Khalil Sayegh vivait dans l'angoisse pour sa famille réfugiée dans la sécurité toute relative des églises de Gaza en guerre, où aucun endroit ne semble épargné par les combats. À quelques jours de Noël, il a appris le décès de son père.
M. Sayegh vit aux Etats-Unis. Lundi, ses parents et une de ses sœurs avaient pris abri dans l'Église catholique de la Sainte-Famille de la ville de Gaza, celle-là même où une mère et sa fille avaient été tuées samedi dernier par des tirs israéliens, d'après le patriarcat.
Jeudi, M. Sayegh a appris que son père était décédé dans l'église, faute de médicaments et de suivi médical, le système sanitaire étant à terre surtout dans le nord de la bande de Gaza, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
"Je l'ai appris par un proche à Ramallah (en Cisjordanie occupée), informé par un prêtre", dit au téléphone l'homme de 29 ans, qui n'a pas pu parler directement avec les autres membres de sa famille.
Les nouvelles en provenance de Gaza sont particulièrement difficiles à obtenir depuis le début de la guerre, le 7 octobre. Les télécommunications sont largement coupées, tout comme l'approvisionnement en électricité.
"Il se passe des jours entiers sans que nous ayons des nouvelles. Nous vivons dans la peur et l'incertitude, on ne sait pas s'ils sont vivants ou non, s'ils ont faim ou s'ils sont nourris, s'ils ont de l'eau", se désole M. Sayegh.
Selon le gouvernement du Hamas au pouvoir à Gaza, plus de 20.000 personnes ont été tuées en deux mois et demi dans des frappes israéliennes menées en représailles à l'attaque sanglante du mouvement islamiste, qui a fait environ 1.140 morts, d'après les autorités israéliennes.
Environ 85% de la population de Gaza, soit 1,9 million, est déplacée, d'après l'ONU.
Des souffrances inimaginables
Le pape François a déploré que "des civils sans défense (soient) la cible de bombardements et tirs", après la mort le 16 décembre de deux femmes réfugiées dans l'église de la Sainte-Famille. Israël a affirmé que des guetteurs pour le compte du Hamas se trouvaient dans le secteur.
Une autre sœur de Khalil Sayegh et sa famille sont réfugiées dans l'église Saint-Porphyre de la ville de Gaza, touchée par une frappe le 19 octobre. Elle a donné naissance à un garçon, Khader, pendant la trêve d'une semaine ayant pris fin début décembre et donné un peu de répit à la population.
"Je n'ai pas vu de photo. Tout ce que je sais c'est qu'il existe", dit Khalil Sayegh à propos de son neveu.
Selon des responsables chrétiens à Gaza, ils ne seraient plus qu'un millier à vivre aujourd'hui dans le territoire palestinien, la plupart orthodoxes, contre plus de 7.000 avant 2007 et la prise de pouvoir du Hamas suivi d'un blocus israélien.
À Washington, la vie de Khalil Sayegh semble s'être arrêtée.
"Je ne peux pas travailler normalement, à 100%. La seule chose qui me fait avancer c'est de parler de ce qui se passe, me rappeler que les gens de Gaza n'ont pas de voix", confie à l'AFP cet analyste politique.
"L'espoir semble loin et hors de portée", ont regretté les patriarches et chefs d'Eglises à Jérusalem jeudi dans leur message de Noël. "Depuis plus de deux mois et demi, la violence de la guerre a conduit à des souffrances inimaginables pour littéralement des millions de personnes dans notre chère Terre sainte".
Noël
Tous les trois, quatre jours, une religieuse du Saint-Rosaire de Jérusalem parvient à s'entretenir avec deux consœurs de sa communauté, réfugiées dans l'église de la Sainte-Famille.
"Tout ce qu'elles disent c'est qu'elles vont bien, qu'il faut prier pour elles", dit-elle, préférant taire son nom.
"Personne n'a pris de douche depuis deux semaines. La situation est misérable", se désole-t-elle toutefois.
"Il y a de la nourriture, de l'eau et de l'électricité mais seulement pour quelques jours donc ils essayent d'économiser", abonde le père Ibrahim Nino, du patriarcat latin à Jérusalem.
Malgré tout, les déplacés "célébreront la messe de Noël", dit-il.
Khalil Sayegh, lui, n'a pas le cœur à la fête.
"Tu penses à (Noël) et tu rappelles que ta famille vit un moment très difficile. Je me sens vidé et épuisé".
"Je me réjouis seulement du fait que Dieu soit parmi nous", dit-il. "Il sent la douleur du peuple, de tous, pas que des chrétiens mais de tous les gens à Gaza qui connaissent faim, mort et destruction".
La Rédaction (avec AFP)