Loi sur le délit « d’entrave numérique à l’IVG » : une décision profondément liberticide et mortifère

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Du prétendu « droit à l’avortement » à la loi sur le « délit d’entrave numérique à l’IVG » . Lors de la primaire de la droite, le débat sur l’avortement a été remis sur le devant de la scène, notamment en vertu des convictions personnelles présumées de François Fillon. Bien qu’il n’ait jamais personnellement remis en cause l’avortement, estimant seulement – à la suite de beaucoup d’hommes politiques qui se trouvent piégés par le faux dilemme weberien « éthique de la conviction » versus « éthique de la responsabilité » –  que ses convictions intimes et personnelles ne devaient pas intervenir dans le débat public, il eut été peut être plus inspiré de répondre à Alain Juppé que cette question n’était sans doute pas « anodine » à l’heure où un véritable « fanatisme de l’avortement » semble se développer au sein d’un gouvernement où les féministes font la loi.

En effet, la loi sur le « délit d’entrave numérique », voulue par Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, et visant à faire obstruction aux sites proposant des alternatives à l’avortement, est en passe d’être votée. L’assemblée nationale pourrait donc décider de considérer comme un « délit » le fait de proposer, sur des sites non agréés par l’Etat, des aides destinées seulement à éclairer le choix des femmes. La ministre, Madame Rossignol, ciblait dans cette loi les sites internet ouverts à l’accueil de la vie, qu’elle qualifiait de « manipulateurs ». Remarquons d’emblée que ce délit d’entrave a ici quelque chose d’assez « paradoxal » : le délit d’entrave est, en effet, une notion relevant du droit du travail, qui condamne le fait d’empêcher ou de gêner, d’entraver, l’élection de délégués ou représentants du personnel. Or en l’occurrence, n’est-ce pas cette loi qui gêne ici la circulation de l’information, et non ceux qui souhaitent porter l’information au plus grand nombre ? On semble bien être ici dans une dynamique de l’absurde !

Sans doute faut-il voir dans cette décision liberticide une conséquence de la promotion d’un véritable « droit à l’avortement », et ce, en complète contradiction avec la loi Veil

Sans doute faut-il voir dans cette décision liberticide une conséquence de la promotion, par cette même assemblée il y a deux ans, d’un véritable « droit à l’avortement », et ce, en complète contradiction avec la loi Veil (Simone Veil ayant d’ailleurs elle-même vigoureusement protesté contre cette dénaturation de sa loi, sa voix n’ayant, semble-t-il, guère été entendue). La loi Veil, il convient de le rappeler, ne considérait l’avortement que comme un acte dépénalisé dans une situation de détresse objective, ce que certains sont tentés de justifier parfois comme un « moindre mal ». L’invocation de la notion de « moindre mal » pour justifier l’avortement est déjà sujette à débat, car quel est ici le mal « pire » que l’avortement permettrait d’éviter ? Cet acte n’étant pas moralement justifiable, il serait plus judicieux de parler de « tolérance » à l’égard d’un mal que l’on renonce à sanctionner.

Mais avec le délit d’entrave numérique, nous passons désormais à la « vitesse supérieure » : il ne s’agit plus seulement de faire de l’avortement un « droit » (droit que l’on justifie souvent, de manière inepte, par un « droit de la femme à disposer de son corps », en oubliant de préciser, bien sûr, que ce n’est pas de son corps qu’elle dispose en l’occurrence lors d’un avortement), il s’agit avant tout d’interdire à une femme ayant pris la décision d’avorter de s’informer sur des sites susceptibles de remettre en cause son choix.

Pourtant, souligne Caroline Roux, coordinatrice des services d’écoute d’Alliance Vita, « la sacralisation d’un « droit à l’avortement » rend plus difficile de regarder objectivement la réalité de l’IVG ; ce sont des vies humaines qui sont en jeu et les femmes sont bien souvent soumises à des questionnements existentiels dans la solitude. (…) Nous avons constaté une détérioration de l’information sur l’IVG de la part des pouvoirs publics depuis une quinzaine d’années (…) Les femmes se retrouvent trop souvent confrontées dans la précipitation à une information uniquement technique sur la pratique de l’IVG. Alors que c’est un moment où elles sont soumises à des conflits intérieurs et extérieurs, les aides et le soutien pour poursuivre une grossesse sont bien plus difficilement accessibles. » En outre,

La culpabilité : sentiment «naturel» ou  produit de la culture judéo-chrétienne ?

