« La perte du module sur Mars est une chance pour l’Agence spatiale européenne d’apprendre », titrait la revue Nature le 25 octobre dernier, six jours après le crash de l’atterrisseur Schiaparelli.
Pendant près de deux jours, les astronomes ne savaient pas ce qu’il était advenu jusqu’à ce que l’orbiteur MRO de la NASA repère le site de l’impact le 20. Les données accumulées avant la défaillance seront riches d’enseignement, faisant de cet atterrissage raté une occasion de succès ultérieur.
La mission ne comportait pas que l’atterrissage, mais la mise en orbite du Trace Gas Orbiter (TGO) destiné à étudier les gaz dans l’atmosphère de Mars, particulièrement le méthane afin de déterminer s’il est d’origine biologique ou géochimique, et donc s’il s’agit ou non d’une signature de l’éventuelle vie microbienne dans le sous-sol martien supposé assez chaud pour abriter de l’eau.
En 2013, la NASA avait douché à l’écossaise les observateurs en annonçant qu’il n’y avait pas de méthane sur Mars, alors que depuis la Terre les astronomes avaient cru en déceler et que les sondes martiennes abondaient dans leur sens. Les suppositions infirmées par le rover Curiosity en 2013. Une déception vite chassée par de nouvelles détections, par le même éclaireur Curiosity l’année suivante, confortant la décision des agences spatiales européenne et russe, associées depuis le début de la décennie après le retrait de la NASA de ce projet, d’envoyer donc cette mission comportant deux volets, l’un d’analyse scientifique, l’autre technique quant à l’atterrissage.
Apprendre de ses erreurs, une clé du succès chez les explorateurs
Le crash de Schiaparelli ne signifie donc pas l’échec de la mission, puisque le volet scientifique n’est pas affecté. Mais l’atterrissage raté est lui-même source de connaissance. Il était important de démontrer la capacité d’atterrir sur Mars avant l’amorce de la troisième partie de la mission ExoMars et l’envoi d’un rover en 2020, relié au TGO servant de relais avec la Terre pour la transmission des renseignements. Avant de s’écraser, Schiaparelli a pu envoyer des informations à l’orbiteur quant à descente, lesquelles ont été relayées vers la Terre, et il est possible qu’un dysfonctionnement informatique soit à l’origine de l’accident, la distance avec le sol pouvant avoir été mal évaluée. Ce qui était finalement aussi un test a peut-être donné des clés pour mieux préparer la future mission.
L’âge héroïque des expéditions sur le très inhospitalier continent antarctique, où les conditions météorologiques sont extrêmes, a été d’autant plus brave que nombre d’explorateurs ont perdu leur vie pour profiter de leur passion. Treize hommes ont péri aux abords du continent ou en le foulant. Aujourd’hui, divers pays y sont installés et y mènent des missions scientifiques, et l’on organise même un marathon chaque année quand les conditions y sont favorables, certes pas au niveau du pôle Sud que visaient les explorateurs, mais permis grâce aux missions d’il y a un siècle. Aux expéditions transies et meurtrières a succédé - dans le sens de « succès », « ce qui vient après (l’échec) » - l’installation humaine avec environ 1 500 habitants. Comme les échecs spatiaux, d’avance acceptés par des explorateurs enclins à risquer la mort pour vivre leur curiosité et leur passion, ont fait progresser la connaissance.
Dans son article Se relever d’un échec, l’exemple des grands explorateurs, du 29 octobre 2013, le magazine National Geographic se penche sur l’âme des aventuriers et des scientifiques qui tentent et peuvent échouer, mais dont la passion fait avancer la science. Le mensuel cite notamment l’ingénieur suédois Salomon August Andrée qui, voulant éviter de mourir comme d’autres explorateurs cherchant à atteindre le pôle Nord par voie terrestre, décida de « s’envoler dans un ballon à hydrogène pour être le premier à découvrir le pôle Nord, alors aussi inconnu que Mars ».
