L’Intelligence artificielle, fascination et déshumanisation…

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De la mécanisation des gestes à la mécanisation de l’intelligence

Dans le monde industriel l’homme a suppléé puis gommé les gestes humains répétés. La mécanisation puis la robotisation des tâches manuelles a peu à peu remplacé ce qui n’était pas jugé comme qualifiant et qu’il semblait assez simple de reproduire, pour le faire à la place de « l’ouvrier hyper spécialisé ». Ce fut à l’évidence un gain économique et une augmentation de l’efficience au sein de l’industrie.

Sans doute pensait-on que jamais la mécanisation ne pourrait se substituer aux tâches intellectuelles répétitives ou calculatoires, tant et si bien qu’il semblait jusqu’à présent, inconcevable de remplacer l’homme. Pourtant la machine peu à peu est en train de coloniser les tâches qui supposaient une expertise ou une qualification de haut niveau.

C’est ainsi que l’un des plus grands cabinet américain, BakerHostetler, s’est doté d’un programme permettant d’appuyer le travail de conseil des avocats, cette mission était réservée jusqu’à présent à de jeunes diplômés. Cette intelligence artificielle (IA), n’est pas un moteur de recherche, elle ne fournit pas une liste de textes, mais recherche une réponse idoine développant des arguments juridiques fondés sur des extraits et des exemples de cas concrets. De plus, la question peut être formulée oralement donc en langage naturel et la réponse ne se fait pas attendre, au fond cette IA fait l’économie d’une personne ressource dédiée à cette recherche.

Dans les années 80, et au début de mes activités professionnelles comme consultant, j’utilisais le papier pour aligner mes chiffres, les données issues de sondages, et cela prenait un temps infini et sans doute très onéreux pour nos clients, très rapidement des solutions informatiques ont émergé pour saisir et traiter les données des enquêtes.

Au fil de l’eau et du temps, les programmes informatiques se sont sophistiqués

Au fil de l’eau et du temps, les programmes informatiques se sont sophistiqués, permettant également d’appréhender l’analyse de textes (les verbatim). Dans les années 2000, j’avais utilisé au sein de notre bureau d’études spécialisé dans l’analyse de données socioéconomiques, un programme qui permettait l’automatisation des tâches d’analyse. Ce programme offrait de nouvelles perspectives d’analyse pour alléger les tâches des chargés d’études, en proposant l’automatisation de commentaires, déclinés dans la production des résultats sous forme de tableaux.

Ainsi l’intelligence informatique s’est également attelée à la mécanisation des tâches intellectuelles, des tâches de haut niveau. Le concepteur de l’outil m’avait alors indiqué qu’il s’agissait selon lui de libérer le chargé d’études pour lui permettre de vaquer à des tâches plus valorisantes, de se consacrer à des activités conseil apportant une plus-value à ses clients.

Aujourd’hui l’intelligence informatique a décidé de s’intéresser, puis de s’attaquer à la fois aux tâches complexes administrées par des êtres humains, et enfin à la modélisation des comportements humains. Nous sommes ainsi passés de la mécanisation des gestes à la mécanisation de l’intelligence. Une nouvelle ère se dessine celle de l’IA.

L’intelligence artificielle (IA)

L’IA est ainsi une méthode qui combine à la fois la puissance informatique et les algorithmes mathématiques
L’invention du concept « d’intelligence artificielle », nous le devons à John Mc Carthy (Mathématicien (1927- 2011), il est le concepteur d’un algorithme d’évaluation jouant un rôle majeur dans la programmation de l’intelligence artificielle), un mathématicien qui est l’un des pionniers du dispositif d’algorithmes « d’évaluation » utilisés dans la programmation. Particulièrement inventif John Mc Carthy est l’auteur d’un nouveau type de langage informatique qui a permis de formaliser la logique et le raisonnement sous forme d’un programme d’instructions.

L’IA est ainsi une méthode qui combine à la fois la puissance informatique et les algorithmes mathématiques, une puissance de calcul pour résoudre des problèmes à forte complexité.