Les principaux arguments utilisés seraient que ces sites conduisent à « culpabiliser » des femmes vulnérables

Face à cette lacune constatée dans l’information, de nombreux sites se proposent d’apporter une information plus complète, dont le seul objectif semble être d’aider les femmes confrontées à cette situation tragique à faire un choix le plus éclairé possible, y compris sur les conséquences psychologiques d’un avortement, en général passées sous silence. Les principaux arguments utilisés par les défenseurs de ce délit d’entrave numérique, on pouvait s’y attendre, seraient que ces sites conduisent à « culpabiliser » des femmes vulnérables et en situation de fragilité, en leur laissant entendre que l’avortement ne serait finalement pas un acte aussi « banal » et « anodin » qu’on voudrait nous le laisser croire.

Curieux renversement de la cause et de l’effet : ce qui serait ici en cause, si l’on en croit les partisans du délit d’entrave, ce ne serait pas tant l’acte lui-même, dont on refuse à tout prix de reconnaître le côté peccamineux, que la mentalité judéo-chrétienne (sorte de « bouc émissaire » qu’on aime volontiers charger de tous les maux aujourd’hui...) qui nous aurait « culpabilisés » à l’extrême, en nous habituant à considérer comme un « mal » ce qui n’est, somme toute, que la facilitation d’un acte que la nature accomplit parfois d’elle-même spontanément, en cas de fausse-couche ou de grossesse extra-utérine.

Concernant ce propos, si l’on reconnaît ici l’inspiration nietzschéenne, qui vise désormais à supprimer toute malignité à l’avortement (fut-ce à titre de moindre mal), il faudrait néanmoins se demander, en ce cas, pourquoi beaucoup de femmes ayant subi un avortement et n’ayant pas eu accès à une quelconque littérature judéo-chrétienne éprouvent une culpabilité alors même que l’entourage familial et médical a, au contraire, tout fait pour dédramatiser cet acte. Comme le souligne Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita :

« Pour notre part, nous constatons à quel point les femmes, mais aussi les couples, ont besoin, à tous les âges, d’être éclairés sur la réalité de l’avortement. Trop souvent, nous les entendons nous dire après coup « On ne m’avait pas dit… » (...) Nous demandons au gouvernement de garantir, sur son propre site, une information équilibrée, objective, plutôt que biaisée. Pourquoi dissimuler que, l’IVG interrompant une vie, cet acte ne saurait être banal ? Les femmes sont très majoritaires à vouloir l’éviter. »

Paul nous prévenait déjà que cette loi naturelle  » est inscrite dans le cœur « 

Nul doute que les chrétiens qui connaissent la Bible verront dans ce « regret » si souvent exprimé non pas un « sentiment culturel », le reliquat d’une mentalité judéo-chrétienne culpabilisante, mais plutôt un écho de la « loi naturelle », cette loi inscrite au plus profond de notre conscience. Paul nous prévenait déjà, en Romains 2, 15-16, que cette loi naturelle « est inscrite dans le cœur (des païens) et que leur conscience en témoigne également, ainsi que les jugements intérieurs de celle-ci qui tour à tour les accusent et les défendent ». Plutôt que de nier la réalité du mal en cherchant à étouffer toute culpabilité, ne serait-il pas plus judicieux d’en reconnaître la malignité, et d’en demander pardon à Dieu, lui seul pouvant apporter la libération et la guérison à ceux qui se repentent d’un cœur sincère et reconnaissent leurs péchés, comme en témoignent d’ailleurs de nombreuses femmes ayant rencontré Dieu après avoir vécu le « traumatisme de l’avortement » ?

