutations auraient pu provoquer cette maladie génétique.
La maladie n’est transmise que par la mère à l’enfant via le génome mitochondrial (ADNmt) contenu dans l’enveloppe de son ovocyte. Pour contourner ce fait, le docteur Zhang, assisté de son équipe du New Hope Fertility Center de New York, a fourni une nouvelle enveloppe aux chromosomes de la mère en extrayant le noyau de l’ovocyte qu’il a intégré dans l’ovocyte sain et énucléé d’une donneuse avant de procéder à la fécondation.
L’enfant ainsi conçu dispose donc de trois ADN, ceux sains de ses géniteurs et l’ADNmt sain d’une tierce personne. La méthode diffère quelque peu de celle suivie dans les laboratoires britanniques où un ovocyte est fécondé avant d’être débarrassé de son noyau et en recevoir un autre issu d’un œuf lui aussi fécondé par le même donneur. Le couple jordanien a refusé cette possibilité au nom de ses convictions musulmanes pour ne pas supprimer un œuf déjà fécondé.
Cinq ovules avaient été fécondés, et le seul sain sur les quatre viables avait été implanté. Il ne s’agit donc pas, contrairement à ce qui est dit par simplification abusive, d’un enfant à trois parents au sens strictement génétique du terme, le support de l’hérédité se trouvant dans le noyau, même si une petite partie de l’ADN se situe dans les mitochondries. Mais l’enfant reçoit une part d’un tiers comme s’il l’avait reçu de sa mère. Cependant, l’ADN du tiers ne se retrouverait pas chez certains enfants déjà conçus selon cette méthode.
L’intérêt pour le couple était de conserver le patrimoine génétique des chromosomes situés dans le noyau cellulaire de la mère. L’équipe de Zhang estime avoir pris la bonne décision, affirmant que “sauver des vies est la chose éthique à faire”, rapporte New Scientist. Une justification morale qui renverse les faits.
Justification positiviste du relativisme dans la parentalité
Une personne qui n’existe pas ne nécessite pas d’être sauvée. L’argument de la vie sauvée ne peut que surprendre ici quand il s’agissait de créer un enfant, certes indemne d’une maladie orpheline mais inexistant lorsque la décision avait été prise. Cette justification est toujours, sous l’une ou l’autre forme, celle d’une vision scientiste du monde, qui pose la science comme source de valeurs, et que dénonçait Henri Poincaré, qui défiait la science de s’exprimer à l’impératif au lieu de parler et analyser de manière neutre ou descriptive à l’indicatif. L’argument du succès fait d’ailleurs dire à New Scientist son espoir de voir la technique se développer rapidement et partout dans le monde.
Un autre argument éthique est avancé dans la prestigieuse revue scientifique britannique, c’est celle de la supériorité morale de la méthode suivie par l’équipe du docteur Zhang. Sian Harding, Professeur de pharmacologie cardiaque à l’Imperial College London, qui déclare : “L’équipe a évité de détruire des embryons, et elle en a utilisé un de sexe mâle afin que l’enfant à naître ne décède d’un ADNmt transmis. C’est aussi bon sinon mieux que ce que nous ferions au Royaume-Uni.”
Le couple jordanien ayant refusé la méthode britannique en raison de ses convictions religieuses, on peut supposer qu’il refusait de recourir à l’adoption plénière, interdite dans l’islam. Quoi qu’il en soit, il a choisi d’avoir un enfant proche de son phénotype, à sa ressemblance. Cette décision qui fait intervenir un tiers donneur dans la conception de l’enfant risque de susciter une quête des origines chez ce dernier. Il serait possible de tenter la comparaison avec le don d’organes pour parler d’enfant sauvé, de la satisfaction de ce dernier d’exister grâce à un don, mais la situation est radicalement - et ce au sens étymologique - différente : il ne s’est pas agi de soigner, guérir ; il a été question de concevoir. L’enfant ne vit encore pas grâce à un organe d’un donneur, il existe parce qu’un tiers a donné son ADN mitochondrial, et il risque fortement de se poser la question de sa propre identité, comme se la posent les enfants nés de dons de gamètes avec donneurs hétérologues.
