L’odeur de la nature : une composante de la biodiversité

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Une promenade en pleine nature s’accompagne souvent d’une expérience olfactive. L’odeur terreuse de l’humus dans une forêt de feuillus, les riches senteurs de la garrigue exacerbées par le soleil, les effluves d’une haie de conifères, sont autant de paysages odorants que nous identifions sans peine. Une balade en plein air nous permet de « respirer », c’est-à-dire à la fois de prendre une bouffée de cet oxygène vital que nous ne pouvons sentir, et de ressentir un apaisement en percevant des odeurs végétales qui évoquent des souvenirs agréables. Bref, elle nous offre l’occasion de « souffler » loin de l’agitation des cités.

Beaucoup des composés organiques volatils qui sont à l’origine de cette expérience sensorielle sont émis par les plantes terrestres. Fleurs ou organes végétatifs des plantes qui nous entourent libèrent dans l’air que nous inspirons des molécules d’une très grande diversité chimique. Mais pourquoi la végétation terrestre produit-elle cette riche variété de petites molécules ?

Les plantes savent se défendre

En premier lieu, ce sont des mécanismes de défense qui permettent à la plante de résister aux nombreux stress ou agressions auxquels elle doit faire face, notamment lorsqu’elle manque d’eau ou qu’elle est malade. La plante peut produire ces composés volatils de manière constitutive, ils sont alors stockés dans des structures comme les trichomes, ces poils glandulaires d’où ils seront facilement libérés pour repousser les herbivores, voire les intoxiquer.

En avril la floraison des bruyères arborescentes domine le paysage olfactif des gorges d’Héric dans l’Hérault.
Michel Renou, Author provided

Leur biosynthèse peut aussi être déclenchée par une blessure comme lors de la morsure par un insecte. Ils induisent la production, par d’autres parties de la plante, de substances de défense comme les phytoalexines, molécules antimicrobiennes ou anti-fongiques, qui lui permettent de résister à l’attaque d’un organisme pathogène ou à un herbivore. Émis dans l’atmosphère, ces signaux sont perçus par d’autres plantes qui produisent à leur tour des molécules de défense.

Quand les plantes communiquent

Ces fonctions de communication sont également importantes dans les interactions positives entre la plante et ses insectes pollinisateurs. Les arômes floraux attirent une cohorte d’insectes, abeilles, bourdons, mouches, coléoptères, ou même moustiques qui associent l’odeur à la présence de nectar. Les fruits arrivés à maturité libèrent des composés attractifs pour les animaux qui après avoir consommé les fruits disperseront leurs graines.

Les échanges de signaux chimiques ont donc une grande importance dans le fonctionnement des écosystèmes. Résultats d’une très longue coévolution, notamment entre les végétaux supérieurs et les insectes, ils modulent des fonctions essentielles pour la plante comme sa pollinisation. Ils contribuent aussi à limiter les populations d’herbivores en attirant leurs prédateurs et parasites. Des réseaux de communication complexes s’établissent entre les différents niveaux trophiques.

L’attaque d’une chenille induit l’émission de molécules volatiles qui affectent le comportement de ponte du papillon mais attirent des parasites qui pondent dans la chenille. Ces signaux sont souvent des mélanges de composés volatils dont les proportions assurent la spécificité de cette communication. Un insecte parasite peut ainsi reconnaître quelle espèce de papillon a attaqué la plante. Les réponses des insectes sont souvent dépendantes du contexte odorant dans lequel ils perçoivent le signal. Une fleur d’orchidée peut mimer le signal sexuel d’un pollinisateur pour garantir la spécificité de sa pollinisation.

L’activité humaine crée des interférences

L’activité humaine fait courir des risques encore mal évalués à ces réseaux complexes de communication. Les industries de transformation des produits de l’agriculture, les activités agricoles, l’élevage produisent des quantités importantes de composés organiques volatils qui se mélangent aux sources naturelles. L’impact sensoriel de ces émissions nous est connu depuis longtemps lorsqu’elles sont à l’origine de nuisances olfactives comme l’épandage de lisier ou le compostage de proximité. En revanche, l’étude des répercussions sur le fonctionnement des écosystèmes ne fait que débuter.

L’olfaction, un sens essentiel à la communication des insectes (tête de frelon asiatique).
Michel Renou, Author provided

Les composés organiques volatils sont naturellement dégradés dans l’atmosphère par le rayonnement UV. Mais l’augmentation des concentrations d’ozone ou d’autres groupes réactifs comme le mono-oxyde d’azote provoquées par les activités industrielles ou les transports diminue sensiblement leur durée de vie dans l’atmosphère.Cette dégradation plus rapide réduit dans le même temps les distances à laquelle les insectes butineurs peuvent détecter les arômes floraux. Mais elle en modifie aussi la composition car tous leurs constituants n’étant pas dégradés à la même vitesse leurs proportions ne sont plus les mêmes et le mélange odorant change de nature comme le montrent les tests sur l’abeille.

Des effets directs de polluants sur l’olfaction des insectes sont également probables car la communication olfactive apparaît particulièrement sensible aux interactions entre molécules volatiles présentes dans l’arrière-plan odorant.

Vers une modification des paysages olfactifs ?

Outre ces polluants, le changement climatique global, notamment les augmentations du taux de CO2 et les élévations de température, affecte lui-même les métabolismes des plantes qui réagissent en modifiant qualitativement et quantitativement leurs émissions. Il faut nous attendre à ce que les paysages olfactifs se modifient profondément dans les décennies à venir. Si l’essor de l’écologie chimique nous a permis de percer les secrets de la communication olfactive, nous sommes en revanche encore loin de pouvoir évaluer l’importance globale de ces paysages olfactifs sur la biodiversité et les conséquences de leur altération. Par un effet de levier, toute modification de signaux essentiels à la localisation d’une ressource vitale, ou à la synchronisation des cycles de deux espèces, peut avoir des répercussions importantes sur les populations d’animaux ou les communautés végétales.

Les impacts seront d’autant plus importants sur les espèces spécialistes qui utilisent des signaux très spécifiques pour localiser leur hôte. Ainsi faudrait-il nous interroger sur la nécessité de prendre en compte la dimension sensorielle dans les programmes de gestion de la biodiversité. Nos données en la matière sont très récentes, les analyses ne remontant qu’à quelques dizaines d’années. Il serait donc urgent de faire l’état des lieux des paysages odorants, de suivre leur évolution, d’évaluer les risques représentés par chaque type de perturbation, puis de rechercher des méthodes permettant de préserver leurs composantes importantes.

On tente déjà de remédier aux nuisances engendrées par les plates-formes de compostage ou les bâtiments d’élevage en diffusant des odeurs masquantes ou en entourant les sites émetteurs de haies végétales qui créent des turbulences diluant les émissions et les dirigent plus haut dans l’atmosphère.

Outre la perte sensorielle que nous ressentirions lors d’une balade en forêt devenue inodore, l’impact pourrait être important pour des populations d’insectes déjà fragilisées par de multiples stress et les communautés végétales privées de leur moyen de communiquer.The Conversation

Michel RENOU, Directeur de Recherche en biologie des Insectes, Inra

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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