Le 22 septembre 2022, Assoumani Azali, le président de l’Union des Comores a rappelé lors de 77e Session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unis le différend territorial qui oppose son pays à la France concernant l’île de Mayotte.
En effet, la souveraineté du plus jeune et du plus petit département français situé dans l’océan Indien est au cœur d’un conflit territorial et l’objet de débats passionnés depuis plusieurs décennies.
S’il est incontestable que les quatre îles formant l’archipel des Comores ont une géographie et une grande partie de leur peuplement en commun, il convient de revenir brièvement sur l’histoire de l’archipel pour comprendre les tensions entre Mayotte et ses voisins.
« L’archipel des sultans batailleurs »
Au VIIIe siècle, les îles se peuplent de Bantous agriculteurs et pêcheurs venus d’Afrique ainsi que de commerçants malgaches et d’austronésiens originaires de l’archipel indonésien.
À partir du XIIIe siècle, des familles provenant de Chiraz, en Perse, s’implantent dans l’archipel et s’efforcent d’emblée d’asseoir leur domination, imposent leur culture, et réduisent les populations locales en esclavage. Les îles sont alors gouvernées par des sultans issus des différentes familles chiraziennes. En perpétuelle concurrence, ces monarques organisent régulièrement des expéditions militaires d’une île contre l’autre. Touchées par des troubles violents (pillages, razzias d’esclaves, etc.), les îles sont baptisées « l’archipel des sultans batailleurs ».
Lassé de ces querelles, le sultan de Mayotte, AndrianTsouli, cherche l’appui d’une puissance étrangère afin de conforter son assise politique dans l’île la plus malgache de l’archipel.
En 1841, il cède Mayotte à la France. L’île devient une colonie française en 1843. Le protectorat français est établi aux trois autres îles en 1886 et, celles-ci sont érigées en colonies françaises en 1912, soit près de 70 ans après Mayotte. Contrairement aux idées reçues, l’archipel des Comores n’a jamais constitué une entité politique avant la présence française.
Le combat des « chatouilleuses »
Historiquement, la détermination des habitants de l’île de Mayotte dénommés les Mahorais à accéder à un ancrage pérenne au sein de la République française est antérieure à la période de décolonisation.
L’année 1958 marque une rupture dans la relation entre Comoriens et Mahorais. L’assemblée territoriale des Comores vote le transfert de la capitale de Dzaoudzi (Mayotte) à Moroni (Grande Comore).
Cette situation sécrète une certaine rancœur chez les Mahorais et amène à la fondation du Mouvement populaire mahorais (MPM) en 1966.
Les femmes, connues sous le nom de « chatouilleuses », débutent leur combat en menant des activités protestataires contre l’autorité territoriale et réclament la départementalisation.
La décolonisation dans l’archipel des Comores
En 1974, les Comoriens sont interrogés sur leur souhait d’indépendance. C’est la décolonisation qui marque le point de départ du « dossier douloureux qui dure depuis plus d’une quarantaine d’années » entre la France et les Comores, comme le rappelait Azali Assoumani, président de l’Union des Comores le 22 septembre 2022 devant l’ONU.
Alors que les habitants des trois îles voisines votent majoritairement « oui », les Mahorais se distinguent en votant « non » et soulignent leur volonté de demeurer au sein de la République française.
Face à ce résultat, l’assemblée des Comores proclame dès 1975 l’indépendance des îles de l’archipel, y compris Mayotte. Devant la contestation des Mahorais et l’inquiétude de perdre un territoire géostratégique dans l’océan Indien, la France prend acte de l’indépendance des îles, excepté Mayotte, près de six mois après la proclamation d’indépendance et quelques semaines après l’adhésion à l’ONU du nouvel État comorien.
[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]Au lieu de considérer ce vote dans son ensemble selon le droit international au nom de l’intangibilité des frontières, la France organise une seconde consultation de la population de Mayotte sur leur souhait de rester français ou d’intégrer le nouvel État comorien. En 1976, les Mahorais choisissent la France à plus de 99 % des suffrages.
Cet acte apporte une légitimité à l’élaboration d’un « micmac constitutionnel » comme l’écrit le militant Pierre Caminade, afin de conserver l’île sous son giron.
L’Assemblée générale des Nations unies se saisit immédiatement de la question, condamne les agissements de l’État français et affirme la souveraineté comorienne sur l’île de Mayotte. A cette condamnation, la France rétorque par le principe des peuples à disposer d’eux-mêmes et, de ce fait, considère sa décision comme conforme au droit international.
Un rattachement qui n’est plus au cœur des préoccupations internationales
De 1976 à 1994, l’assemblée générale des Nations unies adopte 18 résolutions. Chacune d’entre elles se réfère à la Résolution 1514 (XV) de 1960 affirmant la souveraineté comorienne sur l’île de Mayotte.
