Logements insalubres, la France frappée d’indignité

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À Marseille, le 5 novembre dernier, l’effondrement de trois immeubles a entraîné la mort de huit personnes et l’évacuation de 1 352 autres. En 2018, en France, nous sommes en droit de nous demander comment, sans « catastrophe naturelle », nous avons pu en arriver là.

Comment, en France, en 2018, des gens peuvent-ils mourir à cause de l’indignité de leur logement ? Comment, en France, en 2018, nous pouvons collectivement accepter l’existence même de ces situations ? Comment, au même titre que les plus de 500 morts de la rue recensés chaque année, pouvons-nous accepter que le logement ou l’absence de logement continuent, en 2018, en France, de tuer ?

Ces questions n’ont évidemment pas de réponses simples. Les facteurs ayant favorisé l’émergence de ces situations dramatiques sont nombreux. Le logement cher, la prédation opérée par certains vis-à-vis des plus fragiles incapables de trouver un toit autre que celui proposé par des marchands de sommeil, l’incapacité des pouvoirs publics, de tous bords et à tous les échelons, à prendre en charge ces situations, l’impuissance de la collectivité à réagir à temps : les critiques opérées après coup sont faciles et nombreuses, et cette liste loin d’être exhaustive.

Il est certain que la réponse à apporter à nombres de situations d’exclusion ne peut pas être qu’économique ou comptable. Il est de même certain que le logement « ne peut pas tout ». Néanmoins, dans de nombreux cas, il peut beaucoup.

Les chiffres de l’indignité

Selon le 23ᵉ rapport de la Fondation Abbé Pierre, la France comptait 896 000 personnes sans domicile personnel. Sans abris, logés en habitations de fortune, en chambres d’hôtel ou de manière contrainte chez un tiers, les situations sont diverses mais un point commun les unit : l’absence de logement.

Selon les mêmes sources, 939 000 ménages – 2,1 millions de personnes – se trouveraient en situation de privation de confort, c’est-à-dire sans accès soit à l’eau courante, soit à une douche, soit à des WC intérieurs, soit à une cuisine, soit sans moyen de chauffage. Dans cette « catégorie » sont également recensés les logements aux façades dégradés. Les morts de l’insalubrité sont certainement à chercher dans ce recensement.

En 2015, le rapport Nicol chiffrait pour la seule ville de Marseille à près de 40 000 le nombre de logements « indignes ». Près de 100 000 personnes seraient ainsi touchées par l’insalubrité, pour la plupart au sein de copropriétés privés très dégradées. Au vu des chiffres précédemment énoncés, bien que la ville de Marseille semble gangrenée par l’insalubrité de ses logements, elle semble loin d’être la seule ville française touchée par le problème.

Selon la préfecture d’Ile-de-France, ce seraient ainsi plus de 170 000 logements qui seraient touchés d’insalubrité dans la région en 2018. Les arrêtés de péril régulièrement déposés par les municipalités ne venant que renforcer le constat amer opéré par nombres d’associations : à l’image d’une fraction de son parc de logement, la France peine à loger dans des conditions dignes une part significative de ces habitants.

Une question de moyens… et de volonté politique

Une fois encore, la réponse économique ne peut être l’unique réponse apportée à ces situations. Une fois encore, la production de logements abordables ne peut être l’unique solution pour résorber l’ensemble des problèmes pré-cités.

La mobilisation du système de protection sociale au sens large se doit d’être un objectif. Néanmoins, il paraît clair que la production et la rénovation massive des logements semble être une condition si ce n’est suffisante tout du moins nécessaire à la résorption de ces situations aux conséquences socio-économiques dramatiques. La question qui se pose alors est : en avons-nous les moyens ?

Pour éclairer cette question, concentrons-nous sur l’échelle francilienne pour laquelle nous disposons à la fois d’une estimation des besoins – 170 000 logements insalubres – et d’une idée des coûts de production de logements abordables. La question consiste à savoir combien coûterait la production ou « l’acquisition-amélioration » de 170 000 logements en Ile-de-France, logements permettant de loger dans des conditions dignes et à des loyers acceptables les ménages aujourd’hui confrontés à l’insalubrité.

En 2017, l’ensemble des subventions publiques affectées à la production d’un logement social en zone A – zone comportant l’ensemble des grandes agglomérations françaises, hors Paris et quelques communes limitrophes – s’élevait à 9 700 euros par logement en moyenne, c’est-à-dire tous types de logements sociaux confondus, des moins onéreux – et donc les plus « subventionnés » – aux plus onéreux. Sur cet ensemble, 3 400 euros provenaient directement de l’État et 5 500 euros provenaient des collectivités locales.

Ces subventions publiques représentent 7 % du financement global d’une opération de production de logement social (http://www.financement-logement-social.logement.gouv.fr/IMG/pdf/bilan_des_logements_aides_2017_cle7a6e1a.pdf), le reste émanant des fonds propres des organismes HLM et surtout de l’emprunt (81 % du financement total). L’effort public à consentir pour la production de 170 000 logements abordables en Ile-de-France, permettant de résorber en grande partie les situations d’indignité des logements de la région, s’élèverait donc à 1,6 milliard d’euros – soit 0,2 % du PIB régional.

Élargie à l’échelle nationale et sur la base d’un besoin de production de l’ordre de 1 million de logements, cette (courte) analyse porterait l’effort national à consentir à 9,7 milliards d’euros – soit moins de 2 milliards d’euros pendant cinq ans (0,1 % du PIB français).

Bien évidemment, la question de la disponibilité foncière et de la capacité des pouvoirs publics à mobiliser l’ensemble des acteurs est centrale. De même que les procédures d’accompagnement des publics les plus fragiles. Néanmoins, le caractère insurmontable de la tâche ne semble pas sauter aux yeux.

Dès lors, la question de la volonté politique à résoudre ces situations semble prendre le pas sur la question des moyens à allouer à leur résolution.The Conversation

Pierre Madec, Economiste au département analyses et prévision de l’OFCE, Sciences Po – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : GERARD BOTTINO / Shutterstock.com


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