Dans les médias l’IA est souvent décrite comme une réplique du cerveau humain, souvent définie comme une forme d’imitation cognitive des facultés humaines.

Réduite à l’imitation, l’IA reste un artefact de modélisation du cerveau humain.

Imitation ou réplique, l’homme n’a-t-il pas toujours eu le rêve de Pygmalion, ou celui de Mary Shelley dans Frankestein ou le Prométhée moderne, de créer cet autre soi, un narcisse à l’envers qui contemple sa créature avec fierté ? Est-ce le créateur qui a du génie ou la créature ? S’il suffisait de donner des connaissances à un ordinateur pour qu’il devienne Mozart ou les Beatles, serait-on en train de créer des génies, ou de pâles processeurs froids, capables de produire des suites de notes ? Ce serait là un sommet du narcissisme : créer un robot qui réplique Mozart ! En même temps, une suite de calculs de probabilités, est-ce cela le vrai génie, celui qui touche l’âme ? Si on pouvait créer des « robots Bach », l’ego humain serait flatté, mais le «  génie » ne peut se calculer… ni même se programmer, c’est une suite d’accidents, de télescopages, de douleurs et de solitudes qui enfantent les génies.

Mais nous reviendrons de manière critique dans l’écriture de cette chronique sur la notion même d’IA, nous étaierons et argumenterons nos réserves en ce sens qu’une puissance de calcul ne saurait être assimilée à la faculté de penser, de discerner. Il convient pourtant de revenir à l’émergence de ce concept d’IA et de comprendre en quoi, il fascine tant les milieux scientifiques et même économiques.

En 1955 comme le rapporte l’article Interstices,

« Newell et Simon conçoivent un programme (Logic theorist) qui permet de démontrer automatiquement 38 des 52 théorèmes du traité Principia Mathematica d’Alfred North Whitehead et Bertrand Russell (1913). C’est un résultat majeur et extrêmement impressionnant pour l’époque, puisque pour la première fois, une machine est capable de raisonnement. On considère légitimement ce programme comme la toute première intelligence artificielle de l’histoire. Quelques années plus tard, Newell et Simon vont généraliser cette approche et concevoir le GPS — General Problem Solver — qui permet de résoudre n’importe quel type de problème, pour peu que l’on puisse le spécifier formellement à la machine. À cette même époque, d’autres chercheurs vont défricher les domaines de la traduction automatique, de la robotique, de la théorie des jeux, de la vision. »

Les champs d’investigation de l’IA par capillarité vont dès lors s’étendre à une multitude de domaines scientifiques, de dimensions sociales et économiques permettant de couvrir des terrains infiniment complexes et qui touchent apparemment à « l’intuition aux capacités de créativité » de l’être humain.

Sur ce registre des IA le calculateur informatique Alphago avait battu en mars 2016 Lee Sedol, un des meilleurs joueurs mondiaux du jeu de GO, devenant ainsi le premier programme battant un joueur classé au niveau maximal (9e dan professionnel).

La spécificité (ou la singularité) du dispositif Alphago est d’utiliser un langage informatique, des algorithmes qui lui permettent notamment de renforcer l’auto-apprentissage de la machine.

C’est ce qui permet de souligner la dimension d’IA développée dans cette machine qui serait ainsi en partie dotée «d’intuition et de créativité»
Pour résumer et faire simple, c’est ce qui permet de souligner la dimension d’IA développée dans cette machine qui serait ainsi en partie dotée « d’intuition et de créativité ». Les guillemets ici soulignent notre prudence, les composants technologiques n’ont pas d’équivalent avec l’intuition et la créativité d’un être humain, même si l’homme n’a pas les capacités de calculs de la machine, il reste doté d’esprit et de créativité, ce qui me semble être le propre de l’homme. La machine n’ingurgitant que des programmes et des instructions communiquées par l’homme. L’IA n’a je le répète, ni âme, ni esprit, ni même d’intuition et pas davantage de discernement et de sensibilité.

