L’aventure du CERN

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Genève, 29 septembre 1954. Les cendres du conflit le plus meurtrier de l’humanité sont encore fumantes. Alors que les plus grandes capitales européennes sont en ruine, un rideau de fer balafre le vieux continent qui a vu naître la science.

Berlin et Londres sont méconnaissables, l’agriculture est exsangue, l’Europe de l’Ouest est sous perfusion. C’est dans ce contexte qu’un physicien italien, Edoardo Amaldi, et un prix Nobel français, Louis de Broglie vont faire la plus folle des propositions : réunir les frères ennemis d’hier autour d’un projet de recherche commun, afin de renouer avec l’excellence scientifique perdue au profit des USA et de la Russie qui ont profité de la fuite colossale de nos cerveaux. Ce projet complètement fou prendra la forme du plus grand accélérateur de particule au monde, sous le nom de Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire, ou CERN.

Et dire qu’en 1939 Frederic Joliot-Curie et sa femme Irène, dans leur laboratoire d’Ivry étaient à deux doigts de maîtriser la fission de l’uranium. Ils avaient compris que ralentir des neutrons était la clef pour enrichir l’uranium et ouvrir la voie à la production industrielle d’énergie nucléaire. Frédéric avait obtenu l’achat à la Norvège de leurs ressources totales en eau lourde, le ralentisseur de neutrons le plus efficace à l’époque, juste avant son invasion par l’Allemagne en 1940. Mais dans la foulée, les Allemands marchent sur Paris. Malgré la panique générale, Frédéric garde la tête froide et expédie toute son équipe en sécurité au Canada après un périple épique, digne des plus grands romans d’espionnage. C’est cette équipe, avec son matériel qui mettra au point le premier réacteur nucléaire canadien, alors que Frédéric Joliot-Curie entre dans la résistance en France.

Entre-temps, le projet Manhattan a vu le jour, Hiroshima et Nagasaki ont vu la nuit, les Etats-Unis sont devenus les maitres de l’énergie nucléaire. La France quant à elle, occupée et humiliée a vu ses recherches gelées et a perdu son leadership. En août 1949 l’explosion de la première bombe atomique russe prend de court les USA et change la donne. Les Américains prennent conscience de la possible fuite de cerveaux européens vers l’URSS et acceptent alors l’idée d’un laboratoire commun. La France semblait être l’endroit rêvé pour l’installer, mais les accointances communistes de Joliot-Curie refroidirent les Américains. Un compromis sur Genève, ville neutre, fait son chemin, et le 29 Septembre 1954, la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, la République Fédérale d’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse et la Yougoslavie, frères ennemis d’hier, ratifient la convention constituant l’acte de naissance du CERN.

Mais qu’est-ce qu’un accélérateur de particules? C’est un appareil qui… accélère les particules, à des énergies colossales correspondant à 14 millions de fois l’énergie solaire pour la version actuelle du CERN, en faisant tournoyer des protons de plus en plus vite jusqu’à atteindre la vitesse de la lumière dans des anneaux de 27 kilomètres, et provoquant leur collision en 4 points d’interactions où sont placés des détecteurs de 7000 tonnes, 3000 kilomètres de câbles, 45 mètres de haut afin de capturer les particules nouvelles, produites au cours de ces collisions. Oui, j’ai bien dit « nouvelles ». En effet, d’après la formule d’Einstein E=mc2, il est possible de transformer de l’énergie cinétique pure (E) en masse (m) et retrouver ainsi les conditions de température de l’Univers quelque 0,000000000001 seconde après le Big Bang, recréant ainsi le zoo des particules qui existaient à l’époque et qui se sont désintégrées depuis. C’est le graal de l’alchimiste.

Depuis, au CERN, ont été créées des centaines de nouvelles particules, dont le fameux boson de Higgs, générateur de la masse, de même que les bosons W et Z unifiant les forces nucléaires faibles et électromagnétiques (chacune donnant lieu à des prix Nobel de physique). C’est ainsi qu’a été atteinte la plus grande concentration d’énergie jamais créée par l’homme, à la température la plus froide, avec les champs magnétiques les plus grands. Bref, le CERN est une pépinière de records. Notez que c’est aussi au CERN qu’a été développé le protocole World Wide Web (www.) à l’origine pour transmettre les données entre laboratoires. Désormais, on y recherche les dimensions supplémentaires d’espace-temps, des particules dites supersymétriques prédites par la théorie qui unifie l’infiniment grand et l’infiniment petit, et pourquoi pas recréer de toutes pièces la matière noire, cette mystérieuse particule qui compose 85% de notre Univers.

Le CERN se visite, et je vous promets une véritable émotion devant ce bijou de technologie qui a permis au vieux continent, au sortir d’une guerre aussi meurtrière qu’absurde, de relever la tête, et de devenir le centre mondial de la physique des hautes énergies, attirant à Genève les spécialistes mondiaux du domaine qui tous rêvent de faire partie de cette incroyable aventure européenne.

Janus Maat

Source : CERN

Cet article est publié à partir de La Sélection du jour.


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