Il y laissa sa vie en 1897, comme ses deux compagnons de voyage, un autre ingénieur et un photographe. Leurs corps furent découverts trente-trois ans plus tard, gelés. Ils avaient dû atterrir en urgence sur la banquise, et leurs journaux révélèrent qu’ils étaient morts trois mois plus tard. Un imprévu, mais l’idée était bonne et aurait pu se concrétiser par un succès. En 1926, l’explorateur norvégien Roald Amundsen, qui avait déjà hiverné en Antarctique, devint le premier homme à atteindre le pôle Nord, avec certitude. A bord d’un dirigeable : la voie aérienne initiée par Andrée était pertinente.
Des revues scientifiques demandent à connaître les résultats « négatifs », car ils peuvent faire progresser la science
Dans le même article, le National Geographic aborde l’importance de l’échec dans le domaine scientifique que les chercheurs essaient de voiler pour ne pas risquer la perte de financements en cours ou potentiels. Mais, fait remarquer le magazine, « lors de la dernière décennie, une demi-douzaine de revues au moins (de médecine et d’écologie pour la plupart) ont sollicité des rapports d’expériences, études et essais cliniques avortés. Car des résultats « négatifs » peuvent finalement avoir des effets positifs ». Des fondations qui supportent financièrement des chercheurs commencent à réclamer des informations aussi bien quant aux réussites que sur les échecs, car si l’on en tire des leçons simples, on « y trouve profit à plus grande échelle ».
Récemment, les physiciens, et parmi eux les astrophysiciens - et précisément les cosmologistes -, ont exprimé leur profonde déception devant une découverte, celle de l’inexistence de la particule X. La détection d’un signal au Grand collisionneur de hadrons (LHC pour l’acronyme en anglais, habituellement utilisé), le fameux accélérateur de particules qui permet notamment de faire avancer la cosmologie, laissait espérer une découverte sur les premiers instants de l’univers. Depuis qu’un signal avait cru être perçu en décembre 2015, nombre de scientifiques étaient en émoi alors que des publications scientifiques quant à cet espoir au LHC se montraient, avec la rigueur nécessaire à la science, plus prudentes que les articles donnant volontiers et uniquement dans l’extrapolation. Et pourtant, face à la déception, il y a la certitude d’une découverte - car le mot convient -, la certitude de l’inexistence de cette particule, et, au-delà, l’évitement de la perte d’énergie et de temps à poursuivre des recherches à son sujet au détriment d’autres moins exotiques qui méritent aussi que les chercheurs se battent pour approfondir et développer les connaissances. Comme ils sont prêts à tout donner pour d’autres domaines de l’astrophysique.
Dans le film Interstellar, on peut entendre ces mots d’un poème de Dylan Thomas adressé aux explorateurs sur leur chemin vers de nouvelles planètes :
« N’entre pas sans violence dans cette nuit noire, le vieil âge devrait [...] rager, enrager contre la mort de la lumière. Bien que les hommes à leur fin sachent que l’obscur est mérité, parce que leurs paroles n’ont fourché nul éclair, ils n’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit. »
A l’écoute de ces vers, on songe à la curiosité du peintre Auguste Renoir qui, le jour de sa fin, s’émerveilla encore quant à son art :
« Je pense que je suis sur le point d’apprendre quelque chose à ce sujet. »
L’échec partiel du programme ExoMars, ne doit pas cacher la réussite du volet scientifique de la mission, et l’apport d’informations quant à l’atterrissage ; et, finalement, Schiaparelli, n’est tombé qu’à 5,4 kilomètres du site visé, dans son ellipse d’atterrissage qui était de 100 x 15 kilomètres, les agences concernées ont pu apprendre avant la mort de l’engin, et apprennent encore depuis. « Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux », disait Samuel Beckett, cité par le National Geographic.
Hans-Søren Dag