Une IA peut en effet calculer une probabilité d’événements, choisir entre des événements une orientation possible, ce qui est ainsi le cas d’un GPS qui calcule un itinéraire, éventuellement le recalcule en prenant en compte des circonstances, voire des imprévus comme bouchons ou accidents. Mais pourtant, le GPS reste incapable de juger et évaluer, car juger et évaluer, c’est faire appel à la raison dans sa fonction de discernement prenant en compte l’état de fatigue du chauffeur, le libre arbitre, son humeur, la gestion du temps, l’empressement ou non, l’envie d’un détour, d’une halte, d’une visite. Or une IA peut-elle avoir du discernement, être dotée d’une vision systémique qui prend en compte le désir, l’humeur, le besoin ? Une intelligence artificielle n’accomplit par définition que des tâches mécaniques, qui relèvent de la logique déductive, mais dénuées de toute intuition et de toute pensée réelle.

Dans ce contexte de mécanisation des facultés cognitives, l’être humain pourrait-il à ce point se laisser déposséder par la machine, se laisser déposséder de sa raison, y compris de sa propre conscience ?

Les dérives de l’intelligence artificielle

Les progrès scientifiques et les retombées technologiques sont la résultante d’un « donné » transmis par Dieu à sa créature. Mais si les avancées du génie humain sont étonnantes, elles ne nous surprennent pas en raison même de l’intelligence dont fait preuve l’être humain pour transformer la matière, combiner et inventer à partir des éléments qui constituent la planète.

Certains imaginent que des diagnostics médicaux pourraient être effectués par des machines
Dans cette perspective le monde industriel n’a cessé d’évoluer, l’industrie est en effet aujourd’hui dominée par l’automatisation, tout comme elle le sera demain par l’IA. Les robots viennent en effet assembler, visser, souder, déplacer des composants, fabriquer des éléments ! Dans le domaine médical, certains imaginent que des diagnostics médicaux pourraient être effectués par des machines dotées de capacités infiniment plus performantes que l’être humain.

Dans sa dernière encyclique Laudato’Si, le pape François proposait une lecture des progrès accomplis par l’humanité mais le prélat a lancé une forme d’alerte :

« les progrès scientifiques, les plus extraordinaires, les prouesses techniques les plus étonnantes… s’ils ne s’accompagnent d’un authentique progrès social et moral, se retournent en définitive, contre l’homme ».

Sur un même registre d’inquiétude, des scientifiques comme Stephen Hawking et les professeurs en sciences informatiques Stuart Russel, les professeurs du MIT Max Tegmark et Fran Wilczek ont sonné l’alarme à la suite des dernières évolutions connues dans le domaine de l’IA.

« L’IA pourrait être la pire erreur de l’Histoire de l’humanité »

D’autres comme Bill Gates le père de Microsoft et Stephen Hawking, associés à plusieurs scientifiques, ont manifesté leur vive crainte, en indiquant que « l’IA pourrait être la pire erreur de l’Histoire de l’humanité » ... « Ces ordinateurs pourraient devenir si compétents qu’ils nous tueraient par accident », en quelque sorte un pas de plus vers le transhumanisme, le rêve caressé de la société Google. C’est en tout cas ce que le célèbre physicien Stephen Hawking a affirmé dans une tribune pour le quotidien britannique The Independent.

Aux yeux de Stephen Hawking, nous serions comme aveuglés par le progrès et l’innovation, nous aurions fait l’impasse des limites « éthiques » et des garde-fous nécessaires au développement d’une telle technologie.

Alors faut-il s’inquiéter des développements et des formes nouvelles que revêt cette figure singée de l’IA. En premier lieu j’aimerais préciser à nos lecteurs que le fruit de cette conception de haute technologie est l’épilogue de l’intelligence humaine, en conséquence, le génie est ici purement humain, le concepteur d’Alphago : Demis Hassabis.

