
Il y a deux semaines, la Fédération Protestante de France (FPF) accueillait une table ronde pas comme les autres. À l’occasion de la présentation de l’ouvrage collectif Comprendre et lutter contre les violences en protestantisme, pasteurs, théologiens, psychologues et professionnels du travail social se sont retrouvés pour échanger sur un sujet encore tabou dans de nombreux cercles : les violences sexuelles, spirituelles, conjugales et éducatives, mais aussi l’inceste et le harcèlement dans le milieu protestant.
Valérie Duval-Poujol, théologienne, vice-présidente de la FPF et fondatrice de l’association Une place pour Elles, l’affirme : "Nous sommes au début de quelque chose". En effet, cette prise de conscience collective est récente, et le mouvement de libération de la parole dans les milieux protestants n’en est qu’à ses balbutiements. "Quand un milieu n’est pas touché par ce type d’affaires, ce n’est pas qu’il n’y en a pas. C’est simplement que la parole n’a pas encore été libérée", rappelle-t-elle.
Cette libération progressive s’observe désormais au grand jour. En décembre, l’historien Sébastien Fath posait déjà cette question sur le réseau social X :
"Assiste-t-on à l’émergence d’un #MeToo protestant en France ?"
Quelques jours plus tôt, la presse révélait des accusations visant deux figures du protestantisme évangélique français : Guillaume Bourin et Matthieu Koumarianos.
Guillaume Bourin, ex-blogueur et pasteur, a été reconnu coupable d’atteinte sexuelle sur mineure par le tribunal correctionnel de Créteil le 17 décembre. Quant à Matthieu Koumarianos, figure emblématique de My Gospel Church, il a été destitué pour "faute morale grave" après des accusations de manipulation, d’emprise et d’abus sexuels, notamment sur des mineures. La dissolution précipitée de son église le 15 décembre et les témoignages accablants qui ont suivi ont révélé l’ampleur du scandale.
En parallèle, le 19 décembre, dans le cadre d’une affaire similaire, une tribune a été publiée par des étudiants de la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. Ce texte, relayé par la revue Réforme, appelait les institutions protestantes à devenir des lieux où la protection des personnes vulnérables est prioritaire.
"Nous, croyantes et croyants, acteurs et actrices de la vie protestante francophone, voulons que les institutions protestantes soient des lieux qui prennent soin des personnes vulnérables aux abus sexuels et spirituels."
Une série de révélations qui marquent une étape clé dans la prise de conscience des violences au sein du protestantisme en général et dans le milieu évangélique en particulier.
Agir pour prévenir et protéger
C’est le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) qui a été la première instance à s’emparer de cette problématique. Dès 2022, suite à une prise de conscience qui date de 2018, le CNEF a mis en place la plateforme Stop Abus, dédiée à l’écoute et à l’orientation des victimes ou témoins de violences sexuelles dans les structures évangéliques. Ce dispositif vise à briser l’omerta et offrir un espace sécurisé aux personnes concernées.
De son côté, la Fédération Protestante de France a pris une série de mesures pour structurer la prévention et l’accompagnement. En 2023, elle publiait un rapport sur les violences sexuelles et spirituelles dans les milieux protestants. Depuis, elle a lancé en mars une ligne d’écoute en partenariat avec France Victimes (01 80 52 33 89), accessible à toute personne victime ou témoin de violences. "Nous voulons lutter contre ce fléau et faire des lieux d’accueil protestants des espaces sûrs", déclarait récemment Christian Krieger, président de la FPF.
Autre réponse marquante de la FPF : la publication de Comprendre et lutter contre les violences en protestantisme. Cet ouvrage collectif rassemble les contributions de pasteurs, de théologiens, de psychologues et d’autres professionnels. Il aborde de front les violences sexuelles, spirituelles, conjugales, éducatives, ainsi que l’inceste et le harcèlement, tout en proposant des clés pour comprendre, accompagner et agir. Présenté lors d’une table ronde le 7 mars, ce livre se veut un outil de référence pour les responsables ecclésiaux, les fidèles et toutes les personnes confrontées à ces questions.
Lors de cette soirée, la sage-femme et sexologue Nathalie Gonzalez a rappelé l’enjeu crucial d’une écoute bienveillante et sans préjugés. "Dire à une personne qu’on la croit est primordial", a-t-elle martelé, précisant que les fausses accusations représentent entre "1 et 3 %" des plaintes. Elle a également souligné la spécificité du contexte religieux, qui peut aggraver les situations d’abus :
“On instrumentalise la foi de la victime et la parole de Dieu.”
#MeToo protestant : un sursaut ou une transformation ?
L’écho du mouvement #MeToo dans les milieux protestants pose une question de fond : comment instaurer une culture durable de prévention, d’écoute et de responsabilisation ? Si certains craignent une forme de "tribunal médiatique", d’autres y voient une opportunité pour repenser en profondeur le fonctionnement de leurs Églises et de leurs communautés.
Les récentes initiatives du CNEF et de la FPF marquent un début, mais elles devront s’inscrire dans la durée et être accompagnées d’une vigilance continue. Comme le souligne Valérie Duval-Poujol, "nous sommes au début de quelque chose". La question reste de savoir si ce premier pas ouvrira la voie à une transformation structurelle. L’émergence d’un #MeToo protestant évangélique en France sera-t-elle le point de départ d’une prise de conscience durable ?
Une chose est certaine : la parole des victimes commence à trouver un écho. Il appartient désormais aux institutions et aux croyants de montrer qu’ils sont prêts à l’entendre.
Camille Westphal Perrier
Cet article vous est proposé dans le cadre d'un dossier plus large sur le thème des violences sexuelles dans les milieux protestants évangéliques. Chaque jour de la semaine jusqu'à vendredi, nous vous proposerons donc de découvrir un article sur ce thème dans le cadre de ce dossier.
Sur le même sujet lire également :
Pourquoi nous consacrons un dossier aux violences sexuelles dans les milieux évangéliques