Loi immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile

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Une nouvelle loi sur l’immigration doit être discutée en novembre à l’Assemblée nationale. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur qui porte le texte avec Olivier Dussopt, ministre du Travail, l’a redit au journal de 20 heures de TF1 ce mardi 19 septembre. Il s’agirait du 29ᵉ texte voté depuis 1980 ; cela fait un tous les 17 mois. Le projet déposé en décembre 2022 envisage, outre une exonération, sous certaines conditions, du délai de carence de six mois avant de pouvoir travailler pour les demandeurs d’asile, un durcissement des règles du droit d’asile et une accélération des expulsions.

Si le sujet occupe un espace central dans le débat politique français, les réalités de l’immigration, les concepts et les chiffres qu’elle recouvre restent cependant au mieux l’objet de confusions, au pire de falsification et de fantasmes.

On se retrouve souvent face à la figure du demandeur d’asile en guenille qui incarnerait toute ou partie de l’immigration avec l’idée que la France "ne peut pas accueillir toute la misère du monde", formule lancée par le Premier ministre Michel Rocard en décembre 1989 et maintes fois reprises depuis.

Rechercher "migrants" dans un moteur de recherche, c’est s’exposer à des dizaines de photos de personnes en détresse tentant de traverser la méditerranée ou de longues colonnes de marcheurs le long de routes et barrières barbelées. Et ce plus encore alors que l’île italienne de Lampedusa revient à la Une des journaux, sujet à propos duquel le ministre de l’Intérieur français a affirmé une "position ferme" : la France "n’accueillera pas de migrants qui viennent de Lampedusa" sinon "les réfugiés politiques", a-t-il assuré.

Confusion entre politique d’asile et politique migratoire

La thématique des migrations fait pourtant l’objet de toujours plus de statistiques, de travaux et de publications au niveau international. Comme le rappelle, par exemple, François Héran, titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France, dans un ouvrage récent, la prophétie du Tsunami migratoire ne s’est pas réalisée. En 2022, la France a pris en charge 16 % des demandes d’asiles adressées à l’Europe quand notre PIB représente 16,7 % du PIB européen. Au total, les titres de séjours octroyés au titre de l’Asile et d’étrangers malades représentent environ 13 % de l’ensemble des titres en 2022.

L’une des pierres d’achoppement du débat réside sans doute dans le maniement des mots et dans une confusion entre politique d’asile et politique migratoire. Il existe pourtant une distinction claire entre les deux : la première relève du droit international et du respect de la Convention de Genève de 1951 dont la France et les pays européens sont signataires, la seconde relève de la politique ordinaire d’un état souverain. La politique d’asile est élaborée au profit des personnes Bénéficiaires de la protection internationale (réfugiés et protégés subsidiaires) tandis que la politique migratoire ordinaire est élaborée par les États, en fonction de leurs intérêts à un moment donné.

Pour le reste, les discussions quant à l’orientation à donner à la politique d’asile souffrent d’un réel manque d’études quantitatives robustes sur lesquelles se fonder.

Peu d’études malgré un matériau disponible

À l’aube d’une nouvelle loi migration, la France est, de fait, peu documentée quant aux effets de sa politique d’asile et des programmes destinés à l’intégration des réfugiés. Dans un article de recherche récent, l’économiste danois Jacob Nielsen Arendt détaille avec ses coauteurs les travaux publiés qui évaluent les politiques relatives aux réfugiés et leurs performances sur le marché du travail. N’y apparaît qu’une seule étude sur la France, celle d’Alexia Lochmann, Hillel Rapoport et Biagio Speciale. On compte en parallèle plus d’une quinzaine d’études sur le Danemark et près d’une dizaine sur la Suède généralement fondées sur des données administratives de grande dimension.

L’étude sur la France date de surcroît de 2019. Les chercheurs y évaluent l’impact de la composante linguistique du Contrat d’accueil et d’intégration, l’ancêtre du Contrat d’intégration républicain. Par rapport aux études scandinaves, les auteurs doivent s’en remettre à des données d’enquête qui offrent un éventail d’indicateurs restreints et autodéclarés quant à la participation au marché du travail tandis que le nombre de Bénéficiaires de la protection internationale au sein de leur échantillon est relativement faible.

La France dispose pourtant de l’ensemble des outils et connaissances pour évaluer rigoureusement sa politique d’asile. Les centres de recherche français comptent de nombreuses équipes spécialistes de l’immigration et de l’évaluation expérimentale et non expérimentale. À ce titre, rappelons que la prix Nobel d’Économie 2019, Esther Duflo, est une Française spécialiste de l’évaluation par les méthodes expérimentales qu’elle a largement contribué à populariser.

