Mort de George Floyd : Un procès historique dans une société divisée

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Si le décès de George Floyd, le 25 mai 2020, a eu un tel retentissement aux États-Unis et dans le monde, c’est en raison du caractère insupportable de la vidéo d’un policier blanc, Derek Chauvin, qui, tranquillement, les mains dans les poches, maintient son genou sur le cou d’un homme noir, menotté et plaqué au sol pendant 8 minutes et 46 secondes.

Et ce, malgré les supplications de ce dernier qui, avant de perdre connaissance, a réussi à prononcer ces mots qui, par la suite, seront repris par des manifestants un peu partout sur la planète : « Je ne peux pas respirer. »

Le 7 mars 2021, deux jours avant l’ouverture du procès, une marche silencieuse en mémoire de George Floyd est organisée devant le bâtiment du tribunal à Minneapolis. Chandan Khanna/AFP

Près de dix mois plus tard, Derek Chauvin – qui a été limogé de la police au lendemain du drame, incarcéré cinq mois puis remis en liberté sous caution dans l’attente de son jugement – comparaît pour meurtre devant un tribunal de Minneapolis. Ce procès, qui devrait durer plusieurs semaines, sera l’un des plus marquants de l’histoire récente des États-Unis.

Une affaire exceptionnelle

Les conséquences immédiates de la mort de George Floyd et de la diffusion de l’enregistrement vidéo des faits effectué par des passants ont été un nombre historique de manifestations dans tout le pays (entre 15 et 25 millions de personnes) rassemblant des Américains de toutes origines ethniques et souvent jeunes. Ces défilés ont parfois été accompagnés de violences et de destructions, notamment à Minneapolis ou à Portland.

Autre record historique : les 27 millions de dollars de dommages et intérêts versés par la ville de Minneapolis à la famille de George Floyd qui met fin aux poursuites au civil que celle-ci avait engagées contre la municipalité.

Tous les regards se tournent désormais vers le procès au pénal. Là également, le caractère exceptionnel de l’affaire est souligné par la décision du juge d’autoriser les caméras, faisant ainsi exception aux règles normalement en vigueur dans le Minnesota. Décision prise au regard de l’intérêt manifeste du public et des limitations liées au coronavirus : une situation que le juge qualifie de « pas seulement anormale, mais tout à fait unique ». Les avocats de l’accusé ont d’ailleurs remis en cause la possibilité d’un procès impartial, considérant que le timing de l’annonce par la ville de la somme versée à la famille était « très suspect » et pourrait influencer les jurés.

Des chefs d’inculpation défavorables à la défense

Derek Chauvin est sous le coup de trois chefs d’inculpation :

Le plus sérieux est le meurtre (murder) au second degré, à savoir l’accusation d’avoir « causé la mort d’un être humain sans intention de la donner, tout en infligeant ou en tentant d’infliger intentionnellement des lésions corporelles à la victime ».

Le moins grave est l’homicide (manslaughter) involontaire au second degré, qui consiste à causer la mort par négligence.

Le troisième chef d’accusation, tardivement accepté par le juge, est le meurtre au troisième degré, à savoir « un acte éminemment dangereux pour autrui et dénotant un esprit dépravé, sans égard pour la vie humaine, causant la mort d’une autre personne sans intention de la donner » – une catégorie qui n’existe que dans trois États dont le Minnesota. Ce dernier chef d’accusation se situe entre les deux premiers en termes de gravité et il offre une nouvelle possibilité aux jurés de trouver un compromis dans leur verdict en cas de désaccord.

Des 18 incidents similaires dans lesquels a été impliqué Derek Chauvin, seuls deux ont été acceptés comme éléments à charge par le juge et rien du passé judiciaire de George Floyd ne devrait être évoqué. Selon le droit du Minnesota, l’accusé, qui aura 45 ans ce 19 mars, encourt une peine de 25 à 40 ans de prison.

Une sélection des jurés délicate

La sélection des 12 jurés et des 4 remplaçants, également télévisée, a commencé le 8 mars. C’est un processus particulièrement délicat : il faut en effet s’assurer de l’impartialité du jury dans une affaire qui est au cœur de l’actualité depuis plusieurs mois.

Il ne s’agit donc pas de trouver des jurés qui n’en ont pas entendu parler, ce qui serait impossible, mais qui peuvent démontrer une certaine forme d’impartialité.

Les jurés potentiels ont dû remplir un questionnaire de 14 pages et être interrogés par les deux parties, qui peuvent demander au juge de les récuser. Plusieurs l’ont déjà été, principalement en raison d’opinions trop négatives sur l’accusé. Le juge doit veiller à ce que le jury soit représentatif, notamment dans une affaire où la question raciale est essentielle, dans un comté qui compte à peu près 14 % de Noirs. Parmi les jurés choisis à ce stade, se trouvent d’ores et déjà une femme métisse, deux hommes noirs et une femme hispanique. La sélection pourrait se terminer en fin de semaine, sauf grande surprise.

Au cœur du procès : la cause de la mort de George Floyd

Le procès proprement dit, qui pourrait durer jusqu’à fin avril, ne commencera que le 29 mars. La question au cœur des débats devrait être la cause de la mort de George Floyd.