Tentant de répondre à ce l’hypothèse de ce risque, le Dr John Appelby, du centre d’éthique et de législation médicale du King’s College, à Londres, ose une comparaison entre les enfants nés d’un don de sperme ou d’ovocyte et ceux nés à la suite d’un transfert cytoplasmique. Il estime que les enfants nés de dons de gamètes n’entendent pas leur identité dans un sens génétique et donc de proximité avec les donneur hétérologues mais cherchent à les connaître pour d’autres raisons, et qu’il faut supposer qu’il en est de même pour les enfants nés avec le remplacement mitochondrial, d’autant que l’ADNmt représente beaucoup moins que le génome nucléaire et n’est donc pas censé avoir les mêmes conséquences sur le phénotype de l’enfant né de « trois ADN » que n’en a le génome nucléaire. Une hypothèse pour justifier un risque posé sur l’enfant à venir dont l’existence n’est par définition pas connue et mériterait d’être traitée sur le mode du principe de précaution, d’autant plus que le risque ne se résumera pas au fait biologique mais sera susceptible d’affecter le psyché.
L’irresponsabilité du risque médical posé sur l’enfant
Les questions éthiques quant au risque psychologique trouvent également un pendant relatif au risque médical. Si la Food and Drugs Agency (FDA) a interdit cette pratique aux États-Unis, c’est parce que ses conséquences ne sont pas maîtrisées. Au début des années 2000, une vingtaine d’enfants avaient été conçus dans le pays en suivant une méthode différente, l’injection de mitochondries dans l’œuf afin de revitaliser la partie mitochondriale de l’ovocyte chez les femmes qui connaissaient une baisse de fertilité en raison de leur âge ; sur un échantillon de 12 grossesses, il manquait un chromosome X à deux embryons, et, parmi les autres enfants qui se développèrent normalement, un finit par développer des troubles apparentés à l’autisme. Cause ou corrélation, l’agence fédérale n’attendit pas de pouvoir trancher et appliqua le principe de précaution. Julie Steffan, professeur de génétique à l’hôpital Necker à Paris, relève le risque médical pour l’enfant ainsi conçu :
« Il y a eu en effet des recherches qui ont été faites avec un modèle animal, en l’occurrence la souris, et au final les résultats ont montré que cette technique de transfert n’était pas inoffensive, les souris nées ayant des troubles neurologiques. »
La FDA, qui se dit encouragée par les progrès aperçus via les essais, a fait part de ses réserves quant aux risques dans un document de février 2014 :« Les conséquences de l’incompatibilité entre le noyau et les mitochondries, ou les effets épigénétiques nucléo-cytoplasmiques, en tant que conséquence de ces technologies de manipulation mitochondriale ne sont pas totalement compris. » La National Academy of Medicine estime ces « bébés à trois parents » pourraient être la solution pour les porteurs à haut risque de maladies génétiques rares et profondément destructrices d’avoir des enfants en bonne santé qui soient génétiquement les leurs, mais que la FDA devrait se montrer précautionneuse quant à de telles expérimentations. Elle demande, sur le plan médical, de ne retenir que les embryons mâles afin de réduire davantage le risque de transmission de maladies mitochondriales, et, sur le plan psychologique, de suivre le parcours de ces enfants pour évaluer l’impact social et psychologique de cette technique.
Pour l’heure, Marcy Darnovsky, directrice du Center for Genetics and Society blâme l’équipe du Dr Zhang qui a délibérément choisi le Mexique « afin de se soustraire aux protocoles et normes en vigueur aux États-Unis. Elle rappelle que « le médecin n’est pas fondé à ignorer les règles admises et appliquer les siennes, au risque de créer un dangereux précédent. » En effet, la technique n’est pas maîtrisée et les enfants ainsi conçus relèvent quasiment du cobaye.
Au Royaume-Uni où la recherche sur cette technique est très avancée, on a pu réduire le risque de transmission d’une maladie mitochondriale, mais en 2015, après avoir testé leur technique sur des embryons humains, les scientifiques britanniques ont constaté que 4% de l’ADN qui avait muté était passé aux embryons et que, même après la destruction de ces derniers au bout de six jours, l’ADN muté transmis par les mitochondries augmentait dans les cellules conservées et cultivées, au point d’arriver au niveau de la maladie. Le Dr Zhang ont ainsi pris le risque de concevoir in vivo un enfant en deçà de la protection juridique américaine.
La décision de faire peser ces risques sur l’enfant à naître évoque les mots du philosophe Hans Jonas, dans Pour une éthique du futur, concernant cette morale prospective qui pourraient trouver à s’appliquer ici également :
« La nécessité s’en est imposée parce que notre action d’aujourd’hui, sous le signe d’une globalisation de la technique, est devenue grosse d’avenir, au sens menaçant du terme, que la responsabilité morale impose de prendre en considération, au fil de nos décisions quotidiennes, le bien de ceux qui seront ultérieurement affectés par elle sans avoir été consultés. ».
Hans-Søren Dag