Selon le gouvernement iranien, la particulière instabilité actuelle au Proche-Orient est le signe de l’imminence du retour du Mahdi, le messie islamique, qui selon la tradition sera assisté de Jésus-Christ, pour imposer la paix au monde en anéantissant les ennemis d’Allah et soumettant les chrétiens et les juifs. Ce guide est le douzième imam, Muhammad al-Mahdi, disparu en 939 à l’âge de 5 ans selon la majorité des chiites, et est attendu par les musulmans.
La télévision iranienne diffuse une publicité qui pourrait faire penser à un film de superhéros, montrant la bataille entre un chef spontané, guidant de jeunes hommes désarmés, et le Grand Satan américain. La vidéo montre un homme d’aspect normal s’élever et vaincre de manière surnaturelle les ennemis de l’islam, elle s’achève sur les images du drapeau des États-Unis en train de brûler. Une publicité qui fait suite à des déclarations au sujet de la proximité du retour du Mahdi et de la nécessité de s’y préparer militairement.
Cette publicité est un matériel politique et religieux comme destiné à rappeler aux chiites l’attente du retour du douzième imam. Ce guide est occulté depuis 939, selon les chiites duodécimains – ceux qui croient au douzième imam. Caché jusqu’à sa parousie, cet imam ne se rendrait visible qu’en songe ; les livres chiites relatent de nombreuses visions. Chaque fidèle chiite croit pouvoir en appeler à son aide. Un supposé recours qui pourrait expliquer que l’Iran attende particulièrement sa venue dans une période troublée aux frontières du pays et dans une grande partie du monde musulman.
Les sunnites croient également au retour du Mahdi, mais en parlent moins et sont relativement divisés sur le sujet, certains érudits musulmans mettant en doute les haddiths qui le mentionnent ; les islamistes sunnites de l’État islamique diffusent eux-mêmes des vidéos quant à la prochaine venue du Mahdi, et leur Califat est bâti dans cette attente. Si les différentes branches de l’islam ont chacune leur conception du Mahdi – ainsi pour les sunnites, c’est un personnage qui naîtra à la fin des temps -, la foi en l’imminence de son retour est partagée.
Dans plusieurs pays musulmans, la majorité des croyants sont convaincus que le Mahdi reviendra de leur vivant : c’est l’assurance de 83% des Afghans, 72% des musulmans d’Irak, 67% de leurs coreligionnaires de Tunisie ou encore de 68% des fidèles en Turquie. Les coranistes, une secte islamique qui ne se réfère qu’à la lettre du Coran et non aux haddiths qui se sont agrégés au fil des siècles, ne reconnaît donc pas le Madhi, l’imam étant né après la révélation du Coran. Les événements actuels nourrissent particulièrement cette croyance en Iran, et le pays se prépare dès lors d’autant plus à la réalisation de cette espérance.
Une croyance religieuse qui dicte l’orientation politique.
Début janvier 2016, le commandant du Corps des gardiens de la Révolution, le major-général Mohammad Ali Jafari, a déclaré dans un entretien accordé au journal turc Daily Sabah que la République islamique d’Iran avait levé une armée de 200 000 jeunes hommes à travers le Proche-Orient pour préparer la venue du Mahdi, précisément en Syrie, en Irak, en Afghanistan et au Pakistan ainsi qu’au Yémen. Selon le commandant, les violences actuelles dans la région, notamment l’apparition de l’État islamique, sont le signe annonçant le retour de l’imam occulté et la bataille de l’Armageddon, décisive entre le bien et le mal.
C’est probablement aussi sous cet angle qu’il faut considérer le soutien direct du Corps des gardiens de la Révolution à l’armée syrienne, en plus de l’aide apportée à un régime ami dont le chef est un alaouite – pour l’anecdote, les alaouites défendent une révélation nouvelle supposément faite par le onzième imam, Hasan al-Askari, le père du Mahdi. Tout comme le choix du nom « Armée du Mahdi » par le leader chiite Moqtada Sadr en Irak illustre la dimension spirituelle prêtée au combat contre les sunnites et les forces de la coalition occupant le pays après la chute du Président Saddam Hussein.
Théocratie, l’Iran a mis son véritable pouvoir entre les mains du clergé chiite, et la souveraineté appartient à Allah. Le Guide suprême de la Révolution islamique, le plus haut dirigeant du pays, Ali Khameini, est par exemple celui qui a nommé le major-général Jafari, et leurs vues sur le Mahdi sont identiques. Mahmoud Ahmadinejad, président de 2005 à 2013, partageait ouvertement la vision apocalyptique au sens premier de l’ayatollah Khameini et ne manquait pas une occasion de souhaiter ou annoncer la venue du Mahdi, jusque devant l’Assemblée générale de l’ONU. Ainsi, entre autres interventions devant les représentants des divers États au sein de l’institution le 29 septembre 2011, le dirigeant iranien mentionna le Mahdi dans une diatribe contre les États-Unis, allusion que ne reprend pas le résumé du discours sur le site des Nations unies.
Il parla d’un « avenir lumineux pour l’humanité » : un futur qui se réaliserait « bientôt, grâce à la direction des prophètes et des gens de bien, et au respect des valeurs divines et humaines sous la direction de l’héritier des prophètes et des amis de Dieu, ce pur descendant du prophète de l’islam qui [viendrait] sauver l’humanité, l’imam Mahdi ». (vidéo, à partir de 10 minutes 56 secondes). Hassan Rohan, l’actuel président, critiquait les croyances messianiques d’Ahmadinejad, mais d’une part l’essentiel pouvoir, notamment le commandement militaire, est entre les mains du faqi, le Guide de la Révolution ; d’autre part l’Iran a l’habitude de montrer de temps à autre des « modérés » pour adoucir stratégiquement sa situation.
La critique de la puissance américaine par le régime révolutionnaire iranien repose non pas sur une acception socialiste ou multipolaire du monde - bien qu’Ahmadinejad s’entendît avec le Président vénézuélien Hugo Chavez contre les États-Unis - mais une vision religieuse eschatologique ; et, alors président, Ahmadinejad déclarait que l’Iran portait « une mission mondiale qui a pour but de trouver une échappatoire au genre humain pour qu’il puisse se sortir de cette déception », proposant comme modèle de société celui du Mahdi. Une vision du monde qui pourrait sembler doucement utopique si elle n’était accompagnée de la conviction que cette paix devrait s’obtenir par la soumission forcée à Allah après un combat entre le bien et le mal.
Hans-Søren Dag