Les deux autopsies, l’une effectuée à la demande de la famille Floyd et l’autre par le comté de Hennepin (le chef-lieu de Minneapolis), concluent à un homicide mais diffèrent sur des détails et sur les mots choisis.

La première conclut à une mort par une asphyxie, tandis que la seconde indique des facteurs multiples. La défense cherchera à convaincre les jurés que George Floyd est en fait décédé à cause des méthamphétamines et des opioïdes qui ont été trouvés dans son organisme, ainsi que des problèmes de santé sous-jacents.

Contrairement à ce que l’on voit dans les fictions, il est souvent difficile d’établir la cause d’une mort, comme le soulignent les experts consultés par le Washington Post. Et cela, d’autant qu’une asphyxie ne résulte pas nécessairement d’un traumatisme physique. Toutefois, il va être difficile de convaincre le jury qu’il n’y pas matière pour une condamnation de meurtre au troisième degré. Chauvin a en effet refusé de tenter de ranimer George Floyd comme le proposait l’un de ses collègues, rejeté l’aide d’une pompière qui se trouvait sur les lieux, en dehors de son service, avant l’arrivée d’une ambulance, et a maintenu son genou sur la victime alors qu’elle était inconsciente. Tout cela est visible sur les enregistrements vidéo des faits. Dès lors, un acquittement serait difficilement compréhensible et conduirait immanquablement à un nouveau cycle de manifestations et d’émeutes dans tout le pays.

Une opinion publique divisée

Mais une condamnation ne règlera pas non plus le problème. D’autant que la question divise là aussi le pays.

Selon un sondage Ipsos/USA Today, en juin dernier, 60 % des Américains qualifiaient la mort de Floyd de « meurtre ». Ils ne sont plus que 36 % à le faire encore aujourd’hui (64 % des Noirs mais seulement 28 % des Blancs), même si une majorité de Blancs (54 %) et de Noirs (76 %) pensent qu’il doit y avoir une condamnation.

La différence d’opinion entre les Blancs et les Noirs quant aux solutions semble se creuser : aujourd’hui, 75 % des Noirs, contre seulement 42 % des Blancs, font confiance à Black Lives Matter pour promouvoir la justice raciale. Dans le même temps, 77 % des Blancs, contre seulement 42 % des Noirs, font confiance à la police locale à ce sujet.

L’une des raisons de la perte de confiance envers « BLM » chez les Blancs (-8 points par rapport à juin, là aussi) mais aussi chez les Noirs (-12 points) tient en bonne partie au discrédit apporté par le slogan mal formulé et très impopulaire chez les Blancs comme chez les Noirs « Cessez de financer la police » (Defund the Police), utilisé par les plus radicaux des manifestants.

Le slogan « defund the police » a parfois été brandi lors des manifestations Black Lives Matter, comme ici à Chicago le 24 juillet. Scott Olson/AFP

Une autre raison, plus évidente encore, est liée aux émeutes et aux destructions qui ont émaillé certaines manifestations consécutives à la mort de Floyd. Bien que très minoritaires, puisque selon une analyse de données, les violences ont concerné moins des 5 % des manifestations, elles ont nettement marqué l’opinion.

La guerre des récits entre la droite et la gauche

Alors que les médias de gauche ont eu tendance à minimiser les dommages matériels causés lors de ces rassemblements, d’autres ont couvert les violences de façon disproportionnée.

Selon une étude récente, Fox News a ainsi fait le lien avec les émeutes dans 60 % de ses reportages traitant de George Floyd. C’est tout un récit alternatif de la situation qui est mis en place par une certaine droite américaine. Il s’agit par exemple d’inverser les rôles et de blâmer la victime en mettant en cause son utilisation de drogue, comme le fait le populaire animateur conservateur de Fox News Tucker Carlson, ou bien de tracer de fausses équivalences entre Black Lives Matter et le Ku Klux Klan, comme le fait son collègue de la même chaîne Sean Hannity, ou encore de minimiser le problème des violences policières à quelques cas isolés, comme l’avait fait Robert O’Brien, le conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump.

L’affaire Floyd et les manifestations qu’elle a déclenchées a bien sûr été l’un des grands sujets de la campagne présidentielle américaine, les deux candidats n’hésitant pas à invoquer le nom de la victime chacun à sa façon et l’un des aspects importants du vote pour un cinquième des électeurs.

Dans ce contexte, le projet de loi sur la réforme de la police, baptisé précisément « George Floyd Justice in Policing Act », passé par les Démocrates à la Chambre des représentants en 2020 et à nouveau en 2021, n’a aucune chance d’obtenir les 60 voix nécessaires à son adoption au Sénat (où les Républicains disposent de 50 sièges sur 100). Ce texte vise notamment à réduire l’immunité dont bénéficient les policiers en cas d’abus, à les obliger à porter des caméras filmant leurs interventions ou encore à interdire les prises d’étranglement comme celle qui a coûté la vie à George Floyd.

La situation est d’autant plus compliquée qu’il existe plus de 18 000 forces de police aux États-Unis au niveau fédéral, des États, des comtés et des municipalités. Les solutions devront donc venir du terrain, en termes de formation policière et de prise de conscience des préjugés inconscients des hommes et femmes en uniforme. Un travail de longue haleine auquel se sont déjà attelés certains anciens policiers.

Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : CHOONGKY / Shutterstock.com


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