De la logique du « pro-choice » (favorable au choix) à la logique du « pro-death » (hostile à la vie)

Toujours est-il que les sites qui proposent une alternative à l’avortement n’entendent pas « forcer » le choix des femmes (comment le pourraient-ils d’ailleurs, vu qu’ils ne font que répondre à une demande d’information qu’ils n’ont pas eux-mêmes sollicitée ?), mais seulement l’éclairer, et proposer éventuellement des alternatives, ce qui est la condition, semble-t-il, pour que le choix fait soit un choix réellement libre. Comme le précise à nouveau Tugdual Derville :

« Nous ignorons jusqu’où madame Rossignol entend contrôler l’information faite aux femmes ou aux hommes concernés, mais le fantasme d’une information officielle ne trompera personne (...) Faut-il attendre l’alternance pour voir enfin des responsables politiques s’engager en faveur de la promotion sans complexe des alternatives à l’avortement ? C’est le service que la plupart attendent depuis trop longtemps. »

Nous considérons que s’opposer à ce que les femmes puissent avoir accès à une telle information, aussi bien sur les conséquences d’un avortement que sur les éventuelles alternatives possibles, ce n’est pas promouvoir le « choix des femmes », comme le font aux Etats-Unis les défenseurs de l’avortement, les « pro-choice » (par réaction aux « pro-life », qui voudraient interdire l’avortement avec parfois des arguments justifiés, comme l’impossibilité de déterminer un seuil, dans la croissance continue de l’embryon, qui autoriserait à interrompre ce développement à tel stade pour l’interdire à tel autre), mais c’est opter sciemment et délibérément pour une culture de mort.

Une nouvelle étape semble ici franchie puisqu’au terme de cette logique, on finit par supprimer le choix lui-même !

Que cette « culture de mort » s’inscrive déjà dans la logique du « pro-choice », c’est un fait certes difficile à contester dès lors que la vie humaine en gestation n’est plus perçue comme sacrée, mais une nouvelle étape semble ici franchie puisqu’au terme de cette logique, on finit par supprimer le choix lui-même ! Faute d’informations suffisantes, on ne laisse finalement plus d’autres choix possible à la femme que celui de mettre fin à sa grossesse, et ce alors même qu’elle peut vivre des conflits intérieurs et se sentir encore hésitante. Or il faut pourtant remarquer, ainsi que l’observe Madeleine de Jessay, qu’aucun de ces sites incriminés « ne condamne ni ne conteste le recours à l’avortement.

Comme le soulignait Dominique Reynié, professeur à Sciences Po, dans une tribune remarquable d’objectivité, ‘sauf procès d’intention, on ne trouve pas sur les sites pointés une hostilité au droit à l’IVG ; aucune apologie de l’entrave à l’IVG, laquelle serait inacceptable’ ; de fait, leur objectif est moins de dissuader les femmes d’avorter que de leur permettre de poser un choix libre qui ne génère pas de regrets, notamment en leur fournissant une information que le site officiel du gouvernement se refuse obstinément à apporter sur les conséquences d’une IVG et les alternatives à l’avortement, au cas où la jeune femme hésiterait à garder son bébé, comme c’est souvent le cas.

Pour poser un choix libre, encore faut-il pouvoir initier une démarche de réflexion, de recul, de discernement ; ce que ces sites permettaient de faire, en complément salutaire du site officiel du gouvernement. Mais voilà: le gouvernement ne tolère pas qu’on puisse peser autre chose que le pour, de sorte que les intéressées n’auront bientôt plus ni liberté, ni droit à l’information. Ou comment maintenir les femmes dans une minorité dont on prétendait pourtant les extraire ». De quel côté se trouvent alors les défenseurs de la « liberté » de la femme ? Il faudrait poser sérieusement la question à Laurence Rossignol, dont on peut se demander si elle n’est pas en train d’inventer une nouvelle catégorie encore inédite, celle des « pro-death »...

Les politiques de prévention publique de l’avortement, une alternative nettement plus crédible à la tragédie de l’avortement

Ainsi, plutôt que de créer un délit d’entrave numérique à des sites visant à rendre réellement possible le choix de la femme, ne serait-il pas beaucoup plus judicieux, de la part des pouvoirs publics, d’agir en amont, par des campagnes de prévention visant à réduire le taux d’avortement ? Constatant le taux anormalement élevé d’avortements en France comparé aux pays voisins, c’est à cette fin que Grégory Puppinck, député au parlement européen, a lancé un appel à la prévention (mieux vaut prévenir que faire mourir !) qui va clairement dans ce sens :

« L’avortement, écrit-il dans sa pétition, a des conséquences indéniables, culturelles, démographiques, économiques et sociales considérables. 42 % des femmes ayant avorté avant l’âge de 25 ans vivent une dépression. La moitié des femmes mineures ayant avorté souffrent d’idées suicidaires. Les femmes qui avortent ont trois fois plus de risques de subir des violences physiques, mentales ou sexuelles que les femmes qui ont mené à terme leur grossesse. Selon un sondage IFOP de 2016, 89 % des Françaises reconnaissent que « l’avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes » et 72 % d’entre elles estiment que « la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l’IVG ».