Or, au fil de celles-ci, les mots utilisés par l’ONU sont de plus en plus nuancés passant de « condamne » à « invite », et l’abstention des États votants pour statuer sur ce sujet est en constante augmentation. Lors de la dernière résolution, le « oui » reste majoritaire mais avec seulement 47,28 % des États.
À compter de 1996, l’Union des Comores n’entreprend plus les démarches nécessaires pour faire inscrire la question de Mayotte à l’ordre du jour définitif de l’assemblée générale de l’ONU. Malgré cela, les tensions diplomatiques sont encore bien présentes et le sujet est régulièrement évoqué dans les discours du président comorien.
De son côté, la France affirme clairement sa volonté de préférer l’avis du peuple à celui des instances internationales. Mayotte devient le 101e département français en 2011 et une région ultrapériphérique (RUP) de l’Union européenne en 2014.
Ce dernier statut a été obtenu suite à un vote unanime du Conseil européen désignant de facto Mayotte comme française, tandis qu’aucun des États membres n’a relevé une contradiction avec sa propre position au sein de l’ONU.
Bien que Mayotte française ne dispose encore aujourd’hui d’aucune reconnaissance internationale, il semble que cette question ne soit plus au cœur des préoccupations mondiales et qu’elle prenne de plus en plus le chemin de l’acceptation, excepté pour les Comoriens.
Une situation politique instable aux Comores
Subissant une vingtaine de coups de force entre 1975 et 2001, l’État comorien connaît une longue instabilité politique et institutionnelle depuis son indépendance. La crise séparatiste la plus profonde réside probablement dans la déclaration de sécession des îles d’Anjouan et Mohéli en 1997. Les îles déclarent leur indépendance et demandent sans succès leur rattachement à la France. Échouant à retrouver son autorité par la force, le pouvoir central comorien entame un long processus de réconciliation qui s’achève par la ratification de la nouvelle constitution de l’Union des Comores de 2001).
Cette constitution marque la mise en place d’une stabilité politique en accordant une plus large autonomie aux îles qui composent l’Union et en instaurant le principe d’une présidence tournante à raison d’un mandat non renouvelable par élu natif de chacune des trois îles.
Or, en 2018, Azali Assoumani organise une réforme constitutionnelle afin de pouvoir étendre de un à deux mandats la durée de la présidence. Réélu en 2019, l’opposition crie au « coup d’État institutionnel » et au « Hold-up électoral ».
Au-delà de l’instabilité politique et institutionnelle du pays, les Comores sont également confrontées à des évènements climatiques et environnementaux (cyclones, inondations, etc.), économiques (pénuries de denrées de première nécessité) ou sanitaires (épidémies, etc.). Aujourd’hui, le pays fait partie des 47 États dont le niveau de développement est le plus faible et est classé 21e État le plus corrompu selon l’indice de perception de la corruption en 2020. Cette situation offrant peu de perspectives heureuses aux Comoriens, les candidats à l’émigration sont nombreux à vouloir rejoindre Mayotte.
Mayotte : un département français sous tension
La proximité géographique et les écarts économiques entre les îles de l’archipel ont rapidement transformé Mayotte en « eldorado ». Aujourd’hui, près d’un habitant sur deux est de nationalité étrangère et 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, souvent dans des bidonvilles.
Les inégalités sociales et l’explosion démographique, liée à une forte natalité et à des flux migratoires importants, engendrent de nombreuses tensions sur cette petite île de seulement 375 km2. L’insécurité quotidienne et la flambée de violences de ces dernières années cristallisent les débats autour de la question migratoire. En ce sens, la France est aujourd’hui le premier bailleur des Comores et lui accorde d’importantes aides financières, en contrepartie d’une lutte contre le départ de ces ressortissants vers Mayotte.
Devant l’assemblée de l’ONU en septembre dernier, Assoumani Azali a souligné que s’ouvrent :« des perspectives nouvelles avec l’esprit de dialogue qui s’est créé entre les parties [comorienne et française] », après avoir rappelé le caractère comorien de l’île mahoraise.
La politique gouvernementale française a effectivement la « volonté de résoudre ces désaccords sur le plan bilatéral et de trouver des solutions constructives dans le temps » à travers la mise en place d’un nouveau partenariat en matière de développement, comme l’a exprimé le président Macron lors d’une conférence de presse conjointe avec le président Azali en 2019.
Or, de nombreux Mahorais interrogent l’utilité de cette politique. Ils dénoncent une « crise migratoire alimentée par les autorités comoriennes et instrumentalisée pour leur revendication territoriale sur Mayotte », pour reprendre les propos de la députée Estelle Youssouffa qui s’est également rendue aux Nations unies en septembre dernier pour défendre le choix des Mahorais de demeurer Français.
Entravé par l’insoluble différend territorial concernant Mayotte, le renforcement des liens de coopération régionale apparaît pourtant comme une nécessité et devrait se poursuivre.
Victoire Cottereau, Maitre de conférences en géographie au CUFR de Mayotte, chercheuse associée au laboratoire Migrinter, Poitiers et au laboratoire ESPACE-DEV, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.