Du côté des données, la France dispose de très importants dispositifs statistiques d’une qualité inégalable et le Centre d’accès sécurisé aux données (CASD) permet d’accéder à distance à une infrastructure sécurisée où les données confidentielles sont sanctuarisées. Toutes les conditions techniques sont réunies pour mener des travaux d’évaluation du meilleur niveau académique fondés sur un large panel de méthodes afin d’étudier finement notre politique d’asile et verser au débat des propos fondés sur des preuves scientifiques.

Sans évaluation, des bénéfices bien moins visibles

Quel que soit l’issue du débat sur la loi immigration, il convient donc de consacrer l’évaluation de notre politique d’asile en se dotant des moyens requis. Cela implique notamment d’anticiper le financement et le soutien à des évaluations scientifiques rigoureuses mais également de mener à bien l’élaboration de dispositifs statistiques appariés pour pallier le risque de voir les chiffres être manipulés et les scientifiques se détourner du contexte français pour mener leurs recherches.

Celles-ci s’avèrent nécessaires, notamment car les coûts liés à l’immigration sont plus directement visibles que ses retombées positives dont la mesure requière des évaluations plus fines.

Du point de vue des coûts, en plus d’instruire les demandes d’asile, la France est tenue de garantir les conditions matérielles d’accueil en vertu du droit européen. Tout ceci est chiffré au sein des programmes 303 et 104 du projet de loi de finances (PLF). Dans le PLF 2022, l’action n°2 du programme 303, "Garantie de l’exercice du droit d’asile", représentait près de 90 % du budget du programme et recouvrait les crédits d’allocation pour les demandeurs d’asile (la fameuse "ADA"), l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile au sein du dispositif national d’accueil (le DNA), et le versement de la subvention de l’État à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’Ofpra.

Du côté du programme 104 qui compte pour un peu plus de 20 % des crédits consacrés à l’immigration et à l’intégration, plusieurs actions sont en lien direct avec la politique d’asile. On y retrouve notamment une part du financement de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).

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À très grosse maille, près de 74 % des crédits consacrés à l’immigration et à l’intégration seraient ainsi fléchés vers la politique d’accueil des demandeurs d’asile et l’accompagnement des réfugiés. Face à ces dépenses, l’unique recommandation formulée par la Cour des comptes en avril 2023 lors de son exercice d’analyse de l’exécution budgétaire est :

"Améliorer le taux d’hébergement des demandeurs d’asile en poursuivant le développement des capacités d’accueil du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile (DNA), simplifiant les types d’hébergement des DNA, homogénéisant leurs modalités de tarification et de financement."

A contrario, identifier les dividendes économiques d’une politique telle que la politique de l’asile requiert des calculs autrement plus élaborés. Quelques enseignements sont néanmoins déjà disponibles.

Flux et performances économiques

Hippolyte d’Albis, directeur de recherche au CNRS et à l’École d’économie de Paris, détaché auprès de l’Inspection générale des finances comme Chef économiste, montre avec ses co-auteurs que sur la période 1985-2015, les flux de demandeurs d’asile ne détériorent pas les performances économiques ou l’équilibre budgétaire des pays d’Europe de l’Ouest. L’explication réside dans le fait que l’augmentation des dépenses publiques qu’ils induisent est plus que compensée par une augmentation des recettes fiscales nettes des transferts. Mieux, au fur et à mesure que les demandeurs d’asile deviennent des résidents permanents, c’est-à-dire qu’ils obtiennent une forme de protection, leur impact macroéconomique devient positif.

Pour les États-Unis, Michael Clemens du Center for Global Development montre, quant à lui, que la politique visant à réduire les arrivées de réfugiés et de demandeurs d’asile entre 2017 et 2020 coûterait plusieurs milliards de dollars chaque année à l’économie américaine. Selon ses estimations, déduction faite des dépenses publiques, le manque à gagner pour les caisses publiques à tous les niveaux de gouvernement s’élèverait à plus de 2 milliards de dollars par an.

Néanmoins, pour pleinement profiter du potentiel du dividende économique que représente l’accueil de demandeurs d’asile et de réfugiés, il convient d’élaborer et de financer des politiques et programmes efficaces, que seules des évaluations rigoureuses permettent d’identifier. Dès septembre 2015, au plus fort de la crise des réfugiés, l’économiste Jens Weidmann alors président de la banque fédérale d’Allemagne déclarait au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung que l’afflux de réfugiés représentait "des chances qui sont d’autant plus grandes si nous parvenons à bien intégrer dans la société et dans le marché du travail ces personnes".

Benjamin Michallet, Chercheur en économie des réfugiés à PSE-École d'Économie de Paris, associé à la Chaire économie des migrations internationales et l'Institut Convergences Migrations, enseignant à IEP Paris, Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : Shutterstock / Victor Velter


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