Le grain de sable et l’intelligence artificielle

Néanmoins il convient de noter à l’instar de la réflexion partagée par Stephan Hawking, de la nécessité d’avoir finalement quelques réserves sur le développement d’une société dont l’organisation sociale serait confiée à la seule technicité. Jacques ELLUL théologien protestant, déjà cité dans de nombreuses chroniques publiées par Info Chrétienne, auteur de plusieurs livres sur la technicité rappelait que la technique dans toutes ses dimensions n’est plus un instrument docile, un simple moyen : « elle a maintenant pris une autonomie à peu près complète à l’égard de la machine »: obéissant à ses propres lois, Jacques Ellul souligne ainsi que la technicité deviendra (est devenue) le principe d’organisation de toutes nos sociétés.

Les nombreux essais sur la technicité, écrits par Jacques Ellul étaient quasi prémonitoires

Les nombreux essais sur la technicité, écrits par Jacques Ellul étaient quasi prémonitoires, aujourd’hui il faut aussi avoir conscience sur ce registre de l’envahissement des machines et de l’IA, , que les salles de marchés sont dominés par les algorithmes mathématiques, les ordres d’achat et de vente sont passés par des machines. La machine informatique dans les salles de marchés a ainsi acquis sa propre autonomie et ne met nullement le monde à l’abri de probables dérapages et de krachs boursiers comme ce fut le cas lors du Krach éclair du 6 mai 2010. Ce que rappelle Caroline Joly chercheure associée à l’Institut de Recherche et d’informations socio-économique dont nous citons l’extrait d’une de ses réflexions à propos de l’intelligence artificielle et des systèmes informatiques de plus en plus sophistiqués.

« Ce faisant, … les systèmes informatiques dotés d’IA… adoptent des comportements difficiles à prévoir et, par conséquent, risqués. Comme ces robots traders sont tous connectés entre eux en réseau, dans un système financier global et informatisé, leurs actions – qu’elles relèvent d’une erreur d’encodage ou qu’elles soient fortuites – peuvent dès lors contaminer tout le système, dans une réaction en chaîne échappant au contrôle humain. C’est exactement ce qui s’est produit lors du krach éclair du 6 mai 2010»

Nous avons extrait la citation de Iris Recherche.

Ce fut le grain de sable qui grippa en quelque sorte la mécanique de l’intelligence artificielle.

Intelligence artificielle, robotisation de la société et conséquences sociales.

Une nouvelle génération de robots émerge et devrait posséder des capacités accrues d’apprentissage, et d’autonomie, outre l’essor comminatoire de l’IA ce dont il faut aussi s’inquiéter, c’est le développement alarmant des robots dotés d’IA.

La fin du XXème siècle et le début du XXIème siècle ont vu la quasi automatisation des milieux industriels, dont les gestes répétés accomplis autrefois par des opérateurs le sont aujourd’hui par des machines.

En Chine communiste, un industriel a décidé en 2015 de confier toutes les taches de fabrication et d’assemblage à des robots, seuls les techniciens hautement qualifiés et les ingénieurs qui assurent les tâches de maintenance et de programmation seront maintenus.

Ailleurs au Japon c’est une usine qui a confié sa ligne d’assemblage de pièces à des humanoïdes. Des robots qui feraient en quelque sorte les 3X8, une entreprise qui ne craindrait plus ainsi les menaces de grève, les défaillances de l’homme dues à ses congés et autres maladies.

Notons les arguments très « humanistes » de la direction de cette entreprise japonaise qui souhaitent confier à la machine des tâches subalternes afin de « libérer » les ouvriers pour des tâches valorisantes.

« Nous voulons libérer l’homme des tâches subalternes et répétitives pour qu’il puisse se concentrer sur des travaux créatifs et générateurs de valeur ajoutée ».

Derrière ces discours en apparence vertueux et intentionnés, ce sont plusieurs milliers d’emplois qui ont été supprimés

Derrière ces discours en apparence vertueux et intentionnés, ce sont plusieurs milliers d’emplois qui ont été supprimés dans ces usines et c’est bien là, la réalité cynique, froide et impassible du monde industriel pressé par l’efficience économique et les mondes des économies numériques, de la digitalisation, de l’ordinisation généralisée de la société.