« L’avortement n’est pas une fatalité ; de nombreux pays sont parvenus à en réduire le recours par des politiques de prévention. »

Mais par-delà ces constats très pessimistes, il ajoute que « l’avortement n’est pas une fatalité ; de nombreux pays sont parvenus à en réduire le recours par des politiques de prévention. (...) e le recours à l’avortement n’est pas seulement un devoir pour le bien des femmes, des enfants et de toute la société, c’est également une obligation contractée par la France en droit international. La France s’est en effet engagée à soutenir la famille, la maternité et les enfants « avant comme après la naissance », à « réduire le recours à l’avortement » et à « prendre des mesures appropriées pour aider les femmes à éviter l’avortement ».

Le Conseil de l’Europe a également invité les Etats européens « à promouvoir une attitude plus favorable à la famille dans les campagnes d’information publiques et à fournir des conseils et un soutien concret pour aider les femmes qui demandent un avortement en raison de pressions familiales ou financières » (APCE, 2008). Et chez les jeunes en particulier, oserai-je ajouter, ces « campagnes de prévention » ne devraient pas se réduire à l’utilisation de moyens contraceptifs facilitant une sexualité libérée avec de multiples partenaires (en vue de se préserver d’une éventuelle grossesse), mais l’information transmise devrait s’inscrire dans une perspective beaucoup plus large, cherchant à promouvoir une authentique « éducation sexuelle », c’est-à-dire visant aussi – pourquoi ne pas rêver ? - à l’apprentissage de la maîtrise de soi et de la chasteté (autrement dit, à se préserver pour son futur conjoint) tout en responsabilisant les jeunes aux sens de l’engagement vis-à-vis de la personne aimée et sexuellement désirée. Les jeunes n’attendent d’ailleurs en réalité pas d’autre discours de la part des adultes.

Le délit d’entrave à l’IVG, une grave menace pour la liberté d’expression et pour la démocratie elle-même : mais où est Charlie ?

Ce « délit d’entrave numérique » fait aussi peser une grave menace sur la liberté d’expression

Mais ce qui est encore plus gênant, c’est que ce « délit d’entrave numérique » fait aussi peser une grave menace sur la liberté d’expression. Car supprimer l’accès à certains sites va directement à l’encontre d’une liberté fondamentale, qui est au fondement de la démocratie elle-même, celle de pouvoir s’exprimer publiquement sur un sujet qui tend hélas à devenir « tabou » en France. Le juriste Bertrand Mathieu, interrogé par La Croix s’inquiétait déjà bien avant que la loi soit votée : « Il est pourtant difficile de considérer qu’une information, présentée de façon même tendancieuse, puisse constituer un délit d’entrave. Instaurer un contrôle de l’objectivité de l’information sur le Web est très dangereux. » Pour ce professeur de droit public, il y aurait clairement un risque d’anti-constitutionnalité : « Il me semble qu’une telle mesure aurait toutes les chances d’être jugée anticonstitutionnelle. Elle me semblerait clairement dépasser le contrôle que l’État peut exercer sur la liberté d’expression. On ne peut pas réserver un traitement spécifique à l’IVG sans que cela ait des conséquences beaucoup plus larges. »

Sans rentrer dans un débat que j’ai eu longuement l’occasion de développer dans mon livre sur La défaite de la raison (chap. IV : « La liberté de conscience ou le risque de la contestation »), il me semble qu’une désobéissance civique collective, visant à refuser d’encourir les sanctions prévues par la loi (où à refuser collectivement de payer ses impôts le cas échéant), ne serait pas injustifiée en ce cas, car c’est bien la liberté de penser et de communiquer publiquement ses pensées que cette loi attaque frontalement : il s’agit, en effet, d’une « censure » visant à interdire tout discours différent de celui proposé par le ministère des affaires sociales et de la santé, et qui promeut ouvertement l’avortement comme un « droit fondamental », en évacuant désormais toute réflexion éthique de sa perspective.

Lorsque Paul invite les chrétiens à se soumettre aux « autorités instituées » (Romains, 13, 1), il ne les invite pas à obéir inconditionnellement et aveuglément, mais uniquement par « motif de conscience » (Romains 13, 5), car c’est la conscience régénérée par le Saint-Esprit qui consacre le pouvoir comme venant de Dieu, c’est-à-dire comme une réelle « autorité » (l’autorité étant ce qui confère au pouvoir un surcroît de légitimité qui lui permet de se faire obéir sans avoir recours à la force), ou qui, au contraire, le destitue de toute autorité (et il n’est alors plus qu’un simple « pouvoir », dénué de la légitimité qui lui conférait seule une réelle autorité sur la conscience, ce qui justifie alors qu’on lui fasse objection par « motif de conscience » : ici s’applique la parole de Pierre selon laquelle « il vaut mieux obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes », Actes, 5, 29).
Kant considérait pourtant comme un droit inaliénable et non négociable en démocratie le droit d’exprimer publiquement ses pensées

Le grand philosophe allemand Kant (dont la philosophie synthétise le meilleur de l’héritage de la philosophie des Lumières - qui n’a pas toujours été aussi lumineux qu’on le croit...) considérait pourtant comme un droit inaliénable et non négociable en démocratie le droit d’exprimer publiquement ses pensées, et ne justifiait le droit de résistance que dans le seul cas où un souverain chercherait à étouffer la liberté d’expression, prolongement naturel de la liberté de pensée. Je cite ici Kant en entier, dans son texte sur « Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? » :

« On dit, il est vrai, que la liberté de parler ou d’écrire peut nous être ôtée par une puissance supérieure, mais non pas la liberté de penser. Mais penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ? Aussi bien, l’on peut dire que cette puissance extérieure qui enlève aux hommes la liberté de communiquer publiquement leurs pensées, leur ôte également la liberté de penser — l’unique trésor qui nous reste encore en dépit de toutes les charges civiles et qui peut seul apporter un remède à tous les maux qui s’attachent à cette condition. »

Mais où sont donc passés aujourd’hui les « Je suis Charlie » qui manifestaient, il y a vingt-trois mois, pour défendre cette même liberté d’expression ? Faut-il en conclure que ces manifestations n’étaient que du vent, de la poudre aux yeux, et que la liberté de penser, de croire et d’exprimer ses pensées, n’est en réalité qu’un leurre pour les imbéciles, puisqu’il faut l’anéantir dès lors qu’elle ne va pas dans le sens unique voulu par ceux qui en ont monopolisé l’exercice, afin d’asseoir leur impérialisme sur des consciences anesthésiées et désormais entièrement formatées ?

Disons-le clairement : un peuple prêt à accepter une telle loi, sans protester ni broncher, est un peuple qui n’est plus digne de la démocratie…

Nous sommes là dans un scénario encore bien pire que celui que Tocqueville avait pressenti dès le XIX e siècle, en analysant le devenir de la jeune démocratie américaine et la puissance que le « pouvoir social » finirait par exercer sur des individus rendus dociles comme des « moutons peureux dont le gouvernement est le berger », et uniformisés dans leur manière de vivre et de penser. Disons-le clairement : un peuple prêt à accepter une telle loi, sans protester ni broncher, est un peuple qui n’est plus digne de la démocratie, parce qu’il a abdiqué ce qu’il a de plus précieux : sa liberté de penser, de croire, et d’exprimer publiquement ses pensées, seules garanties du jeu démocratique et d’un réel pluralisme au sein de cet espace public qui a pour vocation d’échapper au contrôle de l’Etat. C’est un peuple qui est mûr pour cette « dictature idéologique » dont tout porte à croire qu’elle s’insinue insidieusement dans nos démocraties, lesquelles, si personne ne réagit, n’auront bientôt plus de « démocratique » que le nom.

Nul doute que le prochain gouvernement aura du pain sur la planche s’il entend réellement restaurer une vraie démocratie, car il lui faudra non seulement redresser économiquement le pays, mais également détricoter et réécrire des lois faites souvent dans la précipitation, et dont le caractère profondément « idéologique » n’aura échappé à personne.

Charles-Éric de Saint Germain

Auteur notamment de La défaite de la raison et Ecrits philosophico-théologiques sur le christianisme


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