Dans son livre le Capital, Karl Marx, indiquait que la réduction de la journée de travail serait la condition fondamentale de la libération de l’homme. L’humanisme marxiste avait alors une conception très critique du rapport de l’homme à la machine, au fond dans cette pensée marxiste, l’accomplissement de l’homme, son épanouissement ne pourraient être rendus possible et ne seraient assurés que si la machine affranchissait l’homme de « l’aliénation » que lui faisait subir l’outil industriel.

Dans le même esprit le philosophe Simondon indiquait qu’il « fallait permettre à l’homme de surveiller la machine de la réparer au lieu d’être son auxiliaire, d’être contraint, d’être soumis à son rythme ». Or nous nous voyons là tout un glissement de la société qui prône le développement d’une économie numérique, d’une robotisation qui viendra à libérer l’homme de l’assujettissement lié à des tâches jugées aliénantes et non épanouissantes.

De fait nous sommes nuancés concernant l’optimisme « humaniste » de Marx.

De fait nous sommes nuancés concernant l’optimisme « humaniste » de Marx. Ainsi le remplacement de l’homme par des machines capables d’exécuter des tâches répétitives pour le libérer puis lui permettre de se consacrer à des tâches plus valorisantes ou intellectuellement supérieures semble a priori légitime. Idéalement ce serait même admirable mais le système scolaire engage le cheminement inverse, celui du nivellement vers le bas, de plus en plus d’élèves en troisième et en quatrième, ne savent justement plus faire de simples opérations arithmétiques et construire une pensée structurée. En outre, et il convient de souligner cette autre réalité, des centaines de milliers de personnes sans qualifications requises ne sont pas en mesure d’exercer des emplois hautement qualifiés. Au cours de ma vie professionnelle j’ai rencontré des entreprises qui m’indiquaient ne plus rechercher des opérateurs de niveau CAP, mais des opérateurs de niveau BTS.

Alors la réflexion qui consisterait à penser qu’un revenu universel minimal pourrait être une solution à imaginer pour répondre aux problématiques d’une civilisation libérant l’homme des contraintes d’univers industriels serait juste une fadaise. Le travail est en effet socialement structurant même si ce dernier n’est pas toujours valorisant  comme la pénibilité qui parfois caractérise le monde du travail . Mais savoir être à l’heure, se discipliner, se responsabiliser, le monde du travail nous l’enseigne... La machine libérant l’homme lui enseignera-t-elle cette dimension de la vie sociale... nous posons une question essentielle qu’il convient d’explorer à l’heure où justement nous assistons à une montée des violences au sein de la société !

La robotisation comme l‘intelligence universelle infèreront à terme la disparition des activités humaines

Nous entendons des discours railleurs pour dénoncer les positionnements technophobes

Or nous entendons des discours railleurs pour dénoncer les positionnements technophobes et les relativiser. Ainsi les discours technophiles défendent le développement de l’économie numérique, laissent croire finalement qu’il n’y a pas grand-chose de commun avec le monde de la robotisation. Or il s’agit bien d’un même monde. Si en effet l’économie numérique induira des emplois de production supplémentaires en supprimant les activités intermédiaires, il est fort probable que la robotisation infèrera à terme la disparition des activités humaines qu’elle avait générées. Nous l’expliquons à travers ce simple exemple pour démontrer l’absurde de l’économie numérique.

Ainsi la société Uber qui a été largement contestée et désavouée par les compagnies de taxis puis l’objet de commentaires multiples dans tous les médias, propose un service de co-voiturage urbain rendant plus facile l’usage d’une voiture avec chauffeur sans avoir recours à une compagnie de taxis. Le développement d’une telle activité de co-voiturage urbain aura nécessairement des effets néfastes sur les emplois au siège des compagnies de taxis, mais il y aura selon les défenseurs optimistes et insouciants de l’économie numérique, « au total, davantage de postes de professions de chauffeurs ».

Ainsi, selon les mêmes tenants de l’économie numérique, l’emploi dans le transport sera développé et de plus grande valeur ajoutée. Certes, mais à terme cet argument ne tient pas et l’on peut imaginer finalement le développement non utopique de véhicules sans chauffeurs, ces fameuses Google Car testées à l’échelle de certains pays.

Ces concepts de voitures sans chauffeurs, dotés d’IA ont eu d’autres prolongations technologiques, concepts technologiques qui ont ainsi vu l’émergence de bus et de navettes sans conducteurs.

Le mariage de la robotique et de l’IA ouvre et offre des perspectives fascinantes mais inquiétantes.

Le mariage de la robotique et de l’IA ouvre et offre des perspectives fascinantes mais inquiétantes, ainsi des équipes d’ingénieurs font explorer à leurs machines, des environnements dans lesquels ces machines auront à évoluer, des environnements (routes, usines, entrepôts…) les explorer librement en apprenant de leurs échecs jusqu’à apprendre le bon cheminement, le bon mouvement. Les ingénieurs travaillent aussi avec ces machines sur les capacités d’auto apprentissage en imitant le fonctionnement d’un cerveau humain. Les résultats sont bien là, le péril que fait peser l’IA, qui pourrait prendre le pas sur l’humain est réel mais interroge l’absurdité de cette entreprise qui confierait le sort de l’humanité entre les mains de robots « humanoïdes ».

Le développement de l’IA forme de gouvernement des bureaux et début d’une dégénérescence déshumanisante qui aliène l’homme.

Or le développement de l’IA évolue en grande partie avec le développement de la dimension normative et bureaucratique de notre société. Cette dimension normative gagne toute la société, installe un rapport prégnant et dominant de la technicité dans la recherche de solutions se faisant au détriment de la réflexion, de l’intelligence et du cœur. En quelque sorte, le développement rationaliste de la société via la norme, nouvelle forme de catéchisme induit son absorption par la machine ; elle alimente l’IA... La norme devient en quelque sorte la nourriture rationnelle de l’IA... La preuve si besoin en est, tient au « temps » que consacrent ceux dont le métier était davantage ancré dans la relation, dans l’intelligence et qui s’obligent car ils y sont tenus, à passer du temps devant leurs écrans pour remplir des notes ou consulter la machine pour valider les choix qui seraient à faire. Une société techniciste, société qui peu à peu se déshumanise pour valoriser les écrans, les tâches de la bureaucratie et celle bientôt d’une IA qui deviendra demain le gouvernement des bureaux, le produit d’une dégénérescence qui aliène l’homme.

L’intelligence artificielle reste un programme inerte, sans vie, sans faculté de créer et d’engendrer

« Etre intelligent, c’est faire le bien »

Lorsque j’étais jeune étudiant, j’interrogeais un ami achevant ses études de psychologie et je l’interrogeais lui demandant ce que signifiait selon lui l’intelligence, sa réponse a été simple mais étonnante, elle m’a fait pointer l’essence même de la vie. « Etre intelligent, c’est faire le bien », une autre citation dans le contexte de notre réflexion qui rejoint la précédente est celle de Jiddu Krishnamurti :

« Savoir, c’est, ne pas savoir, et comprendre que jamais le savoir ne peut résoudre nos problèmes humains, c’est l’intelligence ».

Au fond toute notre réflexion sur l’IA et à l’instar des deux précédentes citations, nous font en quelque sorte penser à une mythologie très ancienne « le rêve d’Icare ». Toute l’histoire mythologique d’Icare découle de celle de son père Dédale.

Dédale était un artisan athénien dont le nom signifiait  » l’ingénieux ». Pour avoir trahi son protecteur le roi de Crète, Dédale et Icare son fils furent enfermés dans le même labyrinthe qu’il conçut plusieurs années auparavant. Toute évasion par voie terrestre était totalement inimaginable, pour s’en échapper il fallait concevoir un autre stratagème. Ils conçurent le fameux fil d’Ariane, puis pour s’échapper par les aires du lieu où ils étaient enfermés, ils fixèrent respectivement des ailes à leurs dos au moyen de cires mais avec la recommandation de ne pas s’élever trop haut de peur que la chaleur ne fasse fondre la cire. Icare désobéit à cette recommandation rappelée par son père, étourdi, grisé par sa toute nouvelle puissance, il s’éleva vers le soleil. Comme il s’en approchait, la cire de ses ailes fondit, et il fut précipité dans la mer.

Les ailes sont le symbole de l’envol, de l’immatériel un peu comme le monde numérique, de l’élévation vers la divinité, mais à prétendre s’approcher des sommets du monde virtuel, on finit par dévaler, et par descendre rapidement de son piédestal.

Comme me l’écrivait un ami « Pour 20 ou 30 mégaoctets de mémoire, nous pouvons télécharger un logiciel de retouche photo, et transformer n’importe quel portrait en un tableau de Cézanne, alors que nous ne sommes pas Cézanne ! L’exploit des informaticiens est remarquable il faut en convenir, mais enfin il a tout de même fallu que Cézanne leur inspire l’idée, que ni eux ni leurs ordinateurs n’auraient été capables de trouver ! - et Cézanne, c’était un être humain, ni IA ni robot... »

L’IA n’est donc pas l’intelligence mais plutôt une performance, n’est pas la raison mais un processus rationnel; une technologie dotée d’une puissance de calculs et de combinaisons, mais qui reste en réalité un artefact.  L’artificiel en effet n’est ni capable d’engendrer, ni de croitre, l’artificiel est une production mais éloignée du monde vivant, l’artificiel est un corpus organisé de connaissances, de savoirs, de programmes, l’artificiel dépendra toujours de son auteur mais n’a ni âme, ni vie, ni même discernement.

Ainsi il existe une différence fondamentale entre l’IA  et un être humain

Ainsi il existe une différence fondamentale entre l’IA  et un être humain, en nous inspirant du philosophe Kant, par analogie, nous pourrions dire qu’une machine ne saurait donner la vie à d’autres machines  : « Dans une montre, une partie est l’instrument du mouvement des autres, mais un rouage n’est pas la cause efficiente d’un autre rouage ; une partie est certes là pour l’autre, mais elle n’est pas là par cette autre partie » ( Citation extraite de la, Critique de la faculté de juger Kant). La vision de Kant est ainsi loin d’une vision purement mécaniste, d’une vision matérialiste, le vivant pour Kant s’organise lui-même, le vivant a sa propre spontanéité, son propre projet. L’être humain ne saurait être ainsi réduit à une forme d’engrenage, l’être humain est libre de se mouvoir, sans être déterminé, ni programmé.

Kant, réaffirme ainsi l’essence même de l’homme comme porteur d’un projet : l’être humain est effectivement un être organisé s’organisant lui-même. Le philosophe pensait ainsi que le modèle de la machine ne pouvait imiter certaines propriétés caractéristiques de la vie (comme l’auto-organisation, la capacité de se réparer, de s’autoréguler), mais certaines machines cybernétiques (comme le thermostat) sont aussi capables d’autorégulation, Mais là encore, ces machines ne peuvent le faire que dans le cadre d’une programmation préalable qui résulte de l’intervention du concepteur du thermostat.

Or l’IA résulte d’une programmation même si la faculté a été donnée à la machine d’auto apprendre, l’IA ne doit son existence et sa programmation qu’à l’inventivité, au savoir-faire d’un ingénieur, tout simplement d’un être humain.

L’être humain doté de conscience n’est pas ainsi une machine, une matière inerte, un humanoïde, l’homme est un être organisé qui s’organise lui-même, capable de soins, d’engendrer, capable de sensibilité, de s’émouvoir, de se transcender, de se dépasser et de reconnaitre l’existence du Créateur. Mais en se confiant dans la machine sans conscience, l’homme risque bien pour plagier François Rabelais de ruiner son âme.

 Éric LEMAITRE l’auteur de cette chronique remercie Bérengère Séries pour cette relecture vigilante et sa contribution à cette réflexion, remercie également Charles Éric de Saint Germain philosophe et auteur du livre « Ecrits philosophico-théologiques sur le christianisme » pour l’échange nourri enrichissant